Les dérapages du politique rattrapés par le règne du droit

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Les dérapages du politique rattrapés par le règne du droit dans l’affaire de la suspension du Conseil de la région Guelmim-Oued Noun

L’ancrage démocratique de la région, reconnu et consacré depuis 2011, n’a pas pour vocation de porter atteinte à l’efficacité censée traduire les actions régionales. La domination de querelles politiques est de nature à porter atteinte au projet de régionalisation avancée. Dans l’affaire de la région Guelmim-Oued Noun, cette question a été posée mettant en jeu ainsi les intérêts vitaux des habitants de la région en question. L’application du droit par le ministère de l’Intérieur est inscrite dans les limites du nécessaire afin de mettre terme aux dérapages du politique, étalés souvent pour des considérations partisanes. La suspension du conseil régional en question met le Gouvernement dans l’optique d’une prise en compte de l’intérêt général au détriment des intérêts personnels.

L’objectif de faire face aux instabilités politiques est dominant dans la loi organique 111-14

Les traumatismes hérités d’une application particulière du régime de la responsabilité politique depuis la charte de 1976 se sont traduits par des instabilités durables. L’article 7 de la charte mettait les présidents à la merci des majorités politiques, souvent changeantes en fonction de compromis politiques circonstanciels. La loi organique 111-14, en tirant les leçons, s’est rangée pour une approche opportuniste qui s’est traduite par des règles particulièrement contraignantes pour le conseil afin de démettre le président du conseil. Son article 73 ne permet au conseil de démettre le président qu’à des conditions rigoureuses. Il s’agit d’abord de la nécessité de l’expiration de la troisième année du mandat du conseil et par la suite de la possibilité de ne conduire une telle procédure qu’une seule fois durant le mandat du conseil. L’importance de protéger les intérêts de la population de la région a imposé le choix. Les conditions de majorité importante favorisent la nécessité d’assurer la stabilité des conseils régionaux. La demande doit provenir des 2/3 des membres du conseil de la région en exercice et son approbation ne peut avoir lieu que par le vote des ¾.   

Il peut s’avérer aujourd’hui étrange d’observer qu’au nom d’une stabilité recherché plusieurs régions vivent l’immobilisme du fait de guerres partisanes ne prenant en compte aucunement les intérêts des populations concernées. Le cas de la région Guelmim-Oued Noun est assez révélateur. Les proportions qu’a pris l’immobilisme a imposé au Gouvernement de donner suite à la Constitution et à la loi pour assurer la continuité de l’action publique dans cette région.  

Le caractère provisoire et moins contraignant de la suspension  

Le régime qu’instaure la loi organique 111-14 permet l’intervention du Gouvernement par l’intermédiaire du ministère de l’Intérieur au moyen de pouvoirs variés en fonction de la gravité de l’atteinte portée aux intérêts d’une région donnée. Le choix pour la solution de la suspension traduit une volonté de ne pas faire face à l’instabilité en créant paradoxalement une instabilité durable.

Il faut observer que les interventions en question permettent de traiter différemment les cas de blocages en question. Trois mesures existent à ce propos se traduisant par la suspension, la révocation ou la dissolution pour le conseil.

Ces actes diffèrent également en fonction des autorités concernées par le régime en question, le président, ses vice-présidents ou les conseillers en l’occurrence. La suspension ne traduit en fin de compte que le mode, le moins extrême d’ailleurs, visant souvent à prendre des mesures provisoires en attendant, soit le verdict de la justice en cas de saisine du tribunal administratif, soit le retour à l’état normal. L’aspect le plus frappant dans le registre des sanctions que prévoit le droit est qu’il n’existe aucun lien entre une sanction qui concerne une autorité prise individuellement et le conseil. Cela se traduit par l’absence de la règle de l’affectation de la sanction. Le seul cas concerné demeure néanmoins le rapport étroit établi entre la situation du président et le bureau du Conseil.

Les effets du régime de la révocation se sont traduits par l’exigence de l’intervention du juge administratif pour sa mise en œuvre. La loi organique 111-14 consacre la règle dans son article 66 et en prévoit des applications larges dans ses articles 44, 67 et 71. De sa part, le régime de la dissolution est réservé aux cas extrêmes et nécessite obligatoirement un jugement définitif. L’alinéa 2 de l’article 66 le consacre lorsqu’il prévoit que « seule la justice est compétente pour dissoudre le conseil de la région ».

