Les Arabæsques musicales de l’Académie du Royaume

5437685854_d630fceaff_b-

627
Partager :

Je lui ai donné ce qu’il demandait /L’ai laissé régner.../Je ne sais pas ce qu’il en a fait/Je l’ai déposée dans sa main… A l’instant où le crépuscule enveloppe de sa lumière entre chien et loup l’Académie du Royaume aux confins de Rabat, se lève la voix de Fadia Tomb El Hage, une diva libanaise, des plus belles voix de ce proche Orient.

Deux Virtuoses, quatre mains, deux au luth, deux à la percussion, Jihad Al-Chemaly et Pierre Rigopoulos, l’accompagnent. Au piano, celui qui a réussi de faire de ce beau monde une aventure toute en notes : Marouan Benabdallah.

On ne lui rend pas justice quand on dit de lui que c’est un talentueux concertiste marocain. Trop lieu commun, compliment d’une banalité qui ne sied pas à son art consommé de faire chanter les cordes et de dénicher les compositeurs arabes de musique classique pour infuser leurs œuvres à internationale.

Mise en garde qui va de soi, mais qui va mieux : Quand on fait jouer la musique à l’Académie du Royaume, on ne le fait pas que pour vibrer avec la sensibilité et la plasticité vocale de Fadia Tomb El Hage. Ou pour les plaisirs d’un aéropage d’initiés à ces musiques où d’aucuns verront l’élitisme dans la plénitude, un brin dédaigneuse, de son exercice.

On y fait la musique comme on pense le monde pour le faire se rencontrer, se croiser et enfanter de ce que l’hybridité peut donner de plus beau. La semence a germé en 2014 lorsque Marouan Benabdallah eut l’idée de cet  Arabæsque, un projet musical qui aspirait à identifier les compositeurs arabes de musique classique pour les embarquer avec  lui dans la belle aventure de conquérir la scène internationale. Pas moins.

Marouan, on l’appellera par son prénom par affection, court les bibliothèques et les collections privées et il tombe sur des perles. Non pas cinq ou dix, comme il l’escomptait, mais quatre-vingt-dix-sept compôsiteurs. Ils sont marocains, algériens, tunisiens, égyptiens, soudanais, palestiniens, libanais, syriens, jordaniens, koweïtiens, Iraquiens, émiratis...

Le choix est difficile : en sélectionner une poignée ou passer à une ambition supérieure. Mélomane et pas seulement à ses moments perdus, le secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume, qui a une vision globale de sa mission, se laisse emporter par la mélodie enchanteresse de l’ambition. Abdejlil Lahjomri s’engage sans attendre à porter cette audacieuse initiative et d’en faire son programme musical phare en vue de faire connaître au public national et international ce répertoire original et unique, mettant ainsi en valeur ces talents du monde arabe.

Une première édition donne le ton. Puis mercredi 27 mars la deuxième vient confirmer qu’on est là en présence d’un « choix stratégique » comme diraient les communicants d’aujourd’hui.

Le projet Arabæsque ambitionne de faciliter une meilleure compréhension et de renforcer le dialogue entre les cultures et les peuples en mettant en lumière une facette artistique originale du monde arabe, encore méconnue sur un plan régional ou international et faire redécouvrir les compositeurs arabes de la musique classique.

Quoi de mieux pour signer et persister sur cette voie que de mettre à l’honneur Zad Moultaka, compositeur libanais né à Beyrouth en 1967.

Tout prédestinait Zad Moultaka, à sa sortie du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, à une brillante carrière pianistique. Et pourtant, il décida de tout arrêter afin de se consacrer entièrement à la composition, hanté par les contradictions et l’impossible synthèse entre l’écriture savante occidentale et la tradition orale arabe.

Après bien des errances dans la souffrance des recherches et des expérimentations, il peut enfin crier son Euréka musical.

On est déjà en 2002 et il compose "Zarani", une relecture de quelques Mouwashate, traditionnellement interprétées par une voix accompagnée d’un ensemble instrumental, et auxquels s’ajoute le piano venu les contrarier ou les renforcer.

Ce chef-d’œuvre représente l’esprit même d’Arabæsque, une synthèse subtile, où traditions musicales orientales et occidentales, quarts de tons de la voix ainsi que du oud et sonorités tempérées du clavier, écriture polyphonique occidentale et linéarité mélodique se mêlent pour créer, à la lisière du sensuel et du spirituel, un langage nouveau, à la croisée des cultures.

Abdejlil Lahjomri ne pouvait écrire plus beaux et c’est ce que confirment les compositeurs sélectionnés par le projet Arabæsque, qui écrivent dans la tradition occidentale, selon ses formes et ses structures, leurs œuvres contiennent cependant toujours une "touche" orientale, qu’elle soit rythmique ou mélodique, créant ainsi une synthèse originale qui rend ce répertoire absolument unique.

Ces auteurs aux parcours différents ont été, pour une grande partie, formés dans des conservatoires aux Etats- Unis, au Royaume-Uni, en France, en Autriche, en Allemagne, en Ukraine ou encore en Russie. Ils vivent aujourd’hui entre l’Europe, l’Amérique et leur pays d’origine.

Marouan qui a enchanté l’Académie ce mercredi, en est une sève. Dans le genre, il a montré qu’il est incontestablement le principal représentant de son pays natal, le Maroc, sur la scène de concert internationale. Avec un héritage musical profondément enraciné dans la tradition hongroise, Marouan a reçu sa formation au Conservatoire Béla Bartók et à l'Académie Franz Liszt de Budapest, et en 2008, s'est vu décerner la Médaille du Parlement hongrois "en reconnaissance de son talent exceptionnel et de ses accomplissements dans le domaine musical" - un honneur qu'il partage avec des artistes tels que Placido Domingo, José Cura et bien d'autres.