La part de toxicité dans le ''Taza avant Gaza''

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Avril 1987, l’OLP tenait son conseil National à Alger. Pour plaire à ses hôtes algériens, Yasser Arafat donna, avec les effusions faussement sentimentales qu’on lui connaissait, une chaleureuse accolade à Mohamed Abdelaziz, secrétaire général du Polisario, qui a eu auparavant l’outrecuidance d’amalgamer dans une même joute Maroc et sionisme. Le sang de Hassan II ne fit qu’un tour et le soir même, dans un discours où la colère royale était à peine contenue, sommait les Marocains de ne plus lui parler des Palestiniens, les menaçant, le cas échéant, de faire maculer de « l’innommable » les façades des maisons de tous ceux qui dérogeraient à cette sentence.  

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… Huit années plus tard, Yasser Arafat s’entretenant avec Itzhak Rabin et Shimon Pères  

Le défunt souverain n’était pas dupe du double jeu des différentes composantes de l’OLP, à l’époque - aux cotés du Fatah d’Abou Amar - un magma de fronts plus gauchisants les uns que autres. Ni n’ignorait le funambulisme diplomatique auquel était contraint un Yasser Arafat soumis aux antagonismes interarabes. Mais à Alger, le leader historique de l’OLP avait franchi le seuil de l’intolérable en matière de duplicité. Et comme bien d’autres colères auparavant, l’ire royale vivra le temps d’un nuage d’été et les relations entre les deux hommes finirent par reprendre comme si de rien n’était, chacun recouvrant sa place dans les calculs de l’autre, Hassan II continuant à soutenir la cause palestinienne dans la perspective qui était la sienne, rationnelle et pragmatique. 

Ergotage et babillages

C’est l’ergotage dont bruissent les réseaux sociaux sur un improbable troc « reconnaissance de la souveraineté sur le Sahara par les Américains contre l’adhésion de Rabat au ‘’deal du siècle’’ », qui a fait ressurgir dans mon esprit cet épisode. Dans la foulée, le babillage sur les priorités marocaines - Sahara d’abord, la Palestine après ou inversement – m’incite à deux éclaircissements majeurs. Le premier est que jamais l’OLP n’a apporté son soutien au Maroc dans la question du Sahara. Le second est que jamais Rabat dont l’approche de la question palestinienne est antérieure à la récupération du Sahara, n’a exigé d’elle semblable positionnement. Au plan officiel, l’Organisation palestinienne, en dehors de l’impair d’Alger, a toujours observé une certaine réserve sur la question sous le prétexte, recevable, de ne s’aliéner aucune des parties.

Sur le terrain il en allait autrement. Dans la mosaïque qu’était l’OLP aux instants de son pain blanc, des Palestiniens et des mouvances palestiniennes ont contribué à des tentatives de déstabilisation du Maroc et se sont mouillés dans des fantasmes de renversement du régime marocain. Dans les forums internationaux, particulièrement aux heures de gloire du bloc soviétique et de l’International socialiste, les délégations marocaines trouvaient souvent en face d’elles des Palestiniens soutenant le Polisario. Des éléments du Fatah, le FPLP de Georges Habache, un peu moins le FDLP de Nayef Hawatmeh et bien d’autres fractions encore plus groupusculaires ne dissimulaient pas leur sympathie pour Alger et pour son avorton qu’ils percevaient comme leur prolongement dans cette région du monde « arabe ». On ne comprendrait d’ailleurs rien à ce chapitre si l’on ne retient pas que dans le contexte d’antan, les Palestiniens en général et l’OLP en particulier se concevaient comme le fer de lance de la lutte contre l’impérialisme mondiale et l’étincelle par laquelle la révolution emporterait tous les régimes arabes, forcément compradors. 

L’un des péchés capitaux des mouvements palestiniens est précisément de s’être fourvoyés dans des luttes qui dépassaient leur cause et se sont démarqués les uns des autres par des allégeances qui faisaient peu de cas de l’autonomie de la décision palestinienne. Outre la fresque des variantes marxisantes, on retrouvait des obédiences que se partageaient les deux grands affluents du nationalisme arabe : le nassérisme et le baathisme dans ses deux versions, l’irakienne et la syrienne. On sait ce qu’il en est advenu.  

