Abdalilah Benkirane, en attendant le retour du Roi

5437685854_d630fceaff_b-

2186
Partager :

Abdalilah Benkirane a lui aussi joué la carte du pourrissement, attendant de voir qui rendra les armes le premier. Ce que le chef de gouvernement a feint d’oublier, c’est que le temps monarchique n’est pas le temps politique

Les informations les plus contradictoires sont distillées de part et d’autre sans qu’aucune fumée blanche ne s’échappe de la cheminée pour indiquer la fin du blocage. Depuis cinq mois, le Maroc est sans gouvernement. Abdalilah Benkirane, le chef de gouvernement désigné, est dans l’incapacité de former une majorité. Avec l’annonce des résultats des législatives du 7 octobre dernier, c’était pourtant plié pour les islamistes du PJD. Premier sur le tableau électoral, le parti de M. Benkirane a, dès les premières heures de sa victoire, affiché l’arrogance du premier de la classe à qui on ne saurait refuser le moindre caprice. Depuis, le PJD a eu le temps de tempérer ses ardeurs. Les nerfs de son leader lâchent. Parfois, la victoire peut avoir un goût amer…CQFD.

Le 10 octobre, soit 48 heures près l’annonce des résultats électoraux définitifs, Abdalilah Benkirane est nommé chef de gouvernement. Il est chargé par le Roi de former un exécutif. La suite de l’histoire est connue et il ne s’agit pas ici de revenir sur une longue séquence où le pathétique le dispute à l’absurde, donnant à voir un chef de gouvernement recevant chez lui en gandoura ses alliés pressentis pour former une coalition. Pas la peine non plus de rappeler les péripéties d’une maïeutique où gagner les élections n’a plus de sens démocratique alors que ceux qui ont perdu le scrutin et n’ont pas suscité la confiance des électeurs veulent leur part du butin. L’élection du président de la chambre des députés sera, à ce titre, une parenthèse ubuesque où il n’y a aucune leçon à tirer sinon celle de ne plus aller voter. L’USFP –il serait plus exact de dire l’usfpéiste Habib El Malki qui doit une fière chandelle à l’acte constitutif de l’Union africaine- a obtenu gain de cause en remportant le perchoir avec seulement 20 députés dans sa besace. Les voix du Parti authenticité et modernité y sont pour beaucoup. Le PAM est dans l’opposition. L’USFP voudrait contre vents et marée être dans la majorité et siéger en conseil de gouvernement. Pour ce faire et au nom de quelques maroquins ministériels, le parti de Mehdi Benbarka, Abderrahim Bouabid et Abderrahmane Youssoufi a pris place dans les wagons du Rassemblement national des indépendants dont le nouveau président est devenu le négociateur en chef. Aziz Akhennouch ne veut pas de l’Istiqlal. Il négocie pour le RNI, l’Union constitutionnelle et l’USFP. Les socialistes marocains ne sont définitivement plus ce qu’ils étaient. Ils ont quitté l’Histoire par une minuscule lucarne. Mais ceci est justement une autre histoire…Quant à Aziz Akhennouch sera-t-il vraiment l’homme qui ne parlera jamais à l’oreille des islamistes ?

Benkirane qui rêvait depuis 2012 d’une alliance PJD-Koutla a très vite déchanté. Le tintamarre des casseroles de Hamid Chabat, le secrétaire général de l’Istiqlal a mis fin aux velléités gouvernementales du plus vieux parti marocain. Après avoir failli provoquer une crise diplomatique avec la Mauritanie voisine, accuser l’Etat de vouloir attenter à sa vie comme « les victimes de Oued Cherrat », l’Istiqlal est désormais la preuve par 9 de l’effondrement de la pratique politique en terre marocaine. Les Marocains méritent-ils cette image de Chabat dans la posture du héros prêt à se rendre au procès politique du siècle qui sera le sien selon ses propres mots ? L’Istiqlal mérite-t-il un leader qui est en train d’assassiner toutes les valeurs qui fondent l’école istiqlalienne ?

Après cinq mois d’un blocage –un euphémisme pour ne pas parler clairement d’une crise institutionnelle dans un pays qui n’a pas les moyens financiers ni politiques de rappeler les électeurs aux urnes- la situation n’est pas loin du pourrissement. Le Maroc est sans gouvernement. Les ministres en place expédient les affaires courantes. En l’absence de Budget, les commandes publiques se sont arrêtées. Les PME sont au bord de l’asphyxie. Les investisseurs étrangers regardent ailleurs. Et Omar Azzimane nous apprend mercredi que l’école publique est un naufrage et qu’au lycée les carences en arabe, en français et en maths des élèves sont profondes. A qui faudrait-il demander des comptes ? Qui est responsable ? Quelles sont les mesures qui seront prises et qui les défendra ? La démocratie, c’est aussi et surtout cela, tenir informée l’opinion publique et expliquer sans cesse au citoyen que ceux et celles qu’il a porté au pouvoir agissent pour trouver des solutions, apporter des réponses, améliorer ses conditions de vie.

Les blagues sur l’équipe de foot qui marque des buts à la CAN ou la pluviométrie au rendez-vous parce qu’il n’y a pas de gouvernement devraient être prises pour ce qu’elles sont, des blagues et pas de bons mots.

C’est la presse réputée proche des islamistes ni au pouvoir ni dans l’opposition qui nous l’apprend : Abdalilah Benkirane attend le retour du Roi. On ne sait pas pourquoi. A-t-il tiré les enseignements de la leçon magistrale qui lui a été infligée ? Se rendra-t-il armes et bagages pour in fine solliciter un arbitrage royal ? Cinq mois de tergiversations, de sorties médiatiques inopportunes, de négociations qui n’en étaient pas vraiment ont montré les limites de M. Benkirane en tant qu’homme d’Etat. Le leader du PJD a rendu un bien mauvais service à l’institution du chef de gouvernement. Faisant de la non participation de l’USFP une question d’orgueil personnel et non pas une question politique, il a pris en otage tout un pays. Il n’a voulu ni former son gouvernement ni donner un grand coup de pied dans la fourmilière. Abdalilah Benkirane a lui aussi joué la carte du pourrissement, attendant de voir qui rendra les armes le premier. Ce que le chef de gouvernement a feint d’oublier, c’est que le temps monarchique n’est pas le temps politique.

lire aussi