Lettre ouverte aux camarades Hamid Chabat et Nizar Baraka / Hamdi Ould Rchid

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Mohamed Benmoussa, membre du conseil national de l’Istiqlal qui a tenté désespérément de casser la course biptyque pour le secrétariat général de l’Istiqlal en y postulant lui-même, en vain, revient dans une seconde lettre ouverte pour crier son désespoir, mais surtout dégager les grandes lignes de ce que pourrait-être le projet sociétal de son parti*

Le 17ème Congrès de l’Istiqlal s’est tenu dans une situation de crise. Une crise qui secoue et menace d’ébranler notre parti. Crise profonde. Jamais égalée peut-être dans notre histoire. Une crise aggravée par des manœuvres d’appareils et des actes nauséabonds d’une rare violence, perpétrés par certains de vos fidèles supporters. Des adhérents du parti ont été gravement blessés. Nos concitoyens ont été choqués par des images et des vidéos qui tournent en boucle sur les réseaux sociaux. Le président de la commission préparatoire du Congrès et le président du Congrès ont bafoué la démocratie interne en m’empêchant, sous couvert de futiles règles procédurières totalement caduques mais précieusement conservées au formol pour entraver le pluralisme et la compétition, de m’adresser aux militants afin de défendre une proposition d’amendement statutaire et de présenter un projet politique, sociétal, économique et social pour le parti.

Mais là n’est pas l’essentiel car ma candidature n’avait pour seule ambition que de donner une image différente de la famille Istiqlalienne, en réveillant les consciences des militants et en posant, enfin, les termes d’un débat sérieux sur les questions qui préoccupent les Marocains. L’élégance eut été d’accueillir avec enchantement cette alternative politique et cette proposition de débat. Mais force est de constater que les comportements de notre classe politique, toutes générations confondues, ne s’encombrent pas, outre mesure, des préceptes aristotéliciens, khaldouniens, rousseauistes, kantiens, wébériens ou ricœuriens de l’éthique politique. Dans ces conditions, je prends à témoin l’opinion publique en indiquant ce que devrait être le débat interne au sein de l’Istiqlal.  

Les débuts de l’enlisement  

A l'heure où les militants et les dirigeants de l’Istiqlal se sont rassemblés en Congrès, ils devaient garder à l’esprit que le terme « rassemblement » n’est pas un vain mot car il a une charge symbolique très forte et il exige humilité, responsabilité et audace. Audace surtout, car ils doivent avoir la lucidité de reconnaître leurs manquements et leurs échecs, d’admettre que notre parti s’est enlisé depuis une génération dans une voie sans issue et nous devons réussir la rénovation de notre discours, de notre projet, de notre leadership et de nos comportements individuels et collectifs, pour préparer les réussites de demain. Un seul facteur clé de succès dans cette dynamique : le renoncement de soi au service de l’intérêt général.

Certains pensent que notre parti est la cible d’une hégémonie extérieure qui entend le domestiquer, dicter sa ligne de conduite politique, transformer son équipe dirigeante en une petite brochette de marionnettes, que le pire est à venir, que notre identité s’éteint, que notre indépendance s’efface. Ils proposent, en réaction, le repli conflictuel, la surenchère verbale et le rapport de force. D’autres imaginent que nous devons montrer patte blanche à qui de droit et taire nos désaccords politiques, pour attester que nous sommes des gens tout à fait fréquentables et démontrer notre loyauté. Ils proposent, en réponse, la perméabilité, le langage convenu et la docilité absolue. Je suis convaincu que les uns et les autres ont tort parce ce que leurs modes de pensée sont révolus et leurs modèles politiques sont caducs. Leurs recettes ont simplement échoué et la formation du gouvernement post législatives 2016 le démontre avec éclat. Et c’est cet échec, partagé par d’autres familles politiques, qu’elles soient de la majorité gouvernementale ou de l’opposition, qui est la source du divorce entre le peuple et ses gouvernants. Notre pays en paie aujourd’hui le prix fort. Mais notre pays, dans son ensemble, refuse l’échec et nos concitoyens exigent de nous de retrouver les voies du succès.

