Jerada, il fallait peut-être aussi fermer la ville ?

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Vendredi, Jerada ville morte. La grève générale a été strictement observée, et à peine si les mosquées n’ont pas suivi le mouvement en cette journée de prière.

Depuis le décès de deux frères qui survivaient grâce à l’exploitation clandestine d’une mine de charbon, la ville vit au rythme d’une contestation pacifique, sans heurts et sans affrontements, sans discours fanfaronnant ni phrases grandiloquentes.

Les petites gens de cette ville où il n’y a que des pauvres, qui ont porté sa richesse dans leurs poumons ravagés par la silicose, ne demandent qu’une chose, vivre un peu correctement, si possible dignement.

A la fin des années soixante-dix, où la houille donnait encore tout son rendement, j’ai eu à couvrir une grève des mineurs dans une ambiance digne de L’ETAT DE SIEGE de Costa Gavras.

Malgré l’intense activité minière, la vie n’y était guère meilleure. Sauf pour les nantis, cadres des Charbonnages, agents d’autorité et notables qui avaient leur propre quartier, un ghetto de luxe construit par les premiers Français arrivés sur les lieux.

Ville minière peuplée de « gueules noires », Jerada a toujours exhalé la tristesse gérminalesque de l’exploitation de l’homme par l’homme. Un homme la connait bien, Driss Benhima. C’est lui qui a patronné il y a à peu près 20 ans la fermeture des mines. Dans Medias  24, il explique les raisons de sa fermeture : « son exploitation n’était plus viable économiquement », ce qui est vrai, « et était intolérable sanitairement pour les mineurs qui étaient confrontés à une maladie affreuse, la silicose », ce dont tout le monde se foutait tant qu’elle était rentable.

Driss Benhima ajoute que « la poursuite de l’exploitation clandestine s’expliquerait par le fait que […] beaucoup d’argent s’est déversé sur la ville de Jérada pendant 70 ans », sans nous dire où il est allé, mais « aucun investissement pour créer d’autres activités pourvoyeuses d’emplois [ne s’y est fait] car cette région enclavée ne s’y prête pas.» Pourtant son enclavement, qui n’est pas une fatalité, n’a jamais empêché l’extraction de son charbon, prêt à tous les sillages, ni son acheminement vers d’autres lieux, vers d’autres rivages.