Tunisie : Le gouvernement tombe, cinglant revers pour Jemli, grande solitude d’Ennahdha

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Tunis - Le cinglant verdict des députés tunisiens au gouvernement de Habib Jemli, prononcé vendredi tard dans la soirée, était prévisible, attendu par les observateurs les plus avertis. Son gouvernement n’a même pas eu la vie d’une rose.

La fin de non-recevoir opposée par toutes les familles politiques représentées au parlement tunisien d’un gouvernement qualifié de technocrates indépendants marque tout autant la solitude du mouvement Ennahdha et de son alter égo le mouvement "Al Karama" (islamiste radical).

Trois mois après les élections législatives, 72 élus seulement de l'Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) ont accordé leur confiance à ce gouvernement alors qu’il faudrait au moins recueillir 109, 134 ont opposé leur véto et 3 se sont abstenus.

Un gouvernement qui n’est, affirment les observateurs politiques, que l’émanation de la volonté du mouvement islamiste (54 sièges au parlement) de monopoliser tous les pouvoirs dans le pays et d’étendre ses tentacules partout dans les sphères de la prise de décision.

Toutes les tractations entreprises dans les coulisses jusqu’à la dernière minute et tous le suspens entretenu n’ont pas permis au mouvement Ennahdha de changer la donne, d’éviter la claque ou d’imposer son choix.

Le refus des députés tunisiens d’accorder leur confiance au gouvernement, proposé par le candidat désigné par Ennahdha, Habib Jemli, était attendu. Mais ce qui a surpris le plus c’est la réponse unanime de tous les blocs centristes, de droite et de gauche qui ont dénoncé, lors d’une séance plénière marathon, les manœuvres du mouvement islamiste, son obstination à accaparer le pouvoir par tous les moyens et la qualité quelque peu médiocre de l’équipe formée pour diriger un pays qui fait face à des défis multiples sur les plans sécuritaire, politique, économique et social, ont sonné son glas.

M. Jemli a pourtant cherché rassurer en affirmant avoir choisi ses très nombreux ministres "sur la base de la compétence, l'intégrité et leur capacité à la concrétisation".

Sa tentative fut vaine voire infructueuse. La liste qu'il a présentée a été jugée disparate et rapidement critiquée comme n'étant ni clairement partisane, ni réellement indépendante.

Outre l’opposition farouche des partis comme "Attayar" de Mohamed Abbou (centriste), du mouvement "Echaab" (gauche), du parti destourien libéral d’Abir Moussi (droite), Ennahdha a perdu en cours de route l’appui de "Tahya Tounes" de Youssef Chahed et surtout de "Qalb Tounes" de Nabil Karoui (38 sièges au parlement), dont le poids est pourtant déterminant pour l’obtention de la confiance du parlement.

Le résultat du vote, aussi prévisible qu’il fut, est l’aboutissement normal de la fragmentation du paysage politique, de l'émiettement des partis, et de l'impossibilité de parvenir à un compromis qui permet au pays de sortir d'une crise sans précédent.

Il reflète en même temps les incohérences d’une classe politique qui cherche vaille que vaille à se positionner non à présenter des solutions.

Manifestement, la défaite cuisante d'Ennahdha et de son chef Rached Ghannouchi ne sera pas sans conséquences sur ce parti qui court des risques évidents d’éclatement, comme en témoignent l’apparition de nombreuses voix discordantes en son sein et la recrudescence des critiques sur la gouvernance de ce mouvement qui se distingue par son opacité.

Les leaders de ce mouvement islamiste ont cherché par tous les moyens de ne dire que la moitié de la vérité, à esquiver et à induire les Tunisiens en erreur au sujet du processus de formation du gouvernement.

Du coup, le vote du vendredi soir a sonné le Tocsin pour ce mouvement islamiste qui prend conscience de sa véritable dimension et surtout du fait qu’il ne possède plus toutes les clefs du jeu politique, lui qui n'a pas su ni convaincre ni mobiliser les familles politique pour les solutions qu'il propose et l'indépendance et l'expertise des acteurs qu'il a choisi pour diriger le pays.