Il faut pour cela réinventer un chemin politique, une nouvelle voie qui sera motrice de progrès politique et démocratique et créatrice de prospérité économique et sociale pour tous. Comment y parvenir ? Ni révolte, ni soumission. Ni esclandres assourdissantes, ni mutisme complaisant. Ni déclamations utopiques, ni renonciations asservissantes. C’est la voie déterminée d’une loyauté à nos institutions, d’une fidélité à nos valeurs et d’une quête réformatrice absolue que l’Istiqlal doit suivre. En voici les principales orientations.

Nous n’avons de leçon de monarchie à recevoir de personne    

Les Marocains sont conscients des nouvelles exigences de notre temps. Ils sont solidaires avec une jeunesse connectée, ambitieuse et impatiente, voire en colère. Ils sont préoccupés par le sort réservé à une classe moyenne anxieuse, car exposée à un modeste pouvoir d’achat sans cesse rogné par des politiques publiques injustes. Ils sont attentifs aux angoisses de plusieurs générations de seniors, soucieux de la sauvegarde de leurs pensions de retraite. Ils sont mobilisés aux côtés de citoyens exigeants, attachés à leurs droits démocratiques et désireux de participer aux décisions politiques qui impactent leur vie. Face à ces défis, notre système politique est bloqué. En disant cela, je n’accuse personne mais j’interpelle tout le monde, à commencer par nous mêmes, nous les Istiqlaliens.

Le combat de l’Istiqlal doit être d’abord politique. La surenchère des partis et des responsables politiques sur leur proximité avec la personne du roi doit cesser. Pour paraphraser les propos de feu Hassan II, la monarchie marocaine n’est pas une variable que l’on met en équation. Nous n’avons pas à renouveler sans cesse les preuves de notre attachement à la personne du roi Mohammed VI, car nous n’avons de leçon de monarchie à recevoir de personne et la loyauté ne se mesure pas à l’intensité des discours déclamatoires mais à la force des convictions et à la portée des actes politiques. Comme en amour où les déclarations d’amour importent moins que les preuves d’amour, toute l’histoire de l’Istiqlal est jalonnée de preuves d’attachement à la royauté, hier comme aujourd’hui et demain. Nous avons toujours été monarchistes, au moment où d’autres tergiversaient, nous sommes monarchistes et nous le resterons à jamais car cette fidélité est consubstantielle à l’ADN de l’Istiqlal. Mais en même temps, nous sommes conscients que nos institutions politiques doivent être réformées, modernisées, pour répondre aux nouvelles attentes, sans cesse grandissantes, des Marocains. Je pense que la proximité relationnelle avec la personne du roi doit imposer aux personnes concernées un devoir de réserve tant sur l’échiquier politique que dans le monde des affaires. Nul Marocain ne doit pouvoir se prévaloir de cette proximité pour tirer un avantage indu dans sa relation à un autre Marocain. Comme il est nécessaire d’établir une muraille de Chine entre la finance et la politique pour prévenir les conflits d’intérêts et le trafic d’influence. Pour y parvenir, nous devons légiférer en nous conformant aux meilleurs standards internationaux, que l’on retrouve plus spécifiquement dans la réglementation des pays nordiques. Les prérogatives du gouvernement doivent être étendues, le rôle de la Chambre des représentants élargi et ses moyens d’action et de contrôle renforcés. L’action des entités constitutionnelles de contrôle et de bonne gouvernance, comme la Cour des comptes, le CNDH, le Conseil de la concurrence ou l’Instance nationale de la probité, de la prévention et de la lutte contre la corruption, doit devenir plus effective par un renforcement de leur compétence juridique, de leur autonomie financière, de leurs pouvoirs de sanctions, de l’indépendance et de la qualité de leur management.

