Rabat, ma nostalgie

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Rabat  et  ses « plages de l’Atlantique : les Sables d’or, la Felouque, Rose Marie, Skhirat, où les filles pouvaient aller seules sans jamais se faire embêter, du temps où les barbus, sympathiques et chevelus, étaient tous de doux hippies rêveurs ou des militants de gauche… »

Secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume, directeur du Collège Royal, Abdejlil Lahjomri est un amoureux de Rabat, sa ville natale. Toujours la faire aimer, il en fait son combat. Parce qu’il trouve que Rabat est mal aimé et méconnu. Dans une série de récits que j’ai eu le plaisir de publier dans le Quid, il a remonté l’histoire de la capitale avec étonnement, curiosité et beaucoup de délectation. Je ne suis pas natif de Rabat, mais j’y ai vécu mon enfance, mon adolescence, ma jeunesse et je ne veux pas encore parler de ma vieillesse. Dire que je suis sensible à tout ce qui touche à cette cité, est une évidence qu’il fallait tout-de-même rappeler. Mais Rabat a longtemps été délaissé par les siens et par ceux qui y viennent ; pour y travailler, y étudier ou densifier et ruraliser sa périphérie sous la pression de la démographie et de l’exode. Auparavant Abdejlil avait publié, toujours dans le Quid, une réplique à une doctorante canadienne qui a osé se demander dans sa thèse si « les Rbatis existent-ils ». J’ai encore en tête le titre de cette chronique où Abdejlil déclame sa flamme à son « Rabat, mon amour ». « Déjà que j'avais toujours eu le sentiment que Rabat était la plus mal aimée des villes de mon pays, alors qu'elle en est l'ornement, voilà qu'une étude s'amusait à en rendre l'identité ambivalente », hurlait-il dans un déchirement du cœur.

C’est un joli texte, « Rabat aux yeux d’une amie non-Rbatie » que se partagent les Watsappiens qui m’a ramené à ce Rabat, ma nostalgie. C’est la capitale des années soixante-dix qu’elle y décrit, qui est encore un peu celle des années soixante, mais où l’on pouvait déjà voir, si on y regardait bien, les prémisses de la capitale d’aujourd’hui. L’auteure, anonyme, égrène au fil des mots les lieux cultes de l’époque, les noms des rues et des quartiers aux consonances étrangères ou exotiques pour peu que l’on puisse considérer que dans la Médina de Rabat de ces années-là  Dayet Ifrah ou Jbel Tazekka résonnent allochtones. Elle a oublié dans son récit le cinéma ABC du quartier l’océan, s’est rappelé le restaurant Le Mandarin, mais omis, à moins qu’elle ne les ait pas connus, Le Mont Doré et Mme Escobar, le cinéma Star à Lobéra (pour opéra) tout en haut d’Elgza et ses séances spéciales dimanche matin à tarifs réduits pour les enfants, cinéma Alambra entre El Akkari et Lakouass, les Galeries Lafayette et Monoprix qu’on compte parmi les disparus ; juste à coté, le bar le Biarritz et derrière le cabaret Tout Va Bien, quelques boites aussi dont La Cage fut la pionnière … on peut continuer comme ça longtemps et évoquer La Comédie « victime collatérale» de la première tentative du coup d’Etat manqué de 1971, le Majestic et l’Alsace qui ont survécu, mais en tant que café ou pâtisserie, ou encore la Librairie Les Belles Images que Tayeb Habi a tenu en survie tant qu’il était en vie. J’ajouterai Le Clavecin et ses instruments de musique qui a cédé sa place au journal Almaghrib de Abdallah Stouky, qui a transmis le relais à je ne sais plus quoi. Je n’oublierai pas non plus, juste ne face, le Centre culturel soviétique sur lequel McDo a pris une revanche toute américaine, adipeuse et peu gouteuse… Je retiendrai enfin de cette « amie non-Rbatie » ce passage sur son Rabat  et  ses « plages de l’Atlantique : les Sables d’or, la Felouque, Rose Marie, ou Skhirat, où les filles pouvaient aller seules sans jamais se faire embêter, du temps où les seuls barbus, sympathiques et chevelus, étaient tous de doux hippies rêveurs ou des militants de gauche… » déconnectés de la réalité du pays.