L’artiste et son double. Pour Ghita et Hiba Khamlichi

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Message de Mustapha Saha à Ghita et Hiba Khamlichi à l’occasion du dixième anniversaire de leur première exposition. Les œuvres des deux artistes précoces sont aujourd’hui dans plusieurs musées dans le monde.

Le talent artistique n’attend pas le nombre des années. Il se manifeste dès l’enfance, s’affirme, se développe, s’épanouit au fil du temps avec les techniques apprises, les erreurs commises, les expériences acquises. Encore faut-il que cette vocation ne soit pas contrariée par les contraintes familiales et sociales. Le véritable artiste porte une vision du monde atypique, inédite, qui transcende sa conscience critique, qui s’impose, dès son incarnation plastique, comme une magnétique visuelle et une évidence esthétique. 

Le chef-d’œuvre ne se décide pas, il surgit de nulle part comme un fantasme, un songe, un délire, une exigence vitale. L’œuvre, mue par une émulation mystérieuse, s’embryonne, dicte les phases de son élaboration, guide la main qui la matérialise. Le don naturel exige une disponibilité sacerdotale, beaucoup de travail, beaucoup de persévérance, beaucoup d’abnégation. Toutes qualités que j’ai pu observer à plusieurs reprises chez Ghita et Hiba Khamlichi à l’occasion de leurs expositions parisiennes.

La vie d’artiste, qu’elle soit ou non ponctuée de manifestations gratifiantes, loin d’être de tout repos. Chaque réalisation apporte son lot d’indécision, d‘incertitude, d’inquiétude. L’angoisse de la toile inachevée taraude l’esprit à chaque coup de pinceau. L’œuvre d’art ne se définit pas par définition. L’artiste avance à tâtons entre difficultés indéterminables et trouvailles insoupçonnables. Combien de projets restent à l’état d’ébauche faute d’avoir trouvé l’illumination miraculeuse. Personne ne sait comment survient l’inspiration, comment s’incarne la muse imprévisible, comment germine et se cristallise l’improbable création jusqu’à devenir une idée obsédante. Qu’est-ce qui définit l’artiste dans ces conditions ? Le véritable artiste refuse la reproduction du même sous prétexte d’un premier succès. Il se forge son style personnel les multiples voies inexplorées qui le trament. Tel le cas de Ghita et de Hiba Khamlichi, deux sœurs si proches, et pourtant si différentes dans leurs options artistiques. 

La toile résiste à l’action qui la scelle, livre un sacré combat avant de livrer la beauté qu’elle recèle. Rien de plus réfractaire que l’alchimie des couleurs. Les pigments s’agglomèrent et se combinent selon des lois sibyllines. Quand le motif s’altère, quand la forme se rebelle sans raison apparente, la maîtrise technique s’avère inutile. L’insoluble problème guette à chaque étape. L’incontrôlable artefact commande le sauvetage ou le capotage. Le risque baptise et canonise le prodige. Il n’est pas d’art issu de science froide. L’œuvre se façonne dans la fournaise volcanique sous vigilance apollonique. Elle menace, à chaque instant, de se dissoudre dans la lave incandescente. L’artiste brule son être pour renaître. Le sublime se féconde et s’engendre dans le doute et la tourmente. Qu’en sait-il le spectateur qui frémit d’émotion fascinatoire ?

Mustapha Saha.

Sociologue, écrivain, artiste peintre