En finir avec le déphasage               

Le combat de l’Istiqlal doit être aussi sociétal. Nous devons mettre un terme à cette image, qui arrange tant nos concurrents, de parti traditionnaliste aux discours résolument mémoriels, de parti conservateur aux lectures non contextualisées des préceptes religieux et des comportements humains. Les lois pénales sont devenues obsolètes et s’inscrivent en déphasage avec la réalité de la société marocaine du 21ème siècle. Nous devons extirper des lois répressives des comportements déviants toute dimension morale, que seules les consciences individuelles doivent pouvoir questionner dans l’intimité de soi, loin de la vindicte populaire et hors de la menace d’une police des mœurs. Nous devons introduire dans notre droit positif une nette distinction entre l’acte illégal, que la société doit légitimement réprimander, et l’acte immoral ou amoral que la conscience doit interroger sans la crainte d’une sanction publique. Nous devons interdire le mariage des jeunes filles mineures, car aucun alibi ou aucun prétexte, ni aucune jurisprudence prétendument religieuse, ne sauraient justifier que l’on sacrifia aussi injustement la santé physique, l’épanouissement moral et l’avenir éducationnel d’une partie de nos enfants, généralement la plus fragilisée par des conditions socioéconomiques précaires. Nous devons établir le droit des femmes à l’avortement ainsi que leur droit de disposer librement de leur corps, car nous mettrions un terme au drame de milliers de jeunes filles mères qui, en plus de subir l’opprobre du déshonneur familial, recourent aux IVG clandestines réalisées dans des conditions médicales et sanitaires déplorables, au risque de perdre leur propre vie. La dépénalisation des relations libres entre adultes consentants est une question qui se pose avec acuité, comme la liberté de conscience et du culte qui doit être davantage renforcée et mieux traduite dans le vécu quotidien des Marocains, qui comptent en leur sein de longue date une communauté judaïque et une autre, plus récente mais en progression significative, de confession chrétienne. Enfin, le droit à l’héritage nécessite une réforme devant permettre au vivant d’une personne dans une démarche volontaire et authentifiée, un libre choix entre l’application des règles coraniques stricto sensu et l’adoption d’un régime conventionnel parfaitement équitable entre tous les héritiers sans aucune considération liée à la nature du sexe.

Le combat de l’Istiqlal doit être, enfin, économique et social. Notre modèle économique est à bout de souffle. Il est devenu totalement inopérant, ne produisant que très peu de richesses et échouant dans la fonction régalienne de redistribution. Il laisse chaque année des pans entiers de la société marocaine sur le bord de la route dans un dénuement effrayant. Les écarts de revenus et de richesses ne cessent de s’aggraver d’année en année, permettant à quelques happy few Marocains d’intégrer le cercle très fermé des richissimes hommes d’affaires les plus fortunés de la planète. Dans le même temps et assez paradoxalement, ou peut-être assez logiquement, la corruption, la fraude fiscale et la fuite des capitaux à l’étranger atteignent des niveaux jamais égalés dans l’histoire du Maroc. Nous devons donc réinventer ce modèle pour relever les défis présents et à venir. Pour y parvenir, nous devons replacer l'entreprise privée et la PME plus particulièrement au centre de la création de richesses matérielles. Il nous appartient de donner plus de cohérence et d'inter complémentarité à nos stratégies sectorielles et de faire en sorte que les écosystèmes intégrés produisent davantage d'externalités positives pour les agents économiques des territoires. Nous devons créer une banque publique d’investissement qui sera essentielle pour le financement des projets de nos entreprises et pour le soutien à la stratégie industrielle de l'Etat. Nous devons mieux réguler le marché financier, améliorer le fonctionnement du secteur bancaire, réformer les autorités de tutelle et moderniser notre politique monétaire. Nous sommes tenus d'assurer un meilleur financement de l’économie et de garantir les conditions d'une orientation plus efficace de l’épargne vers l’investissement. Nous devons travailler davantage à réduire les déficits et l'endettement public, notamment en réalisant des économies budgétaires dans les dépenses de fonctionnement de l'Etat et des collectivités territoriales. Il nous incombe d'améliorer la performance du portefeuille public et de conduire la réforme fiscale susceptible d'élargir l'assiette de l'impôt, de réduire de façon draconienne les dépenses fiscales, d'assurer l'équité fiscale verticale et horizontale, de garantir les droits des contribuables et de lutter plus efficacement contre l'évasion et la fraude fiscales. Nous devons mener avec courage et détermination la bataille pour la croissance, l’emploi et la justice sociale. Enfin, il est essentiel pour nous de muscler notre diplomatie économique afin de rééquilibrer nos balances commerciales bilatérales, de corriger les failles de nos accords de libre-échange et de réorienter notre politique étrangère, nos IDE et nos exportations prioritairement en direction de l’Afrique sub-saharienne.