Une fin pitoyable avant même d’avoir commencé

C'est pour cette raison évidente qu’il a été piégé par ses propres contradictions, la duplicité de son discours et l'amateurisme du candidat, un illustre inconnu, qu'ils ont cherché à propulser. Les faux indépendants et faux technocrates ont été vite démasqués et le stratagème concocté n'a pas trouvé un nombre suffisant de défenseurs.

Une fin pitoyable pour un chef de gouvernement désigné qui a été obligé de jouer un rôle qui n’est pas le sien et qui a été contraint à former un gouvernement pléthorique (42 membres) dominé par des figures appartenant à Ennahdha et qu’on a impliqué dans un processus dont il ne maîtrise pas bien les ficelles. A l’évidence, ce mauvais départ vient au mauvais moment.

Alors que la situation sur la frontière libyenne devient l’objet de fortes préoccupations et inquiétudes, la situation économique du pays attend un véritable déclic et le mécontentement social ne fait que grandir, le pays se trouve obligé, une fois encore, à perdre un temps précieux dans de nouvelles tractations pour former un gouvernement dont le chef sera cette fois ci désigné par le Président de la république.

Ce rejet ouvre la voie à un nouveau Premier ministre qui sera choisi par le président Kais Saied conformément aux dispositions de l’article 89, paragraphe 3 de la Constitution tunisienne du 27 janvier 2014. Il aura un délai de 10 jours pour engager des consultations afin de trouver "la personnalité jugée la plus apte, de former un gouvernement dans un délai maximum d'un mois".

La personnalité qui sera choisie aura un mois renouvelable une seule fois pour former son gouvernement. En cas d'échec, cela pourrait amener le président à dissoudre l'ARP et à annoncer des élections législatives anticipées

En prévision de ce nouveau round de négociations, les tractations ont repris des plus belles. Le président Kaïes Saïed, reprend l’initiative à son compte et détient désormais toutes les clefs pour débloquer une situation tout autant confuse que compliqué.

Ce dernier, a reçu le 11 janvier 2020, le chef d’Ennahdha, Rached Ghannouchi et l’entrevue a été une occasion pour passer en revue l’activation des procédures constitutionnelles qui donnent au chef de l’Etat les prérogatives pour nommer, lui-même, un candidat à la primature.

Dérailleurs, Rached Ghannouchi semble n’avoir aucune appréhension vis-à-vis d’un gouvernement formé par le président Kaïs Saïed. Pour le Président du parlement tunisien,"Kaïs Saïed est un homme de droit et il respecte scrupuleusement la constitution. Il est tenu d’engager la personne qu’il juge la plus apte à former le gouvernement et pour cela, il n’y a pas de magie, il va devoir mener des concertations avec le premier parti du pays".

Le Parti Destourien Libre d’Abir Moussi, a appelé samedi toutes les forces politiques nationales modernistes à choisir une figure nationale consensuelle.

L’Union Tunisienne de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat (UTICA) (centrale patronale) a réagi rapidement en se félicitant de ce vote qui "représente un signe de bonne santé de l'expérience démocratique tunisienne et a envoyé un message rassurant au peuple tunisien et au monde entier sur l'intégrité des institutions constitutionnelles".

La centrale patronale a, souligné l'importance de choisir une personnalité nationale indépendante à la tête du prochain gouvernement "qui jouira de la confiance des différentes forces nationales. Une personnalité qui dispose d’un rayonnement national et international afin de pouvoir faire face aux défis auxquels fait face la Tunisie".

Entre-temps, le gouvernement de gestion des affaires courantes dirigé par Youssef Chahed, président de Tahya Tounès poursuivra sa mission pour au moins un mois encore sans feuille de route claire ni une visibilité capable de renforcer la confiance des opérateurs, il est vrai gagné par le doute.

 

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