Géographiquement loin de la sphère de la confrontation, les Marocains ne vivaient pas moins leur « ferveur palestinienne » et en subissaient les contrecoups. En revanche, tenant compte de la sensibilité de sa rue sans pour autant se soumettre à son dictat, le soutien du Maroc (officiel) à la cause palestinienne n’a jamais été passionnel. Au faîte de l’effervescence panarabiste, deux hommes d’Etat ne se sont à aucun moment laissés berner par la politique des slogans à l’emporte-pièce : le tunisien Habib Bourguiba et le marocain Hassan II. Lucide et imperméable aux discours enflammés d’un Nasser, d’un Hafed Al Assad, d’un Saddam Hussein, d’un Kadhafi ou d’un Boumediene, le Roi du Maroc va œuvrer publiquement pour une politique sinon de fraternisation, de coexistence judéo-arabe. C’est de lui que viendra l’idée, assez osée parce que blessante pour l’ego arabe, de l’alliance entre l’argent des monarchies pétrolières et le génie juif. C’est encore sous sa présidence, à Fès, que le sommet arabe adopta, en deux temps (1981, 1982), le Plan Fahd, du nom du Roi de l’Arabie saoudite, qui allait dans le sens de la reconnaissance d’Israël en contrepartie d’un Etat viable pour les Palestiniens comprenant les territoires occupés en 1967 et la partie est d’Al Qods. 

Il faut réécouter, lors de l’élaboration de l’éphémère union tuniso-libyenne en 1974, le discours de Habib Bourguiba énumérant, en présence de Mouammar Kadhafi, les éléments constitutifs de la force d’Israël pour comprendre la conscience aigüe que Hassan II, sur la même longueur d’onde, avait de la réalité du rapport de force entre juifs et arabes. Tout au long de son règne, le défunt Roi du Maroc avait appelé de ses vœux ce rapprochement judéo-arabe, de la même manière qu’il pressait les régimes arabes de lever la main sur les Palestiniens qu’il voulait soustraire à cette pesante tutelle autoproclamée. Ceux qui douteraient de cette volonté pourraient trouver sur YouTube la vidéo où Hassan II, ouvrant une réunion des ministres des Affaires étrangères de la Ligue Arabe, plaidait fort éloquemment dans ce sens. C’est d’ailleurs lui encore qui a usé, au sommet arabe de Rabat en octobre1974, de sa force de persuasion et de sa proximité avec le souverain jordanien pour amener le Roi Hussein à renoncer à ses revendications sur la Cisjordanie et Jérusalem Est, permettant enfin à l’OLP de se faire reconnaitre comme représentant unique et légitime du peuple palestinien, et à Yasser Arafat de se faire recevoir le 13 novembre de la même année comme tel à la tribune des Nations Unies. 

 Depuis, la position marocaine, s’adaptant aux évolutions de la situation et aux changements des conjonctures, n’a pas varié de cette ligne. Et c’est peut-être cette acception de la question palestinienne à l’esprit que le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, a invité les parlementaires à ne pas se faire « plus Palestiniens que les Palestiniens. » Si tel est le cas, le moins que l’on puisse dire est qu’il l’a exprimée gauchement. Le « Taza avant Ghaza », paraphrase malheureuse du « plutôt la Corrèze que le Zambèze » qui en a découlé, ne peut germer que dans des esprits malformés et mal informés. Le parallèle entre la question du Sahara et la question palestinienne est une idée sournoise qui contorsionne les faits et tend vainement à trouver des convergences entre deux genèses différentes et deux causes différentes qui font face à des adversaires différents et qui ne se défendent pas de la même manière. Et s’il faut absolument leur dénicher un point commun, c’est dans le sang marocain qu’il faut aller le chercher. Qui a coulé aussi bien pour le Sinaï et le Golan que pour l’intégrité du Maroc et la récupération du Sahara.

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