Larbi Ben Mbarek, la perle noire

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Michel Drucker, grand fan de Larbi Ben Mbarek, qui l’avait reçu lors de sa célèbre émission "Champs Elysée" en février 1989, avait expliqué que «Si la télé avait existé dans son temps, il en aurait été la star »

Un footballeur qui n'avait pas son pareil. Larbi Ben Mbarek est le premier dans le monde, bien avant le roi Pelé, à avoir porté le sobriquet de "Perle noire". Son nom n’est plus connu actuellement que par les historiens du football international car si nul n’est jamais prophète en son pays, au niveau national celui qui a fait la saga du football mondial de 1938 à 1954, a été oublié par l'avidité d'un milieu footballistique ingrat et indifférent vis-à-vis de son patrimoine sportif. Il est né dans l'ancienne médina casablancaise le 16/06/1914 (cette date sera modifiée pour lui permettre de jouer à l'USM mais le doute plane sur son année de naissance réelle). Il fut un des premiers joueurs à symboliser un football tricolore prenant racine bien au-delà de l’Hexagone. La pluralité des origines était déjà source de richesse chez le onze des Coqs. Son défaut : il est venu au monde un peu plus tôt. A un moment où la télévision était encore à ses débuts balbutiants, donc incapable d'immortaliser ses exploits. Michel Drucker, grand fan de Larbi Ben Mbarek, qui l’avait reçu lors de sa célèbre émission "Champs Elysée" en février 1989, avait expliqué que «Si la télé avait existé dans son temps, il en aurait été la star ».

Jeune orphelin, il habitait au quartier Cuba (près de Sour Jdid) et dès ses débuts au terrain « Lemreziga », où se situe actuellement la grande Mosquée Hassan II, l’enfant Larbi faisait classe de ces caractéristiques « brésiliennes », celles des artistes de la balle et des enfants pauvres qui oubliaient la misère en s’amusant, recherchant beauté, bonheur et plaisir dans le jeu. Dès l'âge de 14 ans, il a exercé comme son père, originaire de Tata, le métier de menuisier. A cet âge là, il commença à jouer avec le FCO (Football Club El Ouatane), petite équipe de quartier. En 1934, il intégra l'équipe casablancaise de l'Idéal, modeste club de la D 2 marocaine de l'époque où il y retrouva son ami d'enfance Cerdan. Lors de son tout premier match, Larbi affronte la redoutable formation de l'USM, triple vainqueur du championnat d'Afrique du Nord. Il marque deux fois au cours de ce match et aide activement son club à s'adjuger une bonne 3ième place en championnat. Habitué à jouer pieds nus, il souffrira longtemps avec les chaussures à crampons qu'il était désormais tenu de porter. En coupe du Maroc, il a pu atteindre avec son club la finale (1935), mais s'incline face au RC Marocain. Sa première sélection avec le Maroc fut lors d’un match contre la Ligue algérienne d'Oran. Une année a donc suffi au jeune Larbi pour s’illustrer au point d'intéresser l’USM, club créé en 1913.

Outre stature, élégance et style qui le favorisaient, il était un attaquant, un passeur et un créateur des deux pieds ou de la tête. En pleine ascension, il quitte, en 1935, l'Idéal pour l’USM, grand club du protectorat, qui lui procura un travail de pompiste. Il ne commence véritablement à évoluer sous ses nouvelles couleurs, bleu et rouge, qu’en septembre 1936. Dès sa première année chez l’USM, un talent aussi extraordinaire ne pouvait pas laisser indifférent le sélectionneur national, il fut ainsi sélectionné dans l'équipe du Maroc, qui joua en avril 1937 à Casablanca contre les onze « B » de la France , le match se termina par une victoire française (4 à 2). Malgré la défaite, le meilleur des vingt deux étonna les journalistes français qui devinèrent alors une étoile de la balle. Il commença ainsi à susciter les convoitises des grands clubs français. Au début de l’été 1937, l’USM refusait  une offre de l’Olympique de Marseille pour recruter le jeune marocain. Lors de sa deuxième année avec l’USM, il remporte son premier championnat du Maroc et joue, le 12/06/1938, la finale de la Coupe Steeg (Championnat d'Afrique du Nord des clubs) face aux Algériens de Bône (match perdu 3-1). La presse métropolitaine, en admirant ses dribbles inédits, son élégante foulée qui perforait les défenses adverses et ses passes qui étaient des demi-buts, commence à lui consacrer plusieurs articles élogieux. Devant l’insistance des responsables marseillais, l’USM, qui ne voulait pas lâcher son joueur, accepta finalement l'offre exceptionnelle de 44 000 francs. C’est par la mer, le 28/06/1938, que débarqua à la Joliette marseillaise Larbi Ben Mbarek. Dès les premières minutes de son premier match, il illumine un public marseillais habitué au soleil et à la lumière du chaud et chaleureux port provençal. Une passe décisive au buteur Kohut et deux de ses buts scellent un implacable 5-2 de l´Olympique de Marseille face au grand Racing de Paris. Quelques jours auparavant, en préparation de la saison, il avait endossé huit buts aux anglais de Southend. Il s’est ainsi imposé très vite chez le club phocéen par un sens du but inné axé sur un remarquable jeu de tête et une frappe de balle surpuissante. Véritable idole de Marseille après quelques matches, il connaît sa première sélection sous le maillot tricolore le 4 décembre 1938 devant l’Italie et tout semble lui promettre un avenir étincelant. Hélas, après une année splendide à l´OM, la seconde guerre mondiale va amputer sa carrière. Entre 1939 et 1945 il retourne à l’USM avec qui il remporte 5 titres de champion d’Afrique du Nord. Lors d'une rencontre disputée en 1941, la sélection marocaine arracha le nul aux tricolores. A l'aile droite, jouait Cerdan. Sur passe de ce dernier, Ben Mbarek marquera le but de l'égalisation. Moins de matches et d’écho international, mais plus de brio et de maturité, font que les six années de guerre passées, le Stade Français l’engage pour une prime de transfert de 1 million de francs, après un match amical au Maroc où Larbi avait été démon selon les critères journalistiques admiratifs.

