Un roman déconcertant de Fouad Laroui

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Plusieurs choses risquent de faire du tort ? Fouad Laroui dans sa course vers un deuxi?me Goncourt. Non que son r?cent roman ??Les tribulations du dernier Sijilmassi?? ne m?rite pas ce prix prestigieux. Je suis un lecteur assidu de tout ce que ce talentueux ?crivain publie et parfois un lecteur qui a beaucoup de plaisir ? le lire, qui esp?re qu?il r?ussisse ce que Romain Gary a r?ussi d?une toute autre mani?re.

La premi?re de ces choses est son humour ? tout va. Voil? un auteur qui ne peut s?emp?cher d?ironiser ? chaque ligne, ? chaque mot. Il a cet art de s?amuser avec les mots m?me si ce jeu devient facile, trop facile, ne s?interdisant pas et n?h?sitant pas offrir ? un lecteur parfois irrit? une pirouette pr?visible et somme toute peu instructive. Parce que Fouad Laroui dit qu?il aime les livres o? le lecteur s?instruit et la premi?re des instructions est celle qui l?instruirait sur le langage. Ses jeux de mots nous instruisent peu sur les subtilit?s de la langue fran?aise, font ? peine sourire et souvent produisent des malentendus comme celui que l?auteur vit difficilement et malheureusement ? propos de l?identit? amazighe.

Arrivera-t-il comme il le souhaite, ? trouver les mots justes pour convaincre ses lecteurs d?origine berb?re que ceux qu?il a utilis?s dans son billet de la revue ??Jeune Afrique?? ne sont ni vexants, ni offensants, ni blessants??

Il lui faudra pour cela beaucoup de talent.

La deuxi?me chose est l?inflation des citations. Dans un r?cit qui se veut roman, c?est ??pesant??. Sauf si le but de l?auteur est de nous faire le portrait d?un cadre, ??produit?? d?une culture ?trang?re, f?ru de litt?rature et de philosophie universelles. Ce portrait toutefois a ?t? suffisamment camp? quand il nous l?a pr?sent? comme un ?l?ve de la ??mission fran?aise au Maroc??. Quand il abordera son retour aux sources vers les auteurs anciens de sa propre culture, ces citations r?v?leront le foss? qu?il y a entre son trop plein de connaissances dans la culture ?trang?re et la pauvret? dans la sienne. Cette r?v?lation aurait pu et d? ?tre la source d?une analyse psychologique suffisamment abondante pour faire du personnage un personnage de roman ?mouvant.

Fouad Laroui n?a fait qu?effleurer ce foss?. M?me le titre semble ?tre une combinaison facile de deux titres de romans?: ??Les D?sarrois de l??l?ve T?rless?? de Roland Musil, et ??Le dernier des Abenc?rage?? de Chateaubriand. Je ne sais si la troisi?me chose attirera l?attention des membres du jury Goncourt. Je souhaite que non. Je souhaite surtout qu?elle ne soit pour rien dans une disqualification si disqualification il y a.

Deux personnages politiques importants dans l?histoire contemporaine du Maroc sont souvent ?voqu?s dans ce r?cit?: l?ancien ministre de l?Int?rieur Driss Basri qui devient un simple policier des renseignements mais garde son nom propre, que l?auteur utilise abondamment et le d?funt leader d?un courant politique?: Cheikh Abdessalam Yassine qui appara?t sous le nom quelque peu d?sobligeant de Bassine.

Qu?on cr?e des personnages d?un roman ? partir de personnages historiques r?els, c?est une pratique et une technique courante et utilis?e avec virtuosit? par beaucoup de romanciers. Qu?on utilise leurs propres noms, c?est rare. Pour que cet usage soit op?rationnel dans le r?cit il faudrait toutefois une distance historique entre la publication de l??uvre et le personnage choisi qui fasse qu?il n?y soit que personnage de roman. Ce n?est pas le cas pour cette publication et l?histoire n?a pas encore dit son mot ou ses mots sur les acteurs politiques du Maroc moderne. Je comprends que l?auteur transcende le dit qui conseille?????? ???????? ???? ???????????

Il est ?crivain et tout ?crivain est libre d?imaginer ses personnages comme il le veut. Il se trouve toutefois que ce qu?on appelle des romans ? cl?s soient plus suggestifs et plus instructifs qu?un d?voilement trop ?vident de ce que l?histoire a laiss? dire mais qu?elle n?a pas encore confirm?.

Dans une d?claration, l?auteur parle des ??P?rip?ties du dernier Sijilmassi??, et non de tribulations, mais si je crois le dictionnaire, p?rip?tie n?est pas synonyme de tribulation. Tout le sens du roman change.

Fouad Laroui nous dit dans un entretien, que pour apaiser le choc des cultures qui bouillonne dans le cerveau d?rang? de Adam, son personnage, il ??propose des voies de sorties??, mais de sortie, il n?en propose qu?une?: la d?faite de l?esprit critique, de la modernit?, le renoncement, le refuge dans le ?silence?? (le dernier chapitre du roman ne s?intitule-t-il pas Silence??), l?aphasie, la nudit?, l?absence, la peur, la mort.

Le dernier de Sijilmassi, s?appelle Adam, comme le ??premier homme??, (une des ultimes expressions du r?cit) mais contrairement ? Adam, le premier des hommes, le plus courageux puisqu?il a d?fi? l?arbre de la sagesse pour atteindre la connaissance, l?ing?nieur Adam, nu au bord de l?oc?an, a renonc? aux lumi?res de la connaissance pour assombrir l?avenir des hommes.

Comme morale de l?histoire, et comme voie pour s?en sortir, je pr?f?re les souffrances du changement du rythme du changement de la modernit?, aux sombres cauchemars de la lenteur de l?histoire.

L?ironie dominante du r?cit m?a fait ? peine sourire. C?est avec un rire ??H?naurme?? que j?ai ferm?, ce roman, digne de tous les prix litt?raires de cette rentr?e.

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