Un goût d’inachevé

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couv-LAHJOMRI

Elles s?appelaient Tin Hinan, Sobh ou Aurora, Itimad, Caida Chamsi, Sayda Elhorra, Zaydane, Touria ou A?cha?, toutes femmes d?exception qui ont v?cu dans le bonheur ou dans la souffrance, surtout dans les souffrances des vies d?exception. Osire Glacier, chercheuse maroco-canadienne dresse le portrait d?une trentaine d?entre-elles, qu?elle fait surgir de notre lointain ou proche pass?. Elle publie chez ??Tarek-Editions?? ??Femmes politiques au Maroc d?hier et d?aujourd?hui??. Pourquoi la lecture de ces portraits laisse au lecteur un go?t d?inachev??? Non parce que l??tude annonc?e en titre sur ??la r?sistance et le pouvoir au f?minin?? est, elle, inachev?e, que l?introduction et la conclusion sont extr?mement g?n?ralistes et ne brassent que des v?rit?s commun?ment admises, mais parce que l?exploitation des r?f?rences bibliographiques existantes, n?a pas ?t? heureuse. Elle n?a produit que des portraits peu aboutis de femmes dont la personnalit? devait ?tre unique pour que la post?rit? l?gendaire s?empare d?elles, et rappelle leur force symbolique, les fait ?chapper ? l?oubli qu?une histoire ?crite par les hommes pour la gloire des hommes exerce encore sur l?histoire officielle. Elles imposent leur pr?sence malgr? la marginalisation et parfois le d?nigrement de la misogynie d?primante des hommes. C?est un livre hommage, certes n?cessaire et utile, mais non l??tude attendue et esp?r?e de l?histoire des femmes et de leur place occult?e par l?histoire des hommes. Ce qui fait dire ? un chroniqueur que ??l?auteure n?offre pas une v?ritable analyse transversale et s?en tient ? de courts r?cits?? qui ?cornent le sens de leur r?surrection et frustre la curiosit? toute admirative du lecteur en attente.

Je commenterai deux de ces portraits?: celui de Touria Chaoui, premi?re femme pilote assassin?e aux lendemains de l?ind?pendance, qui fut pour notre g?n?ration ??princesse des nu?es??, dont beaucoup ?taient dans leur solitude affective secr?tement amoureux, et celui de A?cha Mekki, journaliste et ?crivain martyr, morte dans la mis?re d?autres solitudes affectives.

Pourquoi le portrait que fait Osire Glacier de Touria Chaoui laisse ce go?t amer d?inachev???

Les ?v?nements de sa courte vie sont connus. Se contenter de les rappeler ne suffit pas. En cerner la symbolique profonde aurait permis de prendre conscience que ce que le meurtrier, dont la main fut arm?e par l?occupant, ou par d?autres forces obscures, on ne l?a jamais su, a assassin?, ce n?est pas une femme, belle, attirante, libre et ?mouvante. Mais ce qu?elle repr?sentait pour nous?: l?entr?e r?solue de notre soci?t?, dans la modernit? du si?cle, et sa rupture d?finitive d?avec l?ignorance, la cl?ture de l?esprit, l?obscurantisme et le despotisme id?ologique.

Cheveux au vent, visage d?couvert en ces temps peu propices ? tout d?voilement, sangl?e dans son uniforme de pilote, majestueuse et fi?re d??tre citoyenne d?un pays lib?r?, elle accueille son Roi le jour de son retour triomphal de l?exil, d?fiant les nuages et leurs turbulences dans son monoplace comme pour nous dire ? tous?: rien n?est impossible aux forces qui nous propulsent vers les d?fis de l?avenir, qui nous ?l?vent vers ces hauteurs azur?es o? elle navigue avec esp?rance en compagnie de l?avion de toutes les esp?rances.

C?est ce portrait que j?attendais, il reste ? faire, ? ?crire. Je crains fort que nous ne devrions attendre encore longtemps, l?auteur (e) inspir? qui l?entreprendra, les temps d?aujourd?hui restant r?tifs comme par le pass? ? l??criture de la dimension f?minine de notre histoire.

Le portrait de A?cha Mekki, morte d?avoir ?t? la premi?re journaliste et probablement la derni?re ? avoir pratiqu? courageusement un journalisme de v?rit? que donne ? voir Osire Glacier est l?illustration parfaite de cet inach?vement, de cette si regrettable illusion d??crire la v?rit? d?un personnage. Il se trouve (et je me fais violence pour parler de mes ?crits) que je me suis hasard? ? faire le portrait de A?cha Mekki quand j?ai r?uni et publi? ses chroniques c?dant ? l?impulsion persistante de Feu mon ami Abderrahmane Slaoui. Osire Glacier qui ne s?est pas rendu compte qu?elle lisait une biographie romanc?e, a reproduit comme v?rit? historique ce que mon imagination a lu dans les souvenirs de son fr?re qu?il a ?crits dans une dizaine de pages qu?il nous a envoy?es contre r?tribution. J?avais imagin? qu?? l??cole elle d?couvrait la France ? partir des ?uvres comme ??Les Mis?rables??, ??Sans famille??, ??Madame Bovary??, ou ??La Princesse de Cl?ves??. Mais ?tait-ce la v?rit??? Ce livre que j?avais consacr? ? A?cha Mekki a connu d?autres mis?res. Puisque m?ayant reproch? dans son ??Dictionnaire des ?crivains maghr?bins de langue fran?aise?? de m??tre presque appropri? les chroniques de A?cha Mekki. Salim Jai n?a pas imagin? un instant le travail colossal que cette r?surrection a demand? dans les caves assombries des journaux auxquels elle collaborait.

Comme Osire Glacier, il n?a pas per?u, lui, non plus, (que je tiens pour un critique lucide et judicieux), l?imagination en ?uvre dans la premi?re partie de mon portrait de A?cha Mekki.

Il arrive, qu?en restant dans l?inachev?, et qu?en ne faisant qu?effleurer leur sujet des auteurs nuisent ? la plus belle des aventures de l??criture?: d?voiler ce que nous f?mes pour ?tre fiers de ce que nous serons.

Et pour notre ?crivaine canadienne, d?voiler ce que furent nos femmes d?antan pour ?tre fiers de ce qu?elles deviendront et feront de nous demain.

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