Grâce à sa magie, son élégance et son efficacité, il retrouve l’équipe de France et y restera titulaire jusqu'en 1954. Max Urbini, chroniqueur sportif, avait écrit : «Larbi était le poète du football. Il était plus élégant et plus esthétique que Pelé». En 1947, il retourne au Maroc et ne revient une nouvelle fois à Paris que lorsque le Stade Français, par le biais de son ami et ancien casablancais Herrera, accéda à ses légitimes exigences. En 1948, acheté à prix d’or (17 millions de francs) par l’Athlético Madrid, son transfert provoqua un grand désespoir chez les supporters parisiens et de nombreuses réactions en France. Un journaliste parisien avait écrit: « Vendez l’Arc de Triomphe ou la Tour Eiffel , mais ne vendez pas Ben Mbarek ». Un autre du Miroir des Champions: « Jamais un footballeur ne fut autant célébré par le public que Ben Mbarek, il enchante tout le monde, ceux qui pensent le football comme ceux qui le sentent, car son style est extraordinairement spectaculaire ». Chez les madrilènes, le style unique de la nouvelle « perla negra » de « l´attaque de cristal », avec le suédois Carlsson, Escudero, Juncosa et Pérez Paya, va encore faire sensation au stade « Metropolitano » et dans la Ligua espagnole. Le quotidien sportif espagnol Marca disait de lui: « un phénomène, sans artifices, à la classe prodigieuse, avec une touche de balle merveilleuse, une intelligente et superbe conception du jeu ».

En cinq saisons, il a remporté deux titres de champions d’Espagne (1950 et 1951) en marquant 56 buts. L'Olympique de Marseille, en mauvaise position dans le championnat, racheta son contrat en 1953. Grâce à lui, non seulement le club phocéen améliora sa position en Ligue1 mais a pu aller jusqu’en finale d’une Coupe de France perdue contre Nice d’Abderrahman Belmahjoub (2-1, le 24 mai 1954 au stade Yves-du-Manoir à Colombes), autre ténor du football marocain. Programmée au profit des sinistrés du terrible tremblement de terre qui a ravagé la région d'Orléansville en Algérie en septembre 1954, la rencontre qui se déroule au Parc des Princes le 7 octobre entre l'équipe de France et une sélection d'Afrique du Nord conduite par Ben Mbarek comme capitaine permettra à ce dernier d’effectuer un dernier retour chez les bleus. Les nouveaux sélectionneurs d'une équipe de France en mal d'inspiration et au creux de la vague après son élimination en phase de qualification pour la Coupe du monde 1954, Pierre Pibarot et Paul Wartel sont sceptiques : Larbi Ben Mbarek est trop vieux, sa carrière est terminée et de plus il n'entre pas dans les plans tactiques fondés sur un strict WM que le joueur olympien ne saura pas respecter. Profitant de la rencontre amicale, sous la pression de tout le public français, ils offrent toutefois à « la perle noire » la possibilité de faire ses preuves au sein de la sélection Nord-africaine pour pouvoir retrouver les bleus pour le match du 16/10/1954 contre l'Allemagne toute récente championne du monde en guise d'inauguration du stade flambant neuf de Hanovre. Il emmène donc une équipe brillante de joueurs marocains, algériens et tunisiens qui évoluent tous dans des clubs français comme le Monégasque Zitouni, le Troyen Bentifour et le prince du parc Belmajhoub. A la surprise générale la sélection d'Afrique du Nord surclasse une pâle équipe de France dans un Parc des Prince médusé. A l'issue du match, les sélectionneurs, déroutés et craignant le ridicule, révisent leur position et modifient leur stratégie pour le match d'Hanovre. Ils sélectionnent et titularisent Ben Mbarek pour ce qui sera sa dernière apparition sous le maillot tricolore. Il terminera sa carrière professionnelle en 1955 à Marseille et rejoignit alors sa terre natale, après un bref passage par l'équipe algérienne de Sidi Bel Abbés, où il sera entraîneur-joueur chez les clubs de la capitale, FUS et Stade Marocain.

Il y a 25 ans (le 16/09/1992), « la perle noire » a quitté ce monde dans la solitude la plus exécrable. L'ingratitude et la marginalité, il les a connues et vécues jusqu'au jour de son trépas. Son corps n’a été découvert qu’une semaine après sa mort. Il n’a pas connu le foot-business pour commercialiser son image mais pour les supporters du beau football, il restera à jamais une étoile de la galaxie footballistique. Si le 8 juin 1998 à Paris, la FIFA lui a décerné, à titre posthume, la médaille de l’ordre du Mérite, chez nous depuis sa triste mort, personne n’a daigné honorer sa mémoire.

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