Les aphorismes de Nouhad : La vraie pensée pense la douleur, et la panse, sans douleur (1ère partie)

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?A quelque chose?, la souffrance ??serait-elle bonne?? ?

L?Histoire d?une personne ne se r?sumerait-elle pas ? l?histoire de ses douleurs????A quelque chose?, la souffrance ??serait-elle bonne?? ? Indicible, informulable et insondable, n??clairerait-elle pas plut?t la singularit? de l??tre, qui peut souffrir gratis pro deo (d?une action d?sint?ress?e, faite pour l?amour de Dieu), comme il peut souffrir pro domo (pour sa propre cause), ou souffrir sans raison apparente?? Personne ne peut se targuer, pour autant, de conna?tre la souffrance mieux que les autres ou d?en ?tre sp?cialiste car il existe autant de souffrances que d?invalides ou de souffrants, autant de patiences que de malades ou de patients.

Je me rappelle bien un jour lorsque, m?inqui?tant de la sant? de mon p?re qui allait ?tre op?r?, j?osai demander ? son m?decin, si l?intervention chirurgicale ?tait douloureuse et combien l?alitement allait durer. Le chirurgien me r?pondit du tac au tac, comme s?il ?tait vis?, qu?il n?en savait rien et qu?? l??cole, on ne lui avait pas enseign? cela?!?La r?ponse qui fusa comme l??clair, on s?en doute, ne fut pas ? mon go?t. Et le prix de l?op?ration alors, le lui avait-on enseign??ou ?tait-ce le r?sultat de l?ing?niosit? ? Fus-je tent?e de r?pliquer. Mon ?ducation m?en emp?cha, fort heureusement, et j?accusai le coup, en silence. Aujourd?hui, pourtant, force m?est de constater qu?il y avait beaucoup de vrai dans ce qu?il me dit.

La douleur trompe souvent car elle trempe toujours dans le social, le culturel, le psychologique, le relationnel?Parviendrait-on ? quantifier?et ? qualifier ce sympt?me m?dical, physique et moral ??Entre l?exp?rience v?cue et exprim?e, la conception de la douleur et sa gestation, sa naissance et sa d?claration, sa manifestation et son expression, sa r?ception et sa perception, figure, entre autres, la consistance et la contenance de l?individu. La douleur devant laquelle on est tous ?gaux et sans d?fense, nous rend m?connaissables, aux yeux des autres et de nous-m?mes.

Dosto?evski?a mis le doigt sur???l?unique cause de la conscience??, qui est???la souffrance???; cette marque sacr?e de la lucidit? et de l??veil, ne serait-elle pas, de ce point de vue, moins ha?ssable???Cette larme sainte qui nous doterait d?une meilleure vue et nous montrerait les autres et soi sous leur vrai jour, qui nous d?cillerait les yeux et nous prodiguerait une vue plus claire, de la vie et du monde, ne devrait-elle pas ?tre accept?e, de bon c?ur??

Croire que la souffrance est absurde ou inutile, serait, en soi, absurde et inutile,?ne serait-ce que parce que ce jugement contient beaucoup de n?gativit? et de passivit?. En t?moigne la variation de la souffrance?et la hi?rarchie de la douleur, ainsi que la patience et la science qui les accompagnent et qui divergent, cependant, d?un individu ? l?autre.?Une once de souffrance ?quivaudrait ? une montagne d?endurance, chez les uns, et un oc?an de souffrance, ? une goutte d?endurance, chez les autres.

On s?accorde tous ? croire, du reste, que???La douleur de l??me p?se plus que la souffrance du corps??,?comme dirait?Publilius Syrus. Rien de moins s?r, pourtant, puisqu?on ne peut mesurer ni la vraie dur?e du temps de la souffrance, qu?elle soit physique ou morale, ni son intensit?, les capacit?s individuelles, variant, et les mesures habituelles, n?y suffisant pas.?A combien, par exemple,?la seconde, en souffrance, ?quivaudrait-elle, en v?rit?? Et combien de patience et d??nergie, faudrait-il d?ployer,?afin d?y r?sister, ou de l?accepter et de s?accepter soi-m?me ?

En effet, on a besoin de s?aimer dans sa souffrance comme on s?aime?dans tous ses autres ?tats. Or, la souffrance est un ?tat dont on a absolument besoin pour exister et continuer d??tre. D?autant plus que?ce sont les sentiments relatifs ? la souffrance qui la relatent, la d?crivent et d?limitent son ?tendue?: l?impatience, la peur, le d?go?t, la haine, l?amertume, la rancune, le chagrin, l?orgueil, la col?re, sont eux-m?mes de grandes souffrances.?Apprendre ? souffrir serait, donc, la premi?re le?on enseign?e par la souffrance,?en vue de se d?couvrir, de se mirer et de se conna?tre, ou de se reconna?tre, sous d?autres cieux, et avec d?autres yeux.

