Les aphorismes de Nouhad : « L’intimité est le début de la trahison, l’intime trompe ou détrompe. »

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Cet aphorisme est vrai sur le plan r?el, social et psychologique, car la trahison commence par les familiarit?s, les confidences et le d?voilement des secrets, avant de tourner ? la d?fection ou ? la d?sertion, ? la d?loyaut? ou ? la f?lonie mais c?est tout aussi vrai virtuellement et litt?rairement. En t?moignent les blogs et les r?seaux sociaux o? le priv? et le personnel, au risque de rendre impopulaire, sont surexpos?s, ainsi que l??criture autobiographique o? ??cette effroyable quantit? de Je et de Moi??, comme dit Stendhal, est trahie ou d?natur?e.

Cela pose le probl?me de l?intimit? ext?rioris?e, ce paradoxe social du monde int?rieur qui devient spectacle, cette volont? ??d?extimisation?? qui peut passer ? l?ennemi, cette action libre de parjure et de perfidie, syndrome social qui, selon Lacan, est un aspect constitutif de la personne, et n?cessaire ? son d?veloppement psychique notamment ? une bonne image de soi. En cela, ??l?extimisation?? doit ?tre distingu?e de l?exhibitionnisme qui est pathologique et r?p?titif, inscrit dans un rituel morbide.

??L?extimit頻 comme l?a d?finie Serge Tisseron en 2001, est le d?sir de rendre visibles, certains aspects de soi jusque-l? consid?r?s comme relevant de l?intimit?. Depuis, le mot entre rapidement dans le langage courant et Michel Tournier publie ? Journal extime?? en 2002. Contresens, diraient d?aucuns, mais ce n?est apparemment pas le cas de M. Barr?s qui, d?s 1923, cite le mot extime et appelle sa chronique de la Grande Guerre, ? journal intime ?.

D?o? l?aspect sociologique de ce genre d??criture qu?on retrouve sous la plume d?Annie Ernaux, dans ses deux journaux extimes ??Journal du dehors?? et ??La vie ext?rieure??. Celle-ci d?clare ??on se d?couvre soi-m?me davantage en se projetant dans le monde ext?rieur que dans l?introspection du journal intime??, un journal du dehors et non du dedans, une qu?te du je ??transpersonnel??. Cela rejoint le concept de ??l?autofiction??, invent? par Doubrovsky, o? le recours ? la fiction pour se dire, est envisag?.

C?est une notion qu?on retrouve ?galement chez Romain Giordan dans son ?tude de la ??transpersonnalit頻 autobiographique ??S?arracher au pi?ge de l?individuel?? et dans ??Fen?tres et ?crans?: entre intimit? et extimit頻, de Georges Teyssot. C?est un va-et-vient que le diariste effectue entre le dedans et le dehors et qui donne lieu ? un journal extime, une ?uvre de???l?entre-deux??.

Le d?sir d?extimit? ?tant de faire passer l?intimit? vers la sph?re publique, de se d?passer vers un monde ext?rieur saisi ? partir de ses erreurs, de ses bonheurs et de ses malheurs ou ? travers ceux d?autrui, n?est-il pas essentiel d??tablir une nette distinction entre l?intimit? et l?extimit?, l??gotisme et l?alt?rit? de tous les genres litt?raires, et non seulement du genre autobiographique??

Puisque l??criture intime repr?sente ??un repliement pleurnichard?? sur ??nos petits tas de mis?rables secrets??, puisque son espace est centr? sur l?aveu et la confession, l??criture gnomique qui se pr?sente sous forme de sentences et qui est bas?e sur l?exp?rience du monde int?rieur et ext?rieur et sur les tentatives de les retranscrire pour les offrir ? l?infinit? de l?autre, n?en diff?re pas. Aussi, est-elle v?cue comme une ouverture vers l?ext?rieur, une ?criture inclusive et non exclusive ?

L?aphorisme, saisi dans son aspect autobiographique et happ? dans son mouvement atemporel s?expose sans risques, va au plus profond du c?ur sans s?exhiber,?extimise l??tre pour optimiser ses chances de se construire. La pens?e impersonnelle favorise ainsi une vision illimit?e et d?sengag?e de la vie et de la quotidiennet?, loin de l??troitesse et de l?engagement de l?intimisme, car elle permet d?abord de d?sacraliser et d?ouvrir le moi, puis de d?mythifier l?autre et de le neutraliser, et enfin de v?hiculer des jugements et des le?ons sans trop se d?voiler.

Mais entre ??intimiser?? et ??extimiser??, le choix n?est pas facile, et intimiser risque d?intimider car c?est le chemin assur? pour trahir ou se laisser trahir. L?intime, ?tre ou ?crit, personne ou personnage, ne fait que poursuivre son petit bonhomme de chemin, en nous trompant ou en nous d?trompant. En un mot,?ne sommes-nous pas responsables de l?intimit? que nous choisissons et partant, de l?infid?lit? que nous enclenchons?? Et?nos intimes ne trempent-ils toujours pas dans quelque tromperie??