Gabon : Si vous êtes en train de prendre un verre, arrêtez !

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Par Naïm Kamal - Pour comique qu’elle soit, l’action de ces militaires révèle que la situation au Gabon est sérieuse. Suffisamment pour qu’un jeune officier, le lieutenant Kelly Ondo Obiang, ose improviser un putsch à la télé

« Si vous êtes entrain de manger, arrêtez ! Si vous êtes entrain de prendre un verre, arrêtez ! Si vous dormez, réveillez-vous ! » Non ce n’est pas une plaisanterie. Le jeune lieutenant qui prononce cette injonction en direct à la télévision gabonaise, inconnu au bataillon, est en train de jouer le plus burlesques des coups d’Etat de l’histoire.

Ce qui précède est de la même eau :

« Tous les sous- officiers actuellement en service [reçoivent l’ordre] d’aller en caserne se procurent par tous les moyens une arme et des munitions, [de prendre] le contrôle de tous moyens de transport : les casernes, les postes contrôles et de sécurité, les amerries, les soutes à munitions et les aéroports, en fonction respective. Les membres des forces et de sécurité se trouvant aux casernes, les militaires retraités [reçoivent eux l’ordre de porter] leur uniforme avec pour mission d’éclairer le peuple dans la rue ».

Drôle, très drôle. Mais pour comique qu’elle soit, l’action de ces militaires révèle que la situation au Gabon est sérieuse. Suffisamment pour qu’un jeune officier, le lieutenant Kelly Ondo Obiang , qui se présente comme l’un des commandants en second de la garde d’honneur de la Garde républicaine en charge de la sécurité de la présidence de la République, à la tête d’une poignée de soldat, ose improviser un putsch dont il établit le plan d’action et le programme une fois on live à la télé, il faut vraiment croire que le pouvoir est à ramasser à la petite cuillère.

La suite des évènements du 7 janvier a démontré que rien n’est moins vrai. Même un Jean Ping, l’opposant le plus coriace de Omar Bango, pourtant à l’affût, ne s’est pas engouffré dans la brèche. Mais celle-ci a été ouverte et la maladie du chef de l’Etat en convalescence d’un AVC n’est pas pour calmaer les interrogations.

Il n’est pas aisé de déstabiliser le régime en place. Au temps du père de l’actuel président, Omar Bango, la France de François Mitterrand, dans la foulée du discours de La Baule, s’y est essayée sans succès.

A la dernière présidentielle, Jean Ping, un enfant du régime, de la famille des Bango par alliance, ses deux enfants sont les neveux du président en exercice, un produit de l’université française et un vieux routier de la politique gabonaise et africaine, a bien tenté un bras de fer avec Ali Bango mais a dû revoir ses calculs pour remettre ses ambitions à plus tard, même si son âge, 76 ans, ne le prédispose pas beaucoup à la patience.

Le Gabon est un pivot de la françafrique à l’immense richesse forestière et pétrolière. La multinationale Total y fait figure pratiquement d’Etat dans l’Etat. Paris, même empêtré dans ses Gilets jaunes, ne peut donc pas être indifférente à ce qui s’y passe et de son attitude dépendent pour beaucoup les lendemains de ce coup d’Etat clownesque.

Avec le Maroc, le Gabon a depuis toujours entretenu des relations privilégiées. Une histoire où les intérêts sont sous tendus par une amitié qui ne s’est jamais démenti et inversement. Une implication mutuelle dans les affaires intérieures des uns et des autres, une solidarité réciproque à toute épreuve, l’affinité idéologique à l’époque où la guerre des idéologies était l’unique moteur des relations internationales,  ont fait des rapports entre les deux pays et les deux régimes un cas rare voire unique en Afrique.

Dans l’affaire du Sahara, le soutien de Libreville n’a jamais fait défaut à Rabat, le Gabon étant, avec le Sénégal depuis Senghor et la Guinée Conakry depuis Sékou Touré, n’a jamais fait défaut et le rêve de l’Algérie hier comme aujourd’hui est de faire tomber cette citadelle.

Dans l’autre sens, Rabat a répondu présent chaque fois que le Gabon traversait une crise ou vivait une tension. La dernière en date connue remonte à l’été 2016. Devant la persistance de l’opposition à ne pas reconnaitre la victoire de Ali Bango, le Roi Mohammed VI était discrètement monté au créneau pour apaiser la situation.  

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