Faites taire vos différends de carrière et d’intérêts

Cher Hamid Chabat, chers Nizar baraka/Hamdi Ould Rchid, je vous écris ces quelques lignes avec transparence, courage et détermination car, en politique, ces trois qualités sont une condition cardinale pour rechercher la vérité et être en mesure de la dire haut et fort ; pour accepter la difficulté et l’observer en face d’un regard tranquille, pour refuser de subir la loi du silence ou de faire écho aux applaudissements irréfléchis et aux huées fanatiques. Faites taire vos différends de carrière et d’intérêts et retrouvez la raison. Faites cesser la mascarade du Congrès et permettez aux adhérents de recouvrer sérénité et dignité. Mais je vous avoue, davantage par honnêteté intellectuelle que par respect pour votre intelligence politique, qu’à travers cette lettre ouverte, ce n’est pas à vous que je m’adresse prioritairement car vous n’êtes pas au centre de mes préoccupations. C’est aux Istiqlaliens, les vrais, que je voudrais porter un message fort une seconde fois en quelques jours.

Je crois très profondément que rien n’est jamais écrit à l’avance. Et s’il y avait un tel déterminisme, le sort de l’Istiqlal serait déjà scellé. Seul ce que les militants décideront aura force de loi. C’est à eux d’écrire l’histoire de leur parti. Nombreux parmi eux militent par dévouement pour leur parti et, à travers lui, pour leur pays. Mais les logiques d’appareils paralysent souvent la capacité d’aller de l’avant, d’innover et de réformer. J’ai vu de l’intérieur la vacuité de notre système politique qui empêche les majorités d’idées, au motif fallacieux qu’elles fragilisent les appareils et bousculent les intérêts acquis. Les militants ont, aujourd’hui, le devoir moral de s’en libérer, de prendre leur décision en toute autonomie, de faire leur choix sans se soumettre à aucune influence, aucune pression ou aucune appartenance clanique, mais au seul impératif dicté par leur conscience.

Vous, chers camarades de l’Istiqlal, vous qui êtes sincères dans votre militantisme, je vous ai dit en toute sincérité quelques unes des choses que je portais en moi. Je vous ai proposé les lignes directrices d’un projet novateur, le projet du renouveau de l’Istiqlal. Je vous propose de mettre la jeunesse de notre pays au centre de ce projet et d’ériger en priorité nationale leur accès à l’éducation, à la santé, au logement, au travail, au sport et à la culture. Pour mener ce projet, la responsabilité du Secrétaire général est immense. Un Secrétaire général n’est pas simplement investi d’une organisation. Il porte aussi les valeurs de sa famille politique, la continuité de son histoire et la puissance de son projet. Le choix politique qui vous est offert aujourd’hui est un non choix. Prenez le pouvoir et réinventez votre parti.

Mohammed Benmoussa

Militant de l’Istiqlal

www.mohammedbenmoussa.com

Twitter : @benmoussamed01

Facebook : Mohammed Benmoussa

*Les intertitres  sont de la rédaction 

 

 

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