La folie de la basket, ''pilule de jeunesse'' universelle et inclusive

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Cool, fraîche et dynamique, la basket est "une pilule de jeunesse", assure le créateur du luxe Pierre Hardy, l'un des premiers à avoir détourné la chaussure de sport en une pièce mode qui a submergé la rue et les podiums. 

Uniforme des Fashions weeks, les sneakers accompagnent aussi les sorties du soir, dédramatisent les robes ultraféminines ou accessoirisent les tenues d'affaires.  

Le plus puissant code vestimentaire des adolescents, c'est le dénominateur commun intergénérationnel, car tout le monde en porte, les rappeurs américains comme Pierre Cardin, 97 ans.

Au dernier show de lingerie de Savage X Fenty de Rihanna, les mannequins en sous-vêtements sexy arboraient des baskets. Même l'opéra de Paris "qui s'habille comme vous et moi" en chausse des personnages historiques.

Selon la plateforme de mode Stylight, les baskets du luxe -parmi lesquelles Off-White, Alexander McQueen ou Balenciaga sont les plus convoitées - ont surpassé en tant que pièce forte le sac à main. Les consommateurs du monde entier sont prêts à investir "302 euros en moyenne" pour une paire de designer. 

 "Créativité incroyable"

Dans la dernière étude d'une autre plateforme, Lyst Index, une paire d'Adidas est sur la liste des 10 produits les plus populaires pour les femmes tandis qu'une Nike et une Adidas sont parmi les pièces mode les plus convoités par les hommes.  

"Les silhouettes, même très sophistiquées sont construites autour des baskets. Elles sont devenues de vraies chaussures avec une créativité incroyable", déclare à l'AFP Pierre Hardy qui dessine les chaussures pour Hermès et sa propre marque après avoir travaillé chez Dior et Balenciaga. 

Ainsi, la maison Berluti fondée en 1895, ancien bottier apprécié par ses costumes, vient d'annoncer l'arrivée en boutiques de nouvelles sneakers Gravity qui "mêlent le savoir-faire artisanal et la technicité des matériaux". En noir ou orange, elles exhibent des contours rehaussés, un clin d’œil à la tradition bottière.

Roi des chaussures architecturales, Pierre Hardy confie pour sa part s'être lancé il y a 15 ans dans la basket pour apporter au segment du luxe "très sophistiqué" un produit "frais, juvénile et dynamique" qui renverrait "à un souvenir de quand on était adolescent et on s'en fichait d'être bien habillé".

"La basket était une issue vers un autre vocabulaire de création. Pour les hommes, cela a permis d'introduire des matières qu'on n'utilisait pas du tout, des couleurs fortes, des motifs plus fun (...).  La mode s'adresse d'abord à une certaine jeunesse qui s'est tout de suite reconnue là-dedans". 

"Une femme qui ne peut plus porter de talons peut être encore plus à la mode et assumer complètement ce confort", ajoute-t-il. 

"La mode et le luxe se sont emparés de la chaussure de sport au moment où le confort est devenu déterminant pour la recherche de nos vêtements", souligne l'historien de la mode Denis Bruna, commissaire d'une exposition sur l'histoire de la chaussure et la démarche au musée des Arts décoratifs de Paris. 

Courir ou pas courir 

Pour Alexandre Samson, responsable de la création contemporaine du musée de la mode parisien Palais Galliera, le succès des sneakers s'inscrit dans la mouvance "normcore", particulièrement incarnée par le Géorgien Demna Gvasalia, directeur artistique de Balenciaga et qui vient de quitter sa propre marque, Vetements.

Le choix de la basket est dicté par les modes de vie actifs, la profusion de vélos et trottinettes dans le paysage urbain ou... par des angoisses. 

Dans Vernon Subutex 3, dernier roman de Virginie Despentes, une bourgeoise parisienne qui "sait tout faire en escarpins" enfile après la tuerie du Bataclan pour la première fois ses Fila blanches pour aller à un concert, de peur de devoir courir en cas d'attentat. 

Comme "courir n'est pas certainement un acte élégant", les maisons du luxe "ont détourné les baskets de leur usage premier" en les rendant lourdes ou instables avec lesquelles "on fait tout sauf courir", souligne Alexandre Samson. 

Si les historiens de la mode prédisent un inversement de tendance et le retour à des chaussures plus conventionnelles voire contraignantes, Pierre Hardy reste confiant. 

Après toutes ces années de démarche libérée, "il sera difficile de se recontraindre à un certain inconfort", conclut-il.