Un regard sur la collection, ce que nous disent les cartes...

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Lahjomricollage

Troisi?me partie ? Un regard sur la collection, ce que disent les cartes, fait partie d?un ouvrage collectif,?AU MAROC, LES METIERS ? Cartographie d?une m?moire vive, ? para?tre prochainement aux ?ditions Marsam. Ecrit par Jean-Fran?ois Cl?ment, Farid Zahi et Abdejlil Lahjomri, il replonge dans le Maroc d?autre fois tel que l?ont immortalis? les cartes postales de l??poque. Pour ceux qui ont connu une partie de cette ?poque ou v?cu ses derniers soubresauts, le regard ne peut ?tre que nostalgique, attendrissant, souvent amusant. Mais il ne faut pas s?y tromper. Le secr?taire perp?tuel de l?Acad?mie du Royaume replace avec son talent habituel d?entr?e de jeu cette balade r?trospective dans son ambiance coloniale. ??La carte postale comme moyen de communication profitant de l??ge d?or de l?occupation coloniale, ?crit-il, exploitera ce spectacle singulier et se fera un destin color?. Elle magnifiera bien s?r les monuments, les paysages, mais s?int?ressera beaucoup plus ? un exotisme humain qu?elle voudrait distrayant pour exhiber l?Autre dans sa marginalit?, qui rassure et amuse. C??tait l?air du temps, le temps du m?pris, et de l?arrogance??. Une lecture pour le plaisir des yeux et de l?esprit.

Retrouvez les deux premi?res parties : Partie 1 & Partie 2

Les cartes nous disent l?avenir selon la croyance populaire, et pr?disent beaucoup d?espoir pour des jours meilleurs et peu d?appr?hension quant aux ?v?nements incertains. Mais ces cartes qui s?offrent aujourd?hui ? vous dans cet album, lecteur clairvoyant, ne sont pas instruments de voyance. Elles disent le pass? dans ce qu?il fut, et portent en elles les pr?mices d?un avenir qui, devait immanquablement, se faire, se r?aliser. Cette int?ressante collection flatte sans aucun doute la curieuse nostalgie qui s?empare depuis quelques temps de ceux qui ont connu cet univers disparu et ont entraper?u celui qui naissait devant eux dans l?irruption d?une modernit? qui bouleverse les traditions, bouscule les fondements, d?truit les valeurs, condamne ? dispara?tre des pans entiers d?une soci?t? inqui?te et perturb?e jusque dans le secret de son intimit? d?voil?e. Nostalgie qui s?empare aussi de ceux qui n?ont rien connu, ni rien su de cette ?poque r?volue.

La passion du collectionneur qui a ?lu ces cartes illustrant des sc?nes, des types, et des m?tiers si fragiles et les a captur?s dans un temps suspendu, ignorait sans aucun doute qu?elles allaient dire l?entre deux mondes, le basculement, la fracture, la confrontation, la d?rision. ? Le preneur de vue ?, ignorait s?rement quant ? lui qu?elles r?v?leront la cohabitation ambig?e de deux univers, l?un regardant l?autre, le donnant ? voir par une captation maladroite d?images surprenantes, re?ues, comment?es dans des contr?es lointaines par des destinataires ?bahis, au plus lointain d?elles-m?mes. Il ignorait enfin que son regard assur? de sa sup?riorit? d?poss?dait inexorablement l?Autre, soumis et d?j? condamn?, de ce qui faisait son originalit? et sa diff?rence.

La carte postale comme moyen de communication, profitant de l??ge d?or de l?occupation coloniale, exploitera ce spectacle singulier et se fera un destin color?. Elle magnifiera bien s?r les monuments, les paysages, mais s?int?ressera beaucoup plus ? un exotisme humain qu?elle voudrait distrayant pour exhiber l?Autre dans sa marginalit?, qui rassure et amuse. C??tait l?air du temps, le temps du m?pris, et de l?arrogance.

Mais finalement qui voit qui ? Le ? preneur de vue ?, d?abord qui n?est pas ? artiste ? mais ? marchand ?. Il pointera son objectif sur les visages les plus expressifs, les situations de la vie quotidienne les plus mis?rabilistes, et la carte se muera alors en une bulle comique. Il fera de cet univers qu?il s?approprie, un fond de commerce in?puisable. ? L?imag?? ensuite, qui souvent ignore l?objectif, ne s?en soucie gu?re ne portant aucune attention ? ceux qui ? volent sa vie ?, pour la ? vendre ?, la ? commercialiser ?. ? L?imag? ? est indiff?rent ? cette captation scandaleuse et impudique de ses gestes, captation qui conte une histoire que le ? marchand ? croit ?tre celle de l?imag?, qui en fait ne l?est pas, et que l?objectif va restituer ? contre courant aux ? voyeurs ?, persuad?s que la r?alit? invent?e par le preneur de vue est la vie m?me de ? l?imag? ?.

