Mon cher ami Osmane…… te rappelles-tu ?

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Te rappelles-tu, mon cher ami Osmane, les « incertitudes », « les hésitations », « les craintes » qui nous submergeraient quand des esprits peu artistes, murés dans des convictions d’un autre âge, nous conseillaient avec force de renoncer à exposer tes sculptures qu’ils assimilaient à des « idoles »

La nouvelle de la disparition du flamboyant sculpteur africain Osmane Sow m’est parvenue au moment même où je parlais de lui avec le non moins flamboyant peintre Mehdi Qotbi qui préparait une semaine africaine et souhaitait l’inviter à y participer. Je disais au Président de la Fondation des musées que dans une autre vie, quand j’avais imaginé le concept du festival Mawazine, nous avions organisé une exposition « Sow » qui eut un retentissement éclatant au-delà des frontières de notre pays. Première exposition de ce genre dans un pays musulman et peut être la dernière. Ayant quitté le monde des festivals, je ne saurai dire si ce genre de manifestations accueille encore ce genre d’expositions, rayonnantes mais contestées. Et celle là le fut.

Te rappelles-tu, mon cher ami Osmane, les « incertitudes », « les hésitations », « les craintes » qui nous submergeraient quand des esprits peu artistes, murés dans des convictions d’un autre âge, nous conseillaient avec force de renoncer à exposer tes sculptures qu’ils assimilaient à des « idoles » et qui nous enseignaient que les idoles étaient honnies et qu’elles furent bannies de l’imaginaire religieux. Ils réactualisaient bruyamment et avec ostentation la « querelle des images », et un aniconisme moralisateur et inhibant ?

Te rappelles-tu, mon cher ami, ce qu’écrivait notre ami Hassan Slaoui, peintre et sculpteur discret, admiratif inconditionnel comme nous l’étions tous de ton œuvre heureusement subversive ?

Il écrivait en préambule du catalogue publié à cette occasion : « Ce travail qui se démarque des tendances actuelles affirme sa spécificité aussi bien par la technique mise au point que par les thèmes traités, ce qui dégage une émotion esthétique immédiate et une humanité troublante. 

Si le Festival de Rabat, cette année (ce fut en 2002), se met au croisement des rythmes du monde, il suggère également le croisement des regards sur les créations du monde. L’œuvre d’Osmane Sow, par son universalité, répond bien à cette ouverture. L’inviter à exposer à Rabat, c’est lui témoigner cette reconnaissance mais également manifester notre volonté par un choix alternatif aux schémas établis selon lesquels l’art contemporain reste une exclusivité des pays du nord.

Aujourd’hui un art endogène naît de l’Afrique sub-saharienne, un art qui obéit à ses propres lois, usant des moyens disponibles et d’un sens plastique inné, de maîtrise des matériaux locaux, organiques ou de récupération. Cet art, que certains qualifient de pauvre ou art de la débrouille, nous interpelle par la force de son authenticité et paradoxalement par sa modernité. A l’inverse de l’Afrique dite tam tam une nouvelle vague inventive, active, subversive se développe, suscitant la formation de ruches ici et là….

Le Sénégal semble en être le chef de file …… »

Je ne saurai dire mieux. Je ne dirai pas plus.

Mais je te dis, en ces moments gris de tristesse, où mon âme est en proie à de longs abattements :

« Te rappelles-tu des moments bleus d’espoir de pur étonnement esthétique, dans cette galerie Bab El Kébir, que nous avions préférée à la célèbre Bab Errouah, parce qu’elle invitait à s’aventurer dans l’espace mythiques des Oudayas, moins « aristocratique », plus proche des émotions populaires où, assis avec des enfants et adolescents venus nombreux te parler, t’admirer, accompagnés de leurs mères voilées, camouflées dans des djellabas colorées, te rappelles-tu que tu leur parlais de l’Afrique, de ton Afrique, de notre « Afrique – mère », de son humanité rythmée, de celle non moins envoûtante des Peulhs qu’évoquent tes créations ?

Te rappelles-tu ?

Te rappelles-tu aussi la joie qui fut la nôtre quand tu avais accepté de participer à la session de l’Académie du Royaume, toi l’académicien de l’Académie des Beaux-arts, que nous avions tenue, il y a juste un an jour pour jour sur le thème « l’Afrique comme horizon de pensée ».

Il nous avait semblé que ta présence était incontournable parce que l’art est plus qu’un horizon pour l’Afrique. L’art africain est, bien au contraire, au cœur même de la modernité esthétique contemporaine.

Nous étions loin d’imaginer que le destin, ton destin te rapprochait de nous pour que tu nous fasses tes adieux.

Tu nous as laissés, tu as laissé à l’Afrique et à l’universalité artistique une œuvre que la postérité continuera de perpétuer comme un écho aux paroles de ce jeune artiste du quartier des Oudayas qui te confiait : « je voudrais être Osmane Sow ». 

Te rappelles-tu ? 

Abdejlil Lahjomri : Secrétaire perpetuel de l’Académie du Royaume