Carlos Gatsby Ghosn le Magnifique

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Trois nationalités, quatre passeports, une évasion rocambolesque et, à son actif, dit-on, l’ajout d’une heure à l’heure locale du Maroc qui a fait tant de bruits et provoqué quelques manifestations de Lycéens. Une figure aussi, ni belle ni laide, facile à transfigurer sous la plume d’un habile dessinateur en gueule d’un poisson carnassier. Quand il compte, c’est n zéros à la droite d’un chiffre x qui crépitent. Pour célébrer son entrée dans le cercle des sexagénaires, c’est Versailles et des lumières qui, de jalousie, feraient se retourner le roi soleil lui-même dans la fosse commune où ses restes, profanés par la révolution, se sont perdus à tout jamais. 

Quand il voyage, Carlos Ghosn, c’est jets privés, et, je fantasme, champagne à gogo, et tant qu’à faire c’est en jet privé qu’il s’est fait la malle de la forteresse nippone tapi dans une grande valise que Louis Vuitton revendiquerait bien volontiers. Quand il convole c’est encore Versailles et rien n’est jamais assez vaste pour son impériale grosse tête et sa folie des grandeurs toute orientale. Pourquoi s’en priverait-il, le personnage dîne avec les rois et tutoie présidents. C’est un Gatsby Le Magnifique, aussi charismatique, cependant moins beau que Léonardo De Caprio qui l’incarne au cinéma. Argent à flot, passé trouble et débauche de luxe qui provoque l’envie vénéneuse et le dédain dissimulé de ses partenaires au travail et des convives d’une soirée qui abusent de ses largesses et supportent (mal) les frasques de ses succès. Et derrière les rideaux de son enfance, un cadavre dans le placard. C’est que l’histoire ne serait pas une histoire si Carlos Gatsby Ghosn le Magnifique ne comptait pas dans son ascendance un père condamné à mort car présumé assassin d’un prêtre, qui a tâté aux diamants et prend la poudre d’escampette pour échapper dans le grand Brésil aux fantômes d’un passé aux relents méphistophéliques. 

 Le meilleur passeport que compte l’humanité

Phénicien par ADN ou par culture, ou par culture et ADN, au milieu du film de sa vie, Carlos Gatsby Ghosn est un capitaine d’industrie. Un faiseur de miracles aux doigts de fée qui transforme la tôle en or et sort Renault de la mouise harponnant au passage le japonais Nissan. S’il y arrive, ce n’est certainement pas en jouant du violon ou en laissant un cœur d’artichaut battant dans sa cage lui dicter ses raisons. S’il l’avait pu il aurait racheté Moulinex rien que pour faire de ceux qui se dresseraient sur son chemin de la viande hachée pour haillons affamés. Brasseur d’argent et broyeur d’hommes, il séduit jusqu’à Barak Obama qui lui offre un pont d’or pour venir sortir de la crise l’automobile américaine. Curieusement, il dédaigne les millions de dollars et préfère en rester aux euros. L’homme est au pinacle de sa puissance, il survole les cimes et taquine le ciel. C’est un proverbe chinois qui le dit, plus haut tu montes plus dure sera la chute, mais Gatsby Ghosn le Magnifique à sous lui pour amortir le contact d’avec le sol un bon matelas en devises estampillées du sceau du meilleur passeport que compte l’humanité, le sonnant et trébuchant. Aux dorures de ses vastes salons il va vite s’accommoder de son étroite et rustique cellule et se contenter pour son déjeuner d’un frugal repas de cantine pour jeunes écoliers. Une petite crevette grise et un maigre sushi.  Son bain quotidien aux senteurs de l’Orient devient deux ratios d’eau tiède par semaine. Une cellule exigüe sans fenêtre, aucune montre pour passer le temps à compter le temps qui passe, lumière allumée de jour comme de nuit. Sans que rien du régime spartiate que lui infligent ses anciens associés nippons ne vienne affecter son mental. Carlos Gatsby Ghosn le Magnifique se révèle aussi un intrépide Samouraï, sans le faible de ceux-ci pour le hara-kiri parce que lui on ne lui a pas inculqué qu’un reproche mérité était plus à redouter que la mort même. Aussi, on peut imaginer aisément que pour organiser sa fuite, il n’a reculé ni devant les risques ni devant le coût de la grande évasion.   

Son arrestation au Japon lève le voile sur la justice impériale et révèle au monde que l’admirable empire instruit à charge et possède un système carcéral plus proche du bagne médiéval que du fascinant pays ultra-technologisé où il a été incarcéré. Pour son malheur, son chemin avait croisé celui du plus libéral des ministres du socialiste François Hollande, un certain Emmanuel Macron qui deviendra le fringant hote de l’Élysée que l’on sait. Celui que l’on surnomme le président du Cac 40 faisait paradoxalement, bien avant son accession à la magistrature suprême, une fixation sur son salaire mirobolant, n’appréciait guère son autonomie, pas plus qu’il ne goûtait à la flamboyance de ses postures. Il finit par livrer le PDG de Renault - Nissan pieds et mains liés à la vindicte populaire d’une France qui entretient une relation schizophrénique avec l’argent. En tombant, Ghosn le Magnifique se rend compte que son Brésil natal est incertain, et pressent que sa patrie d’adoption le lâche, et n’a à sa portée de refuge sûr que l’ombre tumultueuse des cèdres de ses origines, le Liban. Comme après son invasion les journalistes lui demandent s'il ne se sentait pas "lâché" par les autorités françaises, il répond par des questions : "A ma place vous vous seriez senti comment ? Soutenu, défendu, lâché, neutre ? » Moins de vingt-quatre heure après sa conférence de presse au Liban, la très officielle Agence France Presse se fend d’une longue dépêche : « Droit pénal japonais : les critiques de Ghosn, les réponses des spécialistes ». Les spécialistes ? Des juristes japonais. En bref, la justice nippone a raison, Ghosn le Magnifique, désormais personnage de roman convoité par Netflix, a tort. Si fort et si bien que l’on se demande si celui qui a fait le bonheur de Nissan et de Renault, aurait été soumis par ses concitoyens au même traitement s’il avait été un Français de souche? Ce n’est pas une question, juste une affirmation.