Ce photographe ne saisissait en fin de compte que les fragments d?une repr?sentation mythique d?un monde qu?il portait en lui, avant m?me de le voir, l?, en face de son appareil, humili?, avili ; assujetti et r?ifi?. Il n?en percevait ni l?essence, ni la quintessence, ni l?esp?rance.

Et puis il y a le regard de ceux ? qui la carte est destin?e, leur ?tonnement. Pris de court, captiv?s, m?dus?s, ils regardent d?filer devant eux un monde inconnu qu?une imagination pare des couleurs d?un ailleurs inqui?tant, d?une ?tranget? angoissante, d?une quotidiennet? impr?vue, qu?ils n?h?siteront pas ? faire ? tourner en boucle ? devant un entourage comme eux curieux, ahuri et effar?, pendant les soir?es familiales.

Le forgeron

Peut-?tre ne regrettera-t-il gu?re le forgeron qui dans l??tre fait rougir le fer, qu?il mod?lera sur l?enclume, pendant que l?apprenti, souvent un enfant, consciencieusement, entretiendra l?incandescence des flammes. Et de fait ils sont rares de nos jours, ces robustes forgerons dans les cit?s, et les villages.

Forgeron

Voici des forgerons ruraux disposant de deux soufflets en peau de b?uf plac?e dans des arceaux de bois anim?s alternativement par un adolescent afin d?avoir, juste devant les buses, une temp?rature suffisante pour produire ou r?parer les outils agricoles n?cessaires ? l?exploitation des terres. On est ici non loin du littoral atlantique, mais le statut du forgeron, ? hadd?d ? est partout le m?me, et cela, m?me si dans les vall?es pr?sahariennes, ce m?tier ?tait exclusivement exerc? par des harratins ou hommes noirs. Ces hommes, en rapport ?troit avec le feu, sont simultan?ment m?pris?s et craints. Ces forgerons sont des g?n?ralistes et ne sont pas sp?cialis?s, par exemple dans les armes ou les fers d?animaux de trait ou de b?t. On voit ici des marteaux, piochons, ciseaux, mais, si on distinguait mieux, il pourrait y avoir des faucilles ou des haches. Il s?agit l? non d?une forge fixe comme dans les villages, mais d?une forge nomade se d?pla?ant avec les souks hebdomadaires. On ne voit pas ici le combustible qui est du charbon de bois, pas plus qu?un ?tau, une lime ou une fili?re, mais on per?oit l?enclume (mazbra).

Le cordonnier

Il ne regrettera pas non plus le cordonnier, qui fait d?une case rudimentaire, d?une tente rapi?c?e un atelier ?ph?m?re, ou qui tout simplement s?accroupit sous un vieil arbre rabougri, contre une muraille d?cr?pie, pour relier les lani?res des babouches maintes fois recousues.

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Le photographe Bertou s?installe rue du commerce ? Casablanca. Sa premi?re s?rie porte sur Marrakech et elle est publi?e en 1915. Il la r??dite en 1921 lorsqu?il a d?velopp? son d?bit de tabac auquel il a donn? le nom d?Alhambra. Il signera alors ses cartes postales du nom Bertou-Alhambra. Il vendra les cartes marocaines de la soci?t? Louys Bauer accompagn?es d?un logo compos? de son nom et du nouveau casque de l?arm?e fran?aise adopt? en 1915. Cette soci?t? Bertou ?dite une centaine de photographies lors de cette m?me ann?e pr?sentant, en particulier, des palais de Marrakech. Sur cette photo, d?assez mauvaise qualit?, on voit un artisan juif travailler avec un coll?gue musulman. Les seuls outils que l?on distingue sont un maillet ? gauche et une brosse ? droite. On ne peut deviner ce qui se trouve dans la boite m?tallique.

Le coiffeur

Ni le coiffeur, qui en plein air, arm? d?un rasoir ? lame rigide, d?un geste pr?cis et rapide d?nude le cr?ne du client, le soulage d?une barbe drue, et devenu m?decin pratique une saign?e en incisant la nuque de son client, en appliquant une ventouse et en aspirant avec une pipette le sang qui all?ge le corps du malade dont il ignore s?il est r?ellement malade ou simplement alangui par une chaleur maussade.