Car la souffrance, cette philosophie v?cue, est la vraie mesure de l?homme, du degr? de son humilit? et de son humanit??; en montrant la vraie valeur d?une personne, elle la d?voile, particuli?rement ? elle-m?me.?C?est, certes, une correspondance ?tablie avec l?autre, mais ?galement avec soi, cet autre de son ?tre?: l?intensit? de la douleur prescrit ? chacun l??quinoxe de l?effort ? fournir, pour se joindre et se rejoindre. En cas d?incapacit?, la mort se charge de l?en dispenser. La douleur est le langage non verbal ou para-verbal, du corps et de l??me, qu?il s?agit d?interroger, ou qui au contraire, requiert des r?ponses, autant psychologiques et spirituelles, que physiques et organiques.

La souffrance, qui est la manifestation pr?cise et exacte de nos propri?t?s physiques et morales, est certes, notre talon d?Achille, mais c?est ?galement?notre ?talon de mesure, de longueur et d??paisseur, dans le temps, de taille et de poids, dans l?espace, de hauteur et de profondeur, dans la vie, d?marquant, bornant ou d?roulant, inlassablement, nos dimensions dans le monde.?C?est pour cela qu?il faut s?inqui?ter plus de la source et de la vis?e de la douleur que de la douleur elle-m?me,?elle ne nous prive de sommeil, que pour nous maintenir en ?tat d??veil, afin d??couter ses messages.

La douleur, c?est quand la nature remet son ouvrage sur le m?tier, en qu?te de correction ou de perfection.?Une fa?on de dire que se r?concilier avec ses douleurs, les adopter et les associer ? son parcours, devrait ?tre le premier souci d?une personne?qui d?sire s?amender et se transcender.?Une souffrance acquiert son plein sens, dans son utilit?, parce qu?il ne s?agit pas de souffrir, uniquement ou vainement, mais de souffrir pour quelque chose, et de bien le souffrir, r?ellement et pleinement.

La dur?e et l?intensit? de la souffrance posent de nouvelles r?gles ? suivre pour retrouver le point d??quilibre dans le cycle vital, le r?tablir et le restaurer. Est-il instant mieux choisi et mieux r?v?, pour v?rifier son ob?issance et son adh?rence aux lois supr?mes???Une douleur sans espoir -pas n?cessairement celui de gu?rir mais plut?t celui de servir- est une douleur perdue.?En cas d?ignorance de l?utilit? de sa souffrance, et c?est souvent le cas,supporter, dignement, le pr?sent de sa douleur, en attendant qu?il passe, son avenir, une fois pass?, se chargera, certainement, d?en d?voiler l?utilit?, la sagesse et la grandeur.

De fait, le pr?sent de la douleur ne compte pas, il est atemporel, pour ne pas dire perdu, puisqu?il se situe hors du temps de la prise de conscience, de la lecture et de l?interpr?tation des ?v?nements?qui se succ?dent, alt?rant notre capacit? de compr?hension et nous abrutissant de coups. Ceux-ci, vu qu?on les croit injustement assen?s, sont hostilement re?us ou subis.

En r?alit?, rien ne se perd, dans la souffrance, et rien ne s?op?re, sans ces apparentes pertes, dont la souffrance.?Seuls les sentiments d?injustice, de d?sarroi, d??garement, d?affolement et d?effarement, inh?rents ? la souffrance, nous encha?nent et nous paralysent, nous emp?chant, ? la fois,?d?en d?tecter la lueur, d?en limiter la teneur, d?en r?colter la fleur et d?en d?guster la saveur, afin d?en exciter le labeur et d?en contenter et la Faveur et la B?n?diction du Seigneur.

Loin de moi l?id?e de faire l?apologie du dolorisme, du masochisme, du sadisme, ou de pr?ter all?geance ? toute autre doctrine de souffrance, ce serait un non sens,?la souffrance ne souffrant nullement ce type de souffrances.?Mais si la terre se savait capable de se muer en joli bibelot, voire en ?uvre d?art, elle ne se serait jamais avis?e de se plaindre, d??tre malmen?e, p?trie et cuite et durcie.

Qui aurait cru la terre capable de recevoir l?aventure de la Cr?ation et susceptible, avant de l??tre, de se m?tamorphoser en ?tre, en chair et en os, au centre du cosmos.?Dotons nos souffrances d??me, de souffle et d?intelligence, et elles finiront par nous livrer les le?ons savantes de leurs innombrables et innommables exp?riences.

Devant la douleur, la sagesse stipule, non seulement d?accepter son destin, le mektoub, mais de le b?nir et d?en ?tre satisfait car?cette rectification ou cette r?vision naturelle ne saurait ?tre aveugle, arbitraire, ni capricieuse,?puisqu?elle apporte avec elle, d?une part, la congruence de la quantit? et de la qualit? de la souffrance, la concordance de l?espace, de la dur?e et de l?intensit? de la douleur, et d?autre part, rapporte fid?lement, leur co?ncidence, leur convenance et leur pertinence, ainsi que l?exactitude, la pr?cision et la minutie de la recherche ? faire, et de la correction ? effectuer.

