Boeing perd la confiance de l'agence américaine de l'aviation

5437685854_d630fceaff_b-

468
Partager :

Quand Dennis Muilenburg, l'ancien patron de Boeing, est convoqué le 12 décembre dans les bureaux de la Federal Aviation Administration (FAA) à Washington, il ignore qu'il va se faire réprimander par Steve Dickson, le chef de l'agence américaine de l'aviation.

M. Dickson, un ancien salarié de Delta Air Lines qui devenu en août patron de la plus influente autorité aérienne au monde, a annoncé la veille que le Boeing 737 MAX ne revolerait pas avant 2020. L'appareil est cloué au sol depuis mars, après deux accidents tragiques ayant fait 346 morts.

La rencontre entre les deux hommes est tendue, raconte une source règlementaire.

M. Muilenburg, qui a promis aux compagnies aériennes et aux marchés financiers que le MAX serait de nouveau dans le ciel en décembre, brandit la menace, si l'avion ne reprend pas du service en 2019, d'une suspension temporaire de la production de l'appareil, aux conséquences lourdes pour l'économie américaine.

Mais M. Dickson balaie ces pressions, l'enjoint de se concentrer sur les modifications du système anti-décrochage MCAS impliqué dans les accidents, et termine sur un avertissement: "Certaines prises de position publiques (du constructeur aéronautique) peuvent donner l'impression qu'il veut forcer la FAA à agir vite".

Humiliation 

Les tensions entre les deux hommes alarment des membres du conseil d'administration de Boeing, dont Larry Kellner, ex-patron de Continental Airlines, selon des sources proches du dossier. 

Ils redoutent une rupture définitive dans cette relation cruciale pour le constructeur: Boeing a besoin de la FAA, non seulement pour sortir de cette crise sans précédent, qui lui a déjà coûté des milliards de dollars, mais aussi pour certifier ses futurs avions, comme le long-courrier 777X.

Dix jours de conciliabules s'ensuivent, qui débouchent le 23 décembre sur le limogeage de M. Muilenburg, avec un communiqué succinct de Boeing, sans un mot de remerciement pour son dirigeant.

Le président du conseil d'administration de Boeing, David Calhoun, l'a lâché, après l'avoir toujours assuré de son soutien face aux critiques des politiques et des familles des victimes.

Comble de l’humiliation : la nouvelle est annoncée à M. Muilenburg quelques heures seulement avant d'être rendue publique, selon une autre source proche du dossier.

"Tour de Jedi" 

La confiance entre la FAA et Boeing s'effritait depuis octobre. Le 19, alors que les parlementaires américains intensifient leur enquête sur la procédure de certification du 737 MAX, Steve Dickson accuse Boeing, dans un courrier incendiaire, de lui avoir caché des documents importants. Y compris un échange entre employés révélant que le système automatique MCAS, qui devait empêcher l'avion de partir en piqué, le rendait difficile à piloter en simulateur.

"J'attends vos explications immédiatement concernant le contenu de ce document et les raisons pour lesquelles Boeing en a retardé la divulgation à son régulateur en charge de la sécurité", écrit M. Dickson à M. Muilenburg, dans une lettre vue par l'AFP.

Dans ces documents, Mark Forkner, ancien pilote d'essais chez Boeing, se vante de pouvoir convaincre la FAA d'approuver le MCAS sans difficulté.

"M'apprête à prendre le petit-déjeuner et ensuite vais essayer de jouer un tour de +Jedi+ au cerveau de ces gens", écrivait-il à un collègue.

Effectivement, la FAA approuvera le nouveau logiciel sans aucun examen approfondi.

Un autre épisode viendra alimenter la méfiance entre MM. Dickson et Muilenburg.

Le 5 novembre, M. Muilenburg demande à M. Dickson s'il peut autoriser Boeing à recommencer à livrer les 737 MAX, dont la production n'a jamais cessé, sans attendre la levée de l'interdiction de vol, d'après une source proche.

M. Dickson lui promet d'y réfléchir, selon un porte-parole de la FAA. Mais six jours plus tard, sans attendre sa réponse, Boeing annonce pouvoir reprendre la livraison des MAX avant la fin 2019.

C'est la stupeur et la consternation à la FAA. M. Dickson doit expliquer à ses troupes qu'il n'a pas cédé aux pressions.

Réparer la relation ? 

 Aujourd'hui, "ça craint entre Boeing et la FAA", analyse Scott Hamilton, expert chez Leeham, tandis qu'un autre expert parle de "confiance rompue".

David Calhoun, ancien cadre dirigeant de General Electric (GE), qui prend officiellement ce lundi les rênes de Boeing, espère réparer les relations avec le régulateur et obtenir la remise en service du 737 MAX.

Le constructeur a récemment préconisé que tous les pilotes du MAX suivent une formation sur simulateur avant la remise en service de l'appareil, une concession pour le géant de Seattle, qui assurait depuis des années que cette formation était superflue.

Mais la divulgation vendredi de messages de salariés de Boeing moquant la FAA pourrait compliquer la tâche du nouveau dirigeant.

"Cet avion est conçu par des bouffons, qui, en retour, sont supervisés par des singes", indiquait ainsi un employé de Boeing dans un message à un collègue en 2017.

lire aussi