Je suis Marocain, je rêve d’être Tunisien, etc.

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Les propagandes des deux régimes ont réussi à fabriquer ces êtres de haine qui en arrivent à prendre leur pays pour une vanité et leur voisin de sang et d’histoire pour un ennemi stratégique. Hallucinant de voir comment certains médias et certains Algériens parlent de ce pays voisin ! Et dans le sens contraire aussi

«C’est indigne d’un Algérien de dire qu’il est Marocain». C’est la réaction la plus extrême qu’a récoltée le chroniqueur après le texte de «Je suis Marocain». Expression d’une haine radicale, tragique, sans issue. On peut y répondre par la lente pédagogie, la compassion même : entre l’Algérie et le Maroc, il n’y a pas eu des millions de morts et deux guerres comme entre la France et l’Allemagne. Et pourtant ces deux pays ont réussi à bâtir un avenir et un présent admirable. Entre l’Algérie et le Maroc il n’y a pas trois solutions. C’est soit faire la paix, construire, soit faire la guerre, s’entretuer. En arriver à ce stade extrême en qualifiant de traître un Algérien qui se réclame aussi Marocain que Tunisien, est une pathologie, une maladie, une impuissance face à la haine, une incapacité à atteindre la grandeur de nos ancêtres. 

Les propagandes des deux régimes ont réussi à fabriquer ces êtres de haine qui en arrivent à prendre leur pays pour une vanité et leur voisin de sang et d’histoire pour un ennemi stratégique. Hallucinant de voir comment certains médias et certains Algériens parlent de ce pays voisin ! Et dans le sens contraire aussi.

Il y a eu aussi ces réactions de lâcheté : «Dites à ce crétin d’écrire «Je suis Algérien» dans un journal marocain !». Là aussi on est dans la douleur et la tragédie. Dans la petitesse. «Je suis Algérien» est tout aussi proclamé par des Marocains. Et si cela est une insulte, il faut oser la crier face à Bouteflika, né à Oujda, à Benbella et pas seulement insulter le chroniqueur. Il faut aller le dire aux familles séparées et aux liens brisés.

Il y a eu, enfin, l’expression du malaise : «Ils nous ont fait ceci et cela». On remonte à la guerre des Sables, l’Emir Abdelkader et même plus loin. Le refus creuse longuement dans les racines et la terre pour se justifier. Est-ce faux ? Non. Des Algériens ont été expropriés et expulsés avec violence et humiliation durant notre guerre civile. Des Marocains ont été spoliés, chassés, pourchassés à l’époque de Boumediene, etc. On peut dresser la liste des griefs. Mais tous ces discours qu’on a servis au chroniqueur comme une remontrance discrète avaient un point commun : ils parlaient du passé. Personne ne m’a parlé de l’avenir, du futur, de demain et des générations qui arrivent. Certains, de part et d’autre, veulent un procès, un tribunal, pas des récoltes, de la générosité et le courage d’aller vers l’avant. On veut léguer à nos enfants des haines, pas le souvenir de notre capacité à dépasser nos faiblesses et nos mémoires blessées. Nous ne sommes pas grands donc. Cela exige des efforts et du courage d’âme que d’être un ancêtre digne et un héros pour sa descendance. Il faut avoir du courage pour céder sur un droit au nom d’un devoir. On ne l’a pas. 

Mais cela n’est pas la voix de tous. Au Maroc les réactions, la plupart, étaient saines, troublantes de générosités, ferventes. En Algérie aussi. Tout n’est pas perdu. «Je suis Marocain» n’est pas une trahison, une insulte, une haine de soi. Etrange d’ailleurs : pendant des années certains accusaient le chroniqueur de «haine de soi» quand il critiquait l’état de ce monde dit «arabe», et maintenant il se fait insulter par des gens qui n’arrivent même pas à dire «je suis Marocain» mais qui veulent être Arabes, Palestiniens, Rohingyas, etc. Et c’est moi qu’on accuse de haine de soi alors que certains n’arrivent même pas à accepter un frère voisin ?

Le Maroc est-il innocent ? Non. Il fait partie de l’histoire des nœuds. L’Algérie l’est-elle ? Bien sûr que non. Torts partagés. Mais il ne s’agit pas de dresser un procès ! Il s’agit de dégager une voie, rappeler un lien de parenté et de communauté, une nécessité pour faire face au terrorisme, la pauvreté, le chaos. Que la terre du Maghreb nous pardonne d’y avoir creusé nos tranchées et élevé nos murailles au lieu d’y construire nos puissances et nos solidarités ! Que l’avenir nous donne la force d’avoir les vertus de nos aînés et ne pas perpétuer leurs vices et rancunes ! 

Le chroniqueur a exprimé un sentiment, une passion, un appel. Il n’est pas là pour juger le passé et distribuer les culpabilités. Il est là pour rêver d’un avenir et rappeler que si nos adversités sont si grandes, c’est parce qu’elles sont chargées d’affects et de nos blessures comme les disputes entre deux frères. La disproportion du rejet est la mesure inverse du lien affectueux. C’est une réalité. Alors oui, je suis Marocain. Parce qu’il faut que quelqu’un commence. Et j’ai des amis marocains qui se proclament Algériens et ils ont du courage. Ceux qui n’ont pas la générosité d’âme pour le dire, qui veulent cultiver les rancunes et les différences, qui appellent et construisent des guerres à venir, n’ont qu’à changer de lieu, ou se taire. Nous valons mieux. Les rancunes ne sont pas une issue pour l’âme et l’histoire n’est pas un verdict d’avenir.

Les pays se méritent et ne s’héritent pas. 
Et que ceux qui se détestent le fassent dans l’avarice de leurs cœurs et jusqu’à ce que l’enfouissement les guérisse de l’étroitesse. Mais qu’ils ne nous contaminent pas, nous et nos descendants ! L’histoire est leur cauchemar et l’avenir est notre rêve. http://www.lequotidien-oran.com/files/spacer.gif 

*Kamel Daoud est écrivain et journaliste algérien. Chroniquer de talent dans le quotidien d’Oran (d’où est piqué ce texte) et de l’hebdomadaire français le Point, il est un journaliste et écrivain qui dérange, mais parle vrai  

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