En hommage à mon frère Larbi, disparu précocement le 15 mai dernier

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Larbi, mon fr?re, mon ami, mon camarade.

D?j? plus de quarante jours que tu es parti. Quand il m?arrive de regarder certaines comp?titions du Mondial de cet ?t?, c?est vers toi que mes pens?es vagabondent. Je revois ton sourire tel que je le voyais quand nous d?couvrions ensemble les superbes matchs o? excellaient les Pel?, les Muller et Eusobio au d?but des ann?es 70, avec une ?quipe marocaine fraichement admise dans la cour des grands. Le tout assaisonn? des chansons inoubliables des Beatles et plus tard de John Lennon en superbe solitaire.

Le foot, tu l?aimais tant. Enfants d?j?, nous aimions taper sur la balle entre fr?res. Tu pr?f?rais jouer ? l?aile droite et tu arrivais souvent ? alimenter Khalid de tes passes lumineuses qui occasionnaient les buts marqu?s sur l?asphalte br?lant des vacances d??t?. Alors que Jamal veillait au grain pour renvoyer mes petits ??bolides?? ainsi que ceux d?Aziz dans les airs et parfois dans le jardin des voisins.

Nos deux ?quipes, toi avec Khalid et Jamal, moi avec Aziz, pr?sageaient d?j? de nos destin?es. Il ?tait dit que vous trois feriez vos premiers pas de jeunes ?tudiants, dans la m?me foul?e, loin du foyer qui nous a vus naitre tous, dans un exil forc?, afin d??chapper ? la machine r?pressive impitoyable. Et nous, Aziz et moi, allions entamer les ann?es carc?rales avec la m?me d?termination qui a ?t? celle d?un homme qui a su ?tre notre maitre ? penser et ? nous surpasser?: Mohamed Assafi, notre p?re. L?abn?gation de quatre femmes d?exception?: Ouafaa, Asma, Assia et Touria a fait le reste, que dis-je, a fait l?essentiel. Avec un benjamin que nous avons rapidement baptis? ??fr?re ain頻, fraichement et superbement offert par la vie, qui a su se d?passer en abn?gation et en don de soi, quand nous croupissions dans les ge?les sordides, et vous trois vous battiez le c?ur gros, les mains vides?et la d?termination intacte dans votre exil: j?ai nomm? Taoufiq.

Les? balles de foot de notre g?n?ration ?taient faites de plastique dur. Elles rebondissaient dans tous les sens, impr?visibles. Apr?s moult sautillements sur nos jambes d?enfants, nous arrivions ? les contr?ler et les amadouer, ? les mettre au pas. Comme ces ann?es noires qui d?ferl?rent sur notre pays et sur notre famille. ?Ces ann?es qui n?ont jamais affaibli ton engagement. Bien au contraire. Elles m?ont permis de d?couvrir en toi d?autres tr?sors de sensibilit?, de tendresse et de d?vouement.

M?me dans les derni?res ann?es de ta maladie, tu arrivais ? servir ? Josette ta campagne, et ? nous tous agglutin?s autour de toi, de tes mains habiles de cordon bleu tes recettes originales, saupoudr?es de ta tendresse, et les meilleurs g?teaux confectionn?s? de main de maitre, avec comme cerise incommensurable?: ton amour et souvent ton humour hilarant qui nous faisait tous pleurer de rire, toi en premier.

J?ai d?couvert aussi ta passion pour l??criture, ? laquelle tu pr?f?rais rendre visite discr?tement comme ? une amante ? qui tu d?voilais ? demi-mot tes peines et tes blessures, avec le souci de ne jamais en rajouter ? ceux que tu ch?rissais, te disant qu?ils avaient certainement les leurs et peut-?tre m?me davantage? fid?le en cela ? ton attitude qui ?tait devenue ton cr?do?: passer toujours en dernier, tel un Christ qui aurait tant voulu embellir l??me et s?assurer du rassasiement de tous, les d?sh?rit?s en premier, quitte ? payer de son bonheur et de sa vie, le prix exorbitant de cette r?demption ind?finiment al?atoire...

Le dernier match, dans la derni?re ann?e de ta maladie, nous l?avons jou? ensemble au Maroc, ce pays que tu as tant ch?ri. Cette fois on avait de nouvelles ??recrues???: Oussama, Aymen et Oualid. Une mani?re de passer le flambeau ? cette nouvelle g?n?ration des Elouadie. Cette g?n?ration avec laquelle tu avais des rapports privil?gi?s, les filles comme les gar?ons, et qui te le rendait bien?

Mon fr?re.

Je t?ai aim? toute notre vie commune en fr?re et en compagnon. Pour ce qui est des ann?es qui restent ? vivre ? tant qu?il y en a encore, je t?cherai de retenir de toi tes meilleures enseignements?: cet ?lan vers les autres sans distinction aucune, cette disposition ? les ?couter, cette propension ? ?viter toute vanit? pu?rile, cette volont? de donner le meilleur de toi-m?me sans pr?tention, ce courage de clamer ta v?rit? et les enseignements de ton exp?rience propre sans d?dain envers les personnes que les al?as de la vie ont priv? des m?mes opportunit?s que toi, ou ne leur ont pas permis de vivre ce que tu as v?cu, de d?couvrir ce que tu as d?couvert, de c?toyer qui tu as c?toy?, de savoir ce que tu as su et faire ce que tu as fait. Et surtout cette loyaut? ? m?me dans le jeu - qu?il t?arrivait de rappeler avec bruit et remontrances lors de nos matchs de foot ou de nos parties de scrabble?

Mon fr?re, mon ami, mon camarade,

Je m?adresse ? toi en fran?ais, dans la langue maternelle de Josette ta compagne, et de tes compagnons de France, pays des lumi?res dont tu ch?rissais tant l?histoire et le legs, lumi?res que tu voyais faiblir sous les coups de butoir de cette vague noire de haine et de x?nophobie. Mais tu le savais bien et nous le savons aussi: cet h?ritage est universel, il ne peut s??teindre, car il y aura toujours et partout les femmes et les hommes de conscience et de c?ur, de ta trempe, prompts ? se battre et ? se d?vouer.

Mon fr?re, repose en paix?

Casablanca, 30 juin 2014

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