Le péché originel de Benkirane

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Finalement, au bout de cinq mois, le Roi a actionné l’article 42 de la constitution qui en fait « le garant de la pérennité et de la continuité de l’Etat » et le gardien du « respect de la constitution [et du] bon fonctionnement des institutions constitutionnelles ».

En vertu de ces fonctions, le souverain a mis fins à la mission de Abdalilah Benkirane de former un gouvernement. Après cinq mois d’atermoiements et d’un jeu égotique inqualifiable, il était temps, grand temps.

La première remarque qui s’impose est que Mohammed VI est resté dans la lettre de la constitution en décidant de désigner un nouveau chef du gouvernement parmi la direction du PJD, formation que préside le même Abdalilah Benkirane.

La balle est donc dans son camp.

S’il leur passe par la tête de ruer dans les brancards, le Roi a toujours la latitude de passer à l’esprit de la loi fondamentale. L’article 47 étant silencieux sur les suites à donner en cas d’échec du chef de gouvernement désigné à former un nouveau cabinet, le Roi, en vertu de son statut de monarque et en vertu de l’article 42, a la faculté de décliner les différentes interprétations auxquelles l’article 47 peut donner lieu.

C’est, entre autres, dans ce sens qu’il faut comprendre le soin mis par le communiqué du cabinet royal pour préciser que la décision de « désigner une autre personnalité politique du même parti de la Justice et du Développement en tant que chef de gouvernement » s’inscrit « parmi toutes les autres options qu’accordent [au souverain] la lettre et l’esprit de la constitution [… afin] de consolider le choix démocratique et de préserver les acquis réalisés par notre pays dans ce domaine ».

L’avenir reste en conséquence ouvert sur plusieurs perspectives et s’il on en est là c’est parce que A. Benkirane a mal appréhendé le rapport de force au sein du Royaume. Avec une première place aux législatives, il s’est arrogé le droit de parler au nom de tout un peuple dont 57% ont boudé les urnes et sur les 43% qui ont pris part au scrutin, moins de 28% se ont portés sur le PJD. En ajoutant à cela les ambigüités de son discours et ses crâneries on achève le portrait d’un homme politique qui a été prometteur, mais qui est passé à coté en faisant des contingences de la politique une affaire personnelle où se mêle à la susceptibilité et l’orgueil, une forme de phallocratisme politique.

Dès le jour de sa désignation au lendemain des élections du 7 octobre 2016, il a été clairement expliqué à Benkirane qu’on ne change pas une équipe qui gagne. A une attitude réfléchie, il a préféré abandonner ses alliés de la veille pour tenter de former la « Koutla historique » qui additionnerait les islamistes et les partis de la défunte Koutla démocratique.

Tout ce qui a découlé de ce péché originel n’est que la conséquence et le résultat de ce qu’il faut bien appeler l’immaturité politique de Benkirane qui a été sensible aux sirènes de quelques éditorialistes qui le poussaient au durcissement plutôt qu’aux messages publics que lui a adressés le Roi. ¨Par deux fois.

La première en dépêchant auprès de lui deux de ses conseillers, un grand économiste et un éminent constitutionnaliste, la deuxième fois en lui expliquant, au vu et au su de tout le monde dans le discours de Dakar, que la politique n’est pas une question d’arithmétique.

Mais visiblement, ses outils d’audition étaient brouillés par d’autres déclamations.