Le malheur d’écrire

5437685854_d630fceaff_b-

1
Partager :
couv-encre Un ?crivain ne se met pas ? ?crire parce qu?il souffre, ni parce qu?il est heureux. Il ?crit parce qu?il souffre et est heureux ? la fois. Dans une rubrique d?un quotidien de langue arabe intitul?e ??Interdit aux hommes??, une chroniqueuse, devant l?inflation des ?crits et des ?crivains, remet ? l?honneur une interrogation que je croyais ? jamais r?volue, d?pass?e?: ??je traduis??: ?Est-il possible ? tout un chacun d?entrer dans le royaume de l??criture sans conditions??? N?existe-t-il pas une diff?rence entre celui qui nait avec au fond de lui un imp?ratif de cr?ativit?, un don, cons?quence de circonstances p?nibles dans une vie malheureuse et celui qui souhaite devenir un cr?ateur alors qu?il est peu dou? et que son exp?rience de la vie et dans la vie est pauvre, insuffisante???? Interrogation qui nous ram?ne aux temps o? n?officiaient encore ni Roland Barthes, ni Jacques Derrida, ni Georges Bataille, ni ceux qui nous ont appris que l?acte de cr?er, d??crire n?est soumis ? aucune condition, que la seule condition est de plaire au lecteur, et de lui procurer cet indicible plaisir de lire. Relisons Roland Barthes et son ??Plaisir de l??criture??. Chaque mot dans l?affirmation de cette chroniqueuse suscite mille et un ?tonnements. Le premier est ??don?? et son inn?it?. Nait-on dou??? La question n?a jamais ?t? tranch?e. Tout ce que je sais, c?est qu?il faut du travail, beaucoup de travail, et que l?ouvrage est ? r??crire souvent sans qu?aucune satisfaction ne doive contenter l??go de l??crivain. Le second est ??conditions??, parce que la libert? d??crire est la seule condition pour ?crire et que seule la post?rit? est juge?: elle condamne ? l?oubli des chefs d??uvre, et fait red?couvrir et aimer d?autres textes condamn?s en leurs temps, jug?s et consid?r?s comme de mauvais livres. Le troisi?me mot est ??exp?rience de vie?? qui doit ?tre suffisamment riche en malheurs, en douleurs, en tourments pour que l??crivain soit autoris? ? ?crire et ? produire, ? entrer dans le ??royaume de l??criture??. Certes, il faut avoir souffert pour ?crire. On a dit qu?il?faut ??avoir pris conscience de ses n?vroses?? pour ?crire ses n?vroses, que le ??mal-?tre?? est indispensable pour que le g?nie puisse l?exorciser par l??criture. Georges Bataille ?voquait ??le tourment qui le ravageait??. On a affirm? que le ??malheur ?tait g?n?rateur de cr?ativit頻 et que la souffrance est ?l??preuve suffocante?? qui rend possible l?impossible ?criture. Mais est-ce une condition?? L?auteure de ??Harry Potter?? J.K. Rowling ne semble pas avoir ?t? si malheureuse que cela, ni l?auteur de ??Game of Thrones?? G.R.R. Martin, ni Marcel Proust, ni Najib Mahfoud, ni Taha Hussein, ni Elsa Triolet. Les tourments, les ?preuves, les malheurs sont consubstantiels ? nos existences comme les joies, les bonheurs, l?insouciance et le r?ve. C?est tout cela qui fait la mati?re d?une ?uvre. Mais un ?crivain ne se met pas ? ?crire parce qu?il souffre, ni parce qu?il est heureux. Il ?crit parce qu?il souffre et est heureux ? la fois. Parce que comme pour Montaigne, c?est son moi et l?ambivalence de ce moi qui sont le fondement de son ?uvre. Une condition toutefois?: qu?il ne se pr?occupe pas du destin de son ?uvre. R?ussite ou ?chec. C?est affaire de lecteur, de post?rit?. A lui, suffit le plaisir d??crire, s?il ressent ce plaisir. Ce plaisir concerne aussi bien les malheurs, les souffrances que les joies et les bonheurs, les peines que les joies. Plus mes col?res que mes joies d?ailleurs, plus mes douleurs que ma s?r?nit?, plus mes drames que la douceur paisible de mes ?motions. Ces souffrances ? ?crire me procureront plus de joie que l??criture et le r?cit de mes joies. Paradoxe de la magie des mots. Suis-je malheureux quand j??cris le mot malheur, ou le mot drame, ou le mot douleur. Il me semble qu?en les ?crivant, j?exorcise le sens qu?ils ?voquent, et en ce faisant je suis moins malheureux, moins souffrant. La phrase que j?ai r?ussi ? ?crire est ma th?rapie. Ma douleur n?en est que plus l?g?re, moins tragique. Par l??criture et gr?ce ? elle, elle devient un enchantement. Cette chroniqueuse toutefois attire ? juste titre l?attention de son lecteur sur un point?: l?inflation des ?crits et des ?crivains. Mais elle se trompe de cible. Ce n?est pas dans le fait que tout le monde se mette ? ?crire, ? peindre, ? sculpter, ? po?tiser, ? chanter que r?side le risque de m?diocrit?. J?appellerai de mes v?ux encore plus d?inflation, me contredisant puisque dans d?autres textes j?avais moi-m?me fustig? ces d?bordements artistiques.?? Le tri se fera in?vitablement. Le lecteur et la post?rit? sont sur ce plan, impitoyables. La m?diocrit? r?side dans le fait que parce qu??cris je me crois ?crivain, parce que je peins, je me crois peintre, parce que je versifie je me crois po?te et parce que je vocif?re, je me crois chanteur. Une paix immense m?a envahi le jour o? j?ai pris conscience que je ne serai jamais romancier, ni po?te et que mon renoncement m?a gu?ri du malheur de vouloir absolument devenir ?crivain.

lire aussi