D’Ibn Taymiyya à Benkirane

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Qui est Ibn Taymiyya, le théologien auquel se réfère Benkirane et dont la vie alterna liberté et captivité jusqu’à sa mort en 1308 dans une prison de Damas ? Vaste question

Dans un élan lyrique à Agadir, le secrétaire général du PJD, Abdalilah Benkirane a déclaré que « nous n’allons pas renier nos Oulémas et nos théologiens », se référant directement à Ibn Taymiyya et sa vie qui alterna liberté et captivité jusqu’à sa mort en prison à Damas en 1328. Cet élan pour le martyre et le martyr provoqua une onde de choc chez tous ceux qui considèrent Ibn Taymiyya comme l’incarnation du rigorisme le plus fermé et le traditionalisme le plus hermétique. L’homme est marqué par l’école hanbalite fondée par Ahmed Ibn Hanbal qui fut lui-même cinq siècles auparavant l’objet d’une inquisition à l’envers menée par le calife abbasside Almamoune dont la pensée était portée plutôt sur la rationalisme et la raison. On le soupçonna même d’avoir été sous l’influence des Mutazilites et son règne a donné forme, souligne Ziauddine Sardar dans Histoire de La Mecque  à « l’une des périodes les plus riches et fertiles aux plans scientifiques et philosophiques de l’histoire humaine ». En bref, rien que ce qui pouvait horripiler cet « grande figure du traditionalisme de son temps » qu’est Ahmed Ibn Hanbal. Son ouvrage Ibtal At’wil, un véritable réquisitoire contre l’interprétation, synonyme d’apostasie, et l’imposition du littéralisme dans la compréhension du Coran et de Dieu, constitue un ouvrage de référence pour Ibn Taymiyya.

Est-ce suffisant pour réduire ce dernier à la représentation qu’on fait de lui : Inspirateur du jihadisme, auquel il a consacré un volume de son œuvre pour inciter au jihad contre les Mongoles, et guide spirituel des jihadistes contemporains ? Chercheur et auteur prolifique pour ne pas dire prolixe, voire tautologique selon certains, le personnage est plus complexe et son œuvre peut couvrir cinq mètres de rayonnage et avoisine les six cents ouvrages. Je vous rassure, je n’en ai lu aucun et je ne crois pas non plus que Abdalilah Benkirane ait une connaissance exhaustive de la production d’Ibn Taymmiyya et on peut, donc, être en droit de lui demander d’aller voir d’un plus près tout cela avant de nous parler de ce personnage d’un Islam à cheval entre le sixième et le septième siècle de l’hégire. Le théologien et jurisconsulte a ses admirateurs et ses détracteurs. Les premiers en font ce qu’en font Benkirane et ses amis. Ses défenseurs accusent certains de ses adeptes et disciples d’en faire un usage tronqué. Ainsi les Saoudiens sont-ils accusés d’amputer les éditions qu’ils supervisent de ce qui ne les arrange pas. D’autres de ses soutiens avancent qu’Ibn Taymiyya a évolué avec l’âge et ses derniers écrits seraient plus ouverts et moins dogmatiques que ses premiers ouvrages. Quoi qu’il en soit, il reste un personnage controversé et son nom, comme celui d’Ahmed Ibn Hanbal, est accolé pour toujours au wahabisme et notamment sa déclinaison la salafiya jihadya. Et Benkirane, au lieu de nous le ressortir sept siècle après son décès, serait mieux inspiré d’être le Ibn Taymiyya de son époque avec les moyens d’investigation et de recherche que lui offre son temps.

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