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La saign?e est curieusement un terme assez peu usit? en arabe. On h?site entre une expression, ? gli? al-demm ? et le mot ? h?ejj?miyya ? qui vient de ? saigner ? ou ? poser des ventouses ?. Et pourtant la pratique continue ? exister et elle est r?alis?e comme elle le fut en Europe alors que les raisons religieuses qui ont donn? naissance ? la pratique de la saign?e et de la petite chirurgie chez les barbiers du nord de la M?diterran?e sont totalement inconnues au Maroc. Il y a donc l? un vrai myst?re. Il y en a un autre. Pourquoi croit-on qu?il est utile de faire des saign?es ? Il est vrai que le Proph?te recommandait la saign?e et le bruit court que la saign?e serait bonne pour les col?riques ainsi que pour 72 ? maladies ? qui vont jusqu?? l?ensorcellement. Le barbier utilise des lancettes qui sont d?abord aiguis?es sur une planchette. Il les utilise pour pratiquer une incision, normalement sur le cr?ne, mais ?galement sur d?autres endroits du corps. Il les st?rilise ensuite, du moins aujourd?hui, avec des antibiotiques ou de l?eau de javel. Puis le barbier masse le haut du cou de son patient pour faire monter le ? mauvais ? sang, le seul qui va ?tre aspir? par le tuyau qui remonte depuis les ventouses en cuivre (q?r?r?t) vers la bouche du barbier. On entend alors le bruit du sang. Il ne resterait plus que le bon sang.

L?arracheur de dents et ses environs

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L?histoire de la dentisterie est pass?e par trois phases en un si?cle. L??tape ant?rieure a ?t? celle de l?arracheur de dents produisant une souffrance. C?est ce que montre cette photographie. On observe que la table destin?e ? prouver l?habilet? de l?arracheur et montrant plusieurs centaines de dents est absente ici alors qu?on pourra la voir plus tard dans quelques souks lorsqu?une concurrence appara?tra entre plusieurs types de dentistes en conflit les uns avec les autres. Car s?il y eut ces arracheurs de dents, on vit appara?tre ensuite les m?caniciens dentistes, form?s, le plus souvent, par des dentistes ?trangers qui eurent des cabinets, parfois de bonnes qualit?s, apr?s cet apprentissage sur le tas. Enfin, on vit appara?tre les chirurgiens dentistes, capables de pratiquer les soins les plus diversifi?s. On remarque ? droite deux types d?habillements, l?un compos? d?une jellaba, mais avec une veste europ?enne et l?autre totalement europ?anis?, y compris par le chapeau.

Il ne regrettera s?rement pas ? l?arracheur de dents ?, ? le restaurateur ambulant ?, ? le sorcier f?tichiste ?, ? le marchand de savon ?, ? le charmeur de serpents ?, ? le laitier ? ? le marchand de bric ? brac ?, ? les musiciens indig?nes ? ou ? le muletier ?.

[caption id="attachment_51692" align="alignnone" width="967"]Restaurant ambulant Restaurant ambulant[/caption] [caption id="attachment_51693" align="alignnone" width="974"]Le sorcier f?ticheur Le sorcier f?ticheur[/caption] [caption id="attachment_51694" align="alignnone" width="968"]Le marchand de savon Le marchand de savon[/caption]

Le laitier

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Cet homme n?est pas un guerrab. Il porte une cruche en terre analogue ? celles qu?utilisent les femmes pour transporter le lait, tout comme, parfois l?eau, mais alors le col est plus large. On a des photographies du Russe Roudnev, ?tabli ? Bab Agnaou ? Marrakech, qui montrent comment les laiti?res allaient vendre le lait en utilisant des cruches analogues. On voit aussi que ce marchand n?a aucune clochette puisque, s?il s?agit de lait, on n?a nul besoin de se faire conna?tre.

Le marchand de bric ? brac

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On voit l?ancienne tour de l?horloge de Casablanca, celle qui a ?t? construite en 1908 par le commandant Dessigny et qu?il a fallu d?truire en 1948 ? cause de sa fragilit?. Elle ?tait plac?e le long de l?ancien chemin de fer ? voie ?troite. Et elle avait comme but de donner une heure profane diff?rente des heures de pri?re variables d?un jour ? l?autre dans l?ann?e, identique ? tous les habitants de la ville, y compris ceux de la m?dina. Cette heure sacralis?e ?tait plac?e dans un monument qui ressemblait ? un minaret de mosqu?e, mais plus ?lev? que les minarets ordinaires de la m?dina ; ce monument s??levait ? 20 m?tres de hauteur. On y avait multipli? les signes d?arabisance avec des arcs outrepass?s. L??chelle, au dessus de la maison ? gauche montre qu?en 1912, on est en train d?installer l??lectricit? ou le t?l?phone en m?dina. On voit un fez au centre de la photographie, signe de l?influence de la soci?t? turque et de ses ?volutions sur de jeunes Marocains. La photographie est de Pierre Gr?bert.

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