Affaires de femmes

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La langue arabe qu?utilise l?auteur est ?trang?re [?] Ce n?est pas ma langue arabe, celle de ma vie quotidienne, de mes joies, de mes peines

Quel portrait de femmes Bensalem Himmich a voulu faire dans son dernier r?cit intitul? ??Une femme d?affaires????. Le titre dans sa simplicit? l?exprime simplement?: une femme du temps pr?sent. Asma est belle, ?l?gante, dynamique. Elle est g?n?reuse, fi?re. Elle a un sens aigu des affaires, domaine o? elle r?ussit admirablement aussi bien sinon mieux que les hommes. Elle est libre et quitte, avec une insouciance quelque peu suspecte, le domicile conjugal o? un mari malade agonise et un fils, religieux extr?miste s?insurge. C?est une grande amoureuse qui n?oublie pas que l?amour est aussi une grande affaire. Elle a une qualit? imp?rieuse?: elle est r?solument moderne. L?auteur a-t-il voulu faire dans ce roman le portrait d?une modernit? f?minine qui semble le fasciner, ou d?crire avec un r?alisme au ras du quotidien une frange d?humanit? en marge de la r?alit? sociale de tous les jours. Si Asma est g?n?reuse, elle semble l??tre en dehors de toute ?motion. On ignore pourquoi elle est insensible aux souffrances de son ?poux, pourquoi les d?rives de son fils l?incommodent sans aucun ?lan d?affection et d?attention ne la freine dans son insouciant carpe diem. Ses amies bourgeoises sont ? son image. Entre r?ception, natation, club de sports, ragots, rumeurs, s?duction, et accessoirement affaires, elle vit dans un univers ?picurien que ne perturbent ni les brouhahas de la rue, ni les p?rip?ties de ses employ?s, ni les soubresauts de la vie sociale et politique. Le r?cit s?ouvre sur une manifestation politique des id?alistes du mouvement du 20 f?vrier. A un moment du r?cit, certains de ses employ?s reprennent ces slogans avec une de ses amies, mais aucune conscience politique ne semble pr?sente chez cette femme d?affaires qui ne ch?rit que l?amour et les affaires. Elle ne boit pas, elle ne fume pas, elle ne milite nulle part, ni dans un parti, ni dans un syndicat, ni dans la soci?t? civile. Elle ne prie pas non plus. L?absence de religion dans cet univers est curieuse comme si Asma appartenait ? une soci?t? sans religion. Elle est pourtant la m?re d?un extr?miste qui n?h?sitera pas ? s?exiler en Afghanistan mais si cela l?effraie, cela n??veille en elle aucune pr?occupation ni d?ordre philosophique, ni d?ordre m?taphysique, ni d?ordre politique.

Elle fait du bien, mais c?est comme si elle voulait par l? tenir ? distance de ses plaisirs cette humanit? besogneuse. Elle le fait par procuration, par l?interm?diaire d?une assistante, confidente et complice. Le d?c?s de son ?poux, celui de son amant l?effleurent ? peine. On la voit h?siter si peu ? s?duire l?amoureux de sa s?ur d?funte et vite tomber dans les bras, bien ?videmment d?un homme d?affaires qu?elle esp?re ?pouser. Les ?chos des drames, des trag?dies de la vie l?atteignent peu, assourdis par on ne sait quel ind?cent narcissisme. Croit-elle ?tre dans le meilleur des mondes?? Ou l?auteur semble-t-il nous dire que quelque soit la pesanteur de la vie quotidienne nous sommes malgr? tout dans un monde meilleur que d?autres mondes. C?est ce que sugg?re ? la fin du r?cit, l?espoir de l?agent d?autorit? (qui est aussi une femme) de vivre un jour le bonheur dans le meilleur des mondes.

Ce r?cit de l??crivain B. Himmich, auteur prolixe et inventif, est-il le r?cit du bonheur?? Il est en tout cas le r?cit de la r?ussite. Tous les personnages r?ussissent dans ce roman?: la femme d?affaires en premier, plus riche que riche, son assistante qu?elle enrichit en s?enrichissant, une employ?e qui s?enrichit en ?pousant un riche ?gyptien, le gardien de voitures qu?elle ?lit en coursier et en courtier et qui du bidonville se retrouve enrichi dans un appartement moderne de la ville moderne, et cette femme aventureuse qui finit par l??pouser apr?s l?avoir vaincu dans un combat de rue hom?rique (amusant?!). Tout est bien qui finit bien autour d?une femme de bien.

Pourtant, tout au long de la lecture de ce r?cit plaisant, un sentiment ?trange d??tranget? ne m?a pas quitt?. Nous sommes bien ? Rabat?: les noms des rues, des lieux, la description des espaces en t?moignent. Qu?est-ce qui alors fait que ce meilleur des mondes risque d??tre pour les lecteurs un monde ?tranger. Et j?ai fini par comprendre. C?est que la langue arabe qu?utilise l?auteur est ?trang?re, sa phon?tique ?trang?re, ses intonations aussi sont ?trang?res. Ce n?est pas ma langue arabe, celle de ma vie quotidienne, de mes joies, de mes peines, de mes r?ussites, de mes ?checs.

C?est ce sociolecte aux tonalit?s ?trang?res qui a rendu cette ??femme d?affaires?? ?trang?re ? mes pr?occupations litt?raires et esth?tiques.

Etrange?!

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