Le refus de la souffrance n?est donc autre qu?un bruit, un parasite ? notre communication avec d?autres ?tres, d?autres mondes, capables de nous ?clairer, entre autres, sur cette m?me douleur et sur son pouvoir d?imposer silence, disponibilit?, r?ceptivit? et perm?abilit?. La douleur, v?rit? trop poignante et trop lancinante pour ?tre admise et accept?e, r?tablit, n?anmoins, le lien entre le ciel et la terre, le divin et l?humain, le sacr? et le profane, et permet d?en recevoir les divers enseignements.

Il ne serait alors pas hasardeux de croire que notre ?tre, corps et ?me, fait appel ? la douleur pour le secourir et l?aider ? changer.?Aussi, aurait-on autant de douleurs que de gu?risons et de changements, des changements qu?on ne serait pas capables de r?aliser sans sa pr?cieuse aide, ou plut?t, sans son inestimable et irrempla?able contrainte.

En effet, la douleur, cette souveraine autorit? de la correction, qui se fait ob?ir au doigt et ? l??il, nous contraint ? d?voiler notre vraie capacit? de changement.?D?s qu?elle nous accule au mur, elle nous r?v?le nos vrais ennemis?: notre ent?tement, notre duret? et notre refus de changer?et de passer ? d?autres ?tats, pour devenir nous-m?mes?; elle nous pourvoie de la souplesse suffisante pour nous faire plier, sans nous casser, ? tel point qu?on se croit des fois, ? tort, bris?s, la g?n?ration qui s?en suit, ?tant la preuve tangible qu?il n?en est rien.

Les souffrances les plus efficaces seraient, toutefois, celles qui cassent car, capables d?op?rer des gu?risons prodigieuses, m?me si elles sont, au d?part, mal prises et mal comprises, mal vues et mal entendues, et c?est cela qui ?casse, en fait.?Mieux ?cout?es et r?habilit?es, elles deviennent des phares lumineux dans les t?n?bres de l?ignorance et de l?incompr?hension.

La souffrance fait alterner chaleur, fi?vre et ?bullition, froid, effervescence et ?vanescence, pour nous faire passer de l??tat solide de l??quilibre, ? l??tat liquide des pleurs et de la d?ploration, puis ? l??tat souple du p?trissage et du remodelage, avant de m?nager, en fin, un retour miraculeux ? l??tat soluble de la nature.?Les ?tats d??me, de l?esprit, du c?ur et du corps, durent autant que la vie, qui nous d?fait p?riodiquement, pour nous refaire.

Qui tol?re sa souffrance, se surprend et se surpasse et qui accepte sa douleur, devine les vertus dont elle est pleine?;?on s?associe tous pour la trouver vilaine, et pourtant, elle pourrait faire, ? elle seule, sinon notre bonheur, du moins nos honneurs, car?elle est la forge de l??me, qui en d?gage la force, et la renforce. ?

A vrai dire, la douleur qui ne d?semplit pourtant pas, accentue notre sentiment de solitude, de vuln?rabilit?, d?impuissance et de recueillement,?ces excellents moyens de communiquer avec Dieu,?ces moments cruciaux et m?moriaux, de la r?union et de la lib?ration des forces int?rieures afin qu?elles puissent, ais?ment et heureusement, communiquer avec les forces ext?rieures et sup?rieures.

Mais?la douleur domine ceux qui ne la dominent pas?; commander ? sa souffrance, commencerait par l?accepter, afin de faire de cette mauvaise et cruelle souveraine, un bon et aimable sujet car?chaque douleur a son chant du cygne auquel elle se livre, et qui nous d?livre,?d?cuplant ses biens et d?couplant son mal.

La douleur est le d?but des soins et notamment de la gu?rison,?c?est un grand bien -pour une fois que le bien utilise le mal- qui commence par un grand mal?; le point le plus culminant de la douleur en annonce la gu?rison ou la d?livrance. Aussi durera-t-elle le temps qu?il faudra pour gu?rir le mal, et souffrirons-nous le temps que prendra l?extirpation ou l?assoupissement du mal.?Ecouter sa douleur et tenter de la comprendre, peut en acc?l?rer la gu?rison ou la d?rision, c?est un d?but pour y penser et y r?fl?chir, ce que la m?decine et les sciences humaines et sociales, s?occupent particuli?rement de faire.

La souffrance est un plaisir plus durable que le plaisir ?ph?m?re?; des deux sentiments, le premier est le plus p?renne, parce qu?on se rappelle son utilit?, le plus longtemps possible, et le second, le plus ? craindre, parce qu?il n?arrive, que rarement, ? contraindre. Sauf que la contrainte, qui a besoin d?endurance, qui a besoin de souffrance, a besoin de malades et de souffrants, ? obliger, ce dont ils ne lui sont d?ailleurs, qu?exceptionnellement reconnaissants.?Car ce dont les patients ont le plus besoin au monde, c?est la patience,?ils lui sont tellement intimes, qu?ils en portent tous, le nom, mais seuls quelques-uns, en portent la gloire, le prestige et le renom.

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