La situation de l’emploi en 2019 : la reproduction élargie de la précarité

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Le Haut-Commissariat au Plan (HCP) vient de publier les premiers résultats de l’enquête annuelle sur l’emploi pour l’année 2019 (hcp.ma). Ce sont dans l’ensemble des données brutes qui demandent à être analysées et expliquées pour ne pas induire le lecteur profane en erreur. Bien sûr, les experts du HCP ne manqueront pas de revenir,  comme ils ont l’habitude de le faire, sur ces résultats pour en expliquer la portée et démontrer la pertinence, sachant de toutes les façons que la statistique aussi perfectionnée soit-elle ne traduit jamais la réalité dans sa complexité et ses contradictions.  

Que disent les statistiques pour l’année 2019 ? Il s’avère que l’économie marocaine a créé 165.000 postes d’emploi, résultant d’une création de 250.000 postes en milieu urbain et une perte de 85.000 en milieu rural, contre une création nette de 111.000 une année auparavant.

Ainsi, le secteur des "services" a créé 267.000 emplois, celui des  " BTP" 24.000 et l’"industrie y compris l'artisanat" 17.000, alors que le secteur de l’"agriculture, forêt et pêche" a perdu 146.000 emplois.

Ces chiffres appellent un certain nombre de remarques. Tout d’abord, on relève une contradiction entre le premier paragraphe qui annonce une création nette de 165 000 emplois et le deuxième paragraphe qui nous donne uniquement 162 000 emplois nets.  Il s’agit d’une différence de 3000 emplois qui demeure énigmatique. Pour l’analyse statistique qui tire sa force de la précision, cela pose problème. Mettons de côté cette « erreur humaine » et posons-nous une autre question, celle-là de fonds : par quel miracle l’économie marocaine est-elle devenue une économie riche en emplois ? Alors que la création d’emplois a culminé en moyenne dans le passé à 30.000 pour un point de croissance avant de descendre  à une moyenne ne dépassant pas 15.000 emplois au cours des toutes dernières années, on arrive comme par miracle à plus de 50.000 emplois pour un point de croissance. Avouons qu’une telle performance demeure contestable du point de vue du bon sens, même si on pourrait lui trouver des explications en étudiant la nature des emplois créés.

Ainsi, comme il ressort des données précédentes, c’est le secteur des « services » qui crée l’essentiel des emplois avec 267.000 postes en 2019. Ce secteur, faut-il le rappeler, est un « fourre-tout ». Une sorte d’auberge espagnole en quelque sorte. On y met tout ce qu’on peut imaginer à l’exception de ce qui relève des secteurs primaire et secondaire : des tas d’emplois improductifs, des activités de survie y compris celles de la mendicité  qui prospère par les temps qui courent. Ce sont des emplois qui ne dépendent pas de la croissance et qui ne créent pas en conséquence de valeur ajoutée. Ils ne font en définitive que reproduire la misère et la précarité. D’ailleurs, près de la moitié de la population active est occupée dans ce secteur. C’est l’une des manifestations fondamentales du sous-développement tel qu’il a été analysé par des Economistes Sociologues.

En revanche, le secteur secondaire (industrie et artisanat) qui emploie à peine 12 % de la population active, n’a créé que 24 000 emplois au cours de l’année 2019. On aurait aimé, cependant, que les experts du HCP dissocient ces deux activités- industrie et artisanat- pour indiquer la part qui revient à chacune d’elles.  Cela aurait le mérite de jeter plus de lumière sur le Plan d’Accélération Industrielle (PIA) qui s’est fixé comme objectif ambitieux de créer 500000 emplois !!

Le secteur primaire-agriculture forêt et pêche- a perdu 146 000 emplois dont 85000 dans le monde rural. Si cette perte d’emplois, notamment dans l’agriculture, peut s’expliquer en partie, mais en partie seulement, par  des facteurs climatiques, elle se prête néanmoins à une double lecture : une lecture positive, en ce sens qu’elle est le résultat de l’intensification agricole et de l’amélioration de la productivité qui concernent notamment les périmètres irrigués  et les cultures destinées à l’exportation ; une lecture négative dans la mesure où le Plan Maroc Vert (PMV) n’a pas accordé l’intérêt qu’il faut à l’agriculture dite solidaire, celle qui occupe le plus grand nombre de  paysans et qui est tournée essentiellement vers le marché local.

Par ailleurs, le nombre de personnes en chômage connait une baisse tant en termes absolus qu’en termes relatifs,  soit 1107000 (dont 35% sont des femmes) en 2019 contre 1137000 avec respectivement un taux de chômage de 9,2% et  9,5%. Cette baisse de 0,3 point ne s’explique pas uniquement par la création d’emplois comme souligné précédemment mais aussi par un recul du taux d’activité de la population, notamment dans le milieu féminin. Ainsi, le taux d’activité a baissé de 0,2 point entre 2018 et 2019 passant respectivement de 46 % à 45,8%, ce qui correspond à près de 25000 personnes qui se sont retirées de l’activité parce qu’elles sont découragées par la recherche  infructueuse d’un emploi ! Sans ce retrait, le nombre de personnes en chômage aurait été de 1 131 200 et le taux de chômage serait resté à son niveau de 2018.

A ce taux de chômage, variable selon le sexe, le milieu de résidence, l’âge et le niveau de formation, s’ajoute ce qu’on appelle le sous-emploi et qui concerne une population presque égale à celle  qui est totalement en chômage. Là aussi, on relève un biais méthodologique de taille du fait que seul le travail saisonnier est pris en considération pour déterminer le sous-emploi, faisant fi d’une composante de taille à savoir le « chômage déguisé ».  Par conséquent, la population occupée en sous-emploi serait de loin supérieure aux chiffres avancés par le HCP, à savoir 514 000 personnes en milieu urbain et 487 000 en milieu rural. 

En définitive, tout en rendant hommage aux  cadres du HCP qui travaillent avec abnégation et esprit de suite, il y a à notre humble avis nécessité de revoir la méthodologie d’élaboration des statistiques sur l’emploi pour les rendre plus proches de la réalité. Que le débat continue !

 

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