Ces sables mouvants des libertés individuelles

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Je suis une femme libre. Pas un lustre. Je fais partie de cette g?n?ration qui a v?cu la chute du mur de Berlin, qui croit ? l?universalit? des principes des droits humains. Je fais aussi ?partie aussi de cette g?n?ration de Marocains qui a assist? avec une immense ?motion ? un d?but de r?conciliation gr?ce ? la commission v?rit? marocaine. Je n?ai pas connu les ann?es de plomb et de braise. J?ai par contre v?cu ces pages sombres de notre histoire qui ont ?t? lues avant d??tre tourn?es. Elles n?ont certes pas toutes ?t? lues. Des myst?res continuent de planer. Des disparitions n?ont toujours pas ?t? ?lucid?es. Des familles n?ont toujours pas fait leur deuil. Les responsabilit?s n?ont toujours pas ?t? d?finies. Le chemin de la d?mocratie est long, tortueux, douloureux. En 2016, les chemins de la libert? n?ont jamais autant ressembl? ? des sables mouvants.

??La libert? advient par une ligne blanche qui marque les confins du jour et de la nuit??, ?crivait Ren? Char. ?

G?n?rale ou individuelle, la libert? est une, indivisible, universelle. Surtout pas ? g?om?trie variable. La libert?, cette libert? que je d?fends de toutes mes forces ne s?embarrasse pas de qualificatifs qui sont autant de justificatifs ? l?injustifiable. Non, je ne crois pas ? cette libert? conditionnelle et surveill?e o? le conservatisme et la religiosit? ne sont ?jamais loin. Je crois ? la diff?rence et plus encore au respect de la diff?rence. ?

Je suis une femme libre. Une journaliste aussi. Les mots sont l?ultime rempart contre les ??ismes?? qui menacent ce pays auquel nous appartenons avec fiert?. Archa?sme, conservatisme, populisme, extr?misme. Je suis journaliste et c?est justement dans les mots que l?on veut interdire que je mesure le recul de nos libert?s. L?apr?s 2011 n?a pas ?t? un printemps des libert?s chez nous. C?est ? l??preuve de ?la libert? de presse et d?expression que ??le gouvernement ?lu conduit par M. Benkirane le leader du PJD s?est r?v?l?, donnant ? voir sa conception des libert?s. En 2015 et selon le classement de Freedom House le Maroc est ? la 145?me place sur 199 en mati?re de libert? de presse. Sous ce gouvernement, ?lu ? la faveur d?une vague libertaire ? laquelle nous avions cru, des journalistes ont ?t? envoy?s en prison. Des journalistes sont poursuivis pour atteinte ? la s?ret? int?rieure de l??tat. Des journalistes sont expuls?s. Conform?ment au projet de code de la presse actuellement devant le parlement, on continuera de juger les journalistes en utilisant des articles du code p?nal comportant des peines ?videmment privatives de libert?. Autant dire que l?on continuera d??difier des b?chers aux journalistes jug?s dans des proc?s en sorcellerie?

Sous ce gouvernement aussi, la censure ne s?est jamais aussi bien port?e. On a censur? au nom de la religion. On a censur? au nom de valeurs. Islam, que de crimes sont commis en ton nom depuis 4 ans.

Je suis une femme libre et une journaliste libertaire. Je refuse la mise sous tutelle que veut m?imposer le ministre de la communication. Je refuse qu?il pense ? ma place. Qu?il d?cide pour moi, d?cide de mes go?ts, ?me dire le film que je peux voir ou pas, l??mission de t?l?vision que je peux suivre ou pas, le magazine que j?ai le droit de lire ou pas. M. Khalfi a ses propres opinions. Il est port? par l?id?ologie qu?il d?fend. Il a sa vision de la soci?t?. Elle n?est pas la mienne. Elle n?est pas celle de cette majorit? silencieuse qui croit ? l?universalit? des principes des droits humains dont celui, fondamental, de la libert?. Une majorit? encore silencieuse qui est convaincue que les Marocains ont droit ? la d?mocratie telle que d?finie universellement, pas celle que ceux qui nous gouvernent veulent nous imposer. Aur?ol?e de sp?cificit?s marocaines, cette d?mocratie selon eux me fait fuir.

A l?art propre, je pr?f?re l?art tout court. Cela ne fait de moi ni une impie ni une provocatrice imp?nitente. J?ai condamn? avec toute la force de mes convictions l?interdiction de ??much loved?? de Nabil Ayouch. ?Peu importe la qualit? artistique de ce film. C?est une question de principes. J?ai condamn? avec la m?me force la censure d?Exodus, le film de Ridley Scott. Est-ce ? dire que je n?ai pas le m?me Dieu que celui qui a d?cid? de la censure de ce film qui raconte l?exode du Proph?te Mo?se?? Le censeur a vu la repr?sentation de Dieu. ?J?ai vu quant ? moi une m?taphore, une ellipse dans une ?uvre cin?matographique. Et Dieu dans tout cela??

Question culte et pour laquelle toute r?ponse est forc?ment personnelle et s?rement pas collective, format?e et uniforme.

Je suis une femme libre et jamais je ne me r?soudrai que dans mon pays les relations sexuelles entre deux adultes non mari?s continuent d?envoyer en prison m?me si elles sont consenties. Je suis de celles qui d?fendent le principe tellement simple, tellement ?vident du droit de la femme de disposer de son corps. Est-ce que je mets en p?ril la soci?t? en ?mettant un tel principe??

Jamais je ne me r?soudrais au fait que dans mon pays l?homosexualit? est toujours un d?lit. Je suis journaliste et en l?an de gr?ce 2015, j?ai eu ? couvrir une actualit? ?douloureuse et indigne, une actualit? qui interroge notre capacit? ? aller de l?avant. Le proc?s des filles en jupe d?Inezgane, victime d?une foule qui hait les jupes r?sonne encore dans mes oreilles. Les images ?du suppos? ?travesti lynch? par une meute aveugl?e par la haine en ?pleine rue ? F?s tournent en boucle dans ma t?te. Mais Je n?avais encore rien vu.

Le pire allait se produire en 2016. Il y a quelques semaines ? peine. A Beni Mellal, deux hommes suppos?s homosexuels sont massacr?s ? l?int?rieur m?me de leur domicile parce qu?ils seraient homosexuels. ?Et comme si l?indicible et l?innommable ne suffisaient pas, ce sont les victimes que l?on a commenc? par emprisonner?Ceci n?est pas mon pays. Ceci est un mod?le de soci?t? que certaines forces ?entendent installer en semant les graines de l?intol?rance et du rejet de l?Autre qu?il soit femme, travesti, homosexuel et plus simplement toute personne qui est convaincue de l?universalit? des principes li?s ? la libert?. Comme les minorit?s, les femmes de ce pays ont toujours ?t? le maillon faible de toute r?forme en qu?te de progr?s et de modernit?. Je ne veux pas ?tre une exception marocaine, porter une fausse marque de fabrique construite sur une tol?rance perdue. Je veux ?tre une citoyenne libre, forte de ses droits et respectueuse de ses devoirs.

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