La suspension est une alternative démocratique au régime de la dissolution

La mise en œuvre du régime de la dissolution permet de dégager deux cas contribuant aux mêmes résultats. Le premier résulte de l’article 75 qui affirme que « si les intérêts de la région sont menacés pour des raisons touchant au bon fonctionnement du conseil de la région, l’autorité gouvernementale chargée de l’intérieur peut saisir le tribunal administratif aux fins de dissolution du conseil ». Le second a pour origine les dispositions de l’article 76 qui précisent que « si le conseil refuse de remplir les missions qui lui sont dévolues par la présente loi organique et par les lois et règlements en vigueur, ou s’il refuse de délibérer et d’adopter la décision relative au budget ou à la gestion des services publics relevant de la région, ou en cas de dysfonctionnement du conseil de la région de nature à menacer son fonctionnement normal, le président est tenue d’adresser une demande à l’autorité gouvernementale chargée de l’intérieur, à travers le wali de la région, en vue de mettre le conseil en demeure afin de redresser la situation. Si le conseil refuse, ou si le dysfonctionnement persiste après l’expiration d’un mois à compter de la date de sa mise en demeure, l’autorité gouvernementale chargée de l’intérieur peut saisir le tribunal administratif pour dissoudre le conseil ».

Dans les deux cas, la notion de dysfonctionnement s’impose. La différence à établir entre les deux prend en compte l’autorité qui prend l’initiative en question. Cela peut se faire en effet, soit par le président du conseil, soit par l’autorité gouvernementale chargée de l’intérieur. Dans le premier cas, un régime de mise en demeure est prévu comme une solution intermédiaire tendant à donner une chance pour le conseil afin d’éviter le recours au tribunal administratif pour demander la dissolution du conseil de la région.

Le fondement juridique de la suspension du Conseil de la région Guelmim-Oued Noun

L’application dans l’affaire du Conseil la région de Guelmim-Oued Noun de l’article 77 traduit le choix le moins extrême tendant à mettre en œuvre un régime intermédiaire en attendant les conditions favorables à une reprise des activités ordinaires des instances de la collectivité régionale concernée.

Cet article prévoit le cas de suspension du conseil comme relevant du registre des mesures à prendre. L’absence de la mesure dans le registre des actions que prévoient les autres dispositions de la loi en fait une mesure librement évaluable par l’autorité gouvernementale chargée de l’intérieur.

En effet, l’article 77 est ainsi rédigé : « En cas de suspension ou de dissolution du conseil de la région, ou de démission de la moitié au moins de ses membres en exercice, ou lorsque les membres du conseil ne peuvent être élus pour quelque cause que ce soit ». Dans de telles éventualités, une délégation spéciale doit être nommée par arrêté de l’autorité gouvernementale chargée de l’Intérieur. Pour ce qui est de composition, le nombre des membres de la délégation spéciale est de cinq membres, dont le directeur général des services qui en est membre de droit. Le wali de la région préside la délégation spéciale et exerce ainsi les attributions dévolues au président du conseil de la région. Il peut déléguer par arrêté certaines de ses attributions à un ou plusieurs membres de la délégation. Les attributions de la délégation spéciale sont limitées à l’expédition des affaires courantes et elle ne peut engager les finances de la région au-delà des ressources disponibles durant l’exercice courant. La délégation spéciale cesse ses fonctions de plein droit, selon le cas, à l’expiration de la durée de suspension du conseil ou à sa réélection. L’article 44 de la loi organique 111-14 confirme la règle lorsqu’il prévoit que « toute violation volontaire des dispositions du présent article entraine l’application des mesures disciplinaires prévues pour la révocation des membres ou pour la suspension ou la dissolution du conseil, selon le cas ».

L’utilité de la suspension tient à son caractère provisoire ainsi que son importance pour la préservation des intérêts de la région. Il traduit également l’occasion pour les partenaires concernés, majorité et opposition au Conseil régional en cause, pour se remettre en question afin se ranger du côté d’un fonctionnement normal du Conseil de la région tout en évitant les solutions extrêmes.

La suspension consacre les principes de bonne gouvernance qu’instaure la loi organique 111-14

La suspension offre certainement l’occasion de mettre en application le principe de libre administration des régions tel que cerné par le titre VIII de la loi organique 111-14 intitulé « Des règles de gouvernance relatives à l’application du principe de libre administration ». L’article 243 en fait usage lorsqu’il précise le sens de la libre administration dans une approche de bonne gouvernance. Le principe impose en effet le respect des principes relatifs à la continuité de la prestation des services par la région et la garantie de leur qualité ainsi que la consécration des valeurs de démocratie, de transparence, de reddition des comptes et de responsabilité. Cet article cite par ailleurs parmi ces principes la participation, l’efficacité et l’intégrité. Le caractère impératif de ces principes détermine la dimension des actions que peut engager l’autorité de contrôle, le ministère de l’Intérieur. Il lui offre également le pouvoir d’apprécier les actes appropriés parmi la panoplie de mesures que lui accorde le droit.

Dr Said MOUGJA, chercheur en droit public

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