Il y a 40 ans mourrait le père de la voyoucratie algérienne

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L’élite algérienne hésite sur ce qu’elle devrait retenir de l’œuvre de Boumediene. L’homme qui a construit l’Etat algérien, qui a pu assurer aux siens une relative aisance, le chef qui a fait tomber sur son pays la chape de plomb, ou le père de la voyoucratie ?

Les images montrent des ministres debout applaudissant en conseil des ministres le président Abdelaziz Bouteflika. Le chef de l’Etat algérien vient de signer devant les caméras la loi des finances 2019. On ne sait si l’exploit qui fixe pour la postérité l’acte banal de la ratification par le président d’une loi des finances consiste dans la capacité de l’Algérie à avoir réussi à boucler un budget prévisionnel pour l’année qui arrive à grand pas ou l’apparition de Bouteflika, en règle générale absent des regards, impeccablement peigné et parfaitement maquillé pour la circonstance.

L’apparition aurait pu être ce 27 décembre pour la célébration d’un autre évènement symbolique autrement plus significatif : le quarantième anniversaire de la disparition de Houari Boumediene, deuxième président de l’Etat algérien, concepteur et faiseur de l’Algérie « moderne », parrain et mentor de Abdelaziz Bouteflika qui fut son homme lige.  Mais Alger a préféré célébrer dans la discrétion le décès subit, et aux yeux de beaucoup de ses compatriotes mystérieux, d’un homme au visage famélique et au regard incandescent, qui a gouverné l’Algérie d’une main de fer pendant plus de 13 ans.

Sur le bateau de la reine Diana

Mohamed Boukharrouba, c’est son vrai nom, est un paysan sorti du néant dans lequel le colonialisme avait jeté de campagne algérienne pour devenir à la création de son pays chef d’état-major et ministre de la défense avant d’en devenir le numéro un à la suite du coup d’Etat de 1965 contre Ahmed Ben Bella.

Boumediene devient à partir de 1959 chef d’état-major de l’armée de libération, bien qu’on ne lui connaisse pas de faits d’armes notables. En dehors des intrigues et coups tordus du maquis bien à l’abri dans les camps d’Oujda sous la protection du Maroc, on ne trouve sa trace que sur un bateau de plaisance appartenant à la reine Diana de Jordanie. Ancré au port d’Alexandrie en Egypte, c’est Ahmed Ben Bella qui s’en empara pour faire acheminer des armes en Algérie via la ville marocaine Nador.  A son bord parmi les hommes chargés de cet acheminement, un certain Boumediene. Une partie de ces armes fut livrée à la résistance marocaine, l’autre partie, la plus importante, devait arriver à la wilaya 5 en Algérie. Elle se perdra en route et dans la contreverse…

L’élite algérienne actuelle hésite beaucoup sur ce qu’elle devrait retenir de son œuvre. L’homme qui a construit l’Etat algérien et qui a su profiter de l’aura de sa révolution pour donner à son pays un retentissement international, qui a pu assurer aux siens une relative aisance après plus d’un siècle de vaches maigres ? Le chef qui a fait tomber sur son pays la chape de plomb d’un parti unique sans pitié pour ses adversaires comme pour ses amis qui n’étaient pas à son goût. Ou le père de la voyoucratie plus corrompue qu’à son tour qui sévit sur le pays depuis 1962.

Son premier acte de bravoure a été de renverser son mentor Ahmed Ben Bella et de le jeter en prison pour pratiquement le restant de sa vie. Il ne fut libéré qu’après son décès. Il est difficile d’établir une liste exhaustive de ses victimes, mais Houari Boumediene a réussi à enterrer les résolutions du congrès de la Soummam en inversant son dogme de la primauté du politique sur le militaire et de l’intérieur sur l’extérieur.

Un homme acculé

L’instigateur de cette politique est Aban Ramdane, l’âme du FLN, qui est en 1956, le maitre d’œuvre et d’ouvrage du congrès de la Soummam, est assassiné près de Tanger au Maroc en 1957. Abdelhafid Boussouf, le plus chaud des partisans de son assassinat et son exécuteur, lança à Krim Belkacem qui a essayé de s’y opposer : « Boumediene et Bouteflika », ce dernier était en contact avec les quatre dirigeants emprisonnés avec Ben Bella en France, sont d’accords.

La suite est tout aussi dramatique : Ben Bella sera jeté en prison en 1965, Mohamed Boudiaf condamné à un long exil au Maroc avant qu’il ne soit exécuté comme un chien en public en 1992, Krim Belkacem sera étranglé en 1970 à Frankfort, Mohamed Khider sera assassiné à Madrid en 1967, Hussein Aït Ahmed connaitra une langue errance avant de pouvoir rentrer en Algérie…

Après avoir fait le vide autour de lui, Houari Boumediene laisse libre cours à sa mégalomanie toute prussienne de Houari Boumediene. Il se lance dans l’aventure de chercher à soumettre le Maroc, à domestiquer la Tunisie, à manipuler la Libye, à se venger de la France au point qu’il en a oublié l’essentiel : l’Algérie. Collatéralement, il a passé en pertes et profits l’idéal maghrébin seul espace à même de donner de l’air, le vrai, à ses utopies de grandeur.

Houari Boumediene a hérité du colonialisme une belle contrée, un vaste pays, une agriculture florissante, des structures administratives opérationnelles, des cadres en avance sur leur temps. La politique de la table rase sur le passé et ses hommes l’a réduit à un homme d’Etat acculé à tout reprendre depuis le début.

Industrie industrialisante qui a sclérosé l’Algérie et révolution agraire qui a réduit le pays aux pénuries des souks al-fallah dans la pure tradition des soviétiques sur le déclin ont fait manquer à l’Algérie le tremplin de la puissance bien comprise. Beaucoup d’Algériens l’ont vénéré parce qu’il a comblé leur boulimie de reconnaissance et de fierté piétinée par 130 ans de colonialisme. Sa folie des grandeurs, son tempérament irascible qui l’ont souvent empêché de réfléchir correctement, la paranoïa à laquelle l’exercice solitaire du pouvoir condamne les hommes, ont fait que l’Algérie est aujourd’hui contrainte de faire avec un président impotent et de chercher péniblement comment, toute honte bue, le reconduire pour un cinquième mandat.

 

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