Lecture préliminaire dans le manifeste portant sur les richesses au Maroc

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L?appel sign? le 15 septembre par un collectif de citoyen(ne)s marocain(ne)s et portant sur la gestion (production et r?partition) des richesses dans le pays, rev?t une grande importance du point de vue sociopolitique. Pour circonscrire cette importance, deux niveaux de lectures: une lecture sur le plan de la forme et une lecture de fond.

Pour ce qui est de la forme

Pour ce qui est de la forme, (i) il y a tout d?abord ce pr?c?dent de forme qui ?voque, en quelque sorte la vieille courtoisie, voire galanterie anglaise dont la r?gle est "ladies first" en cela que les noms des signataires f?minines ont ?t? regroup?s plac?s en t?te de liste; (ii) il y a ensuite - dans le m?me esprit - cette tonalit? calme et ce discours pond?r? d?apr?s sa terminologie et son contenu, dans lesquels et avec lesquels le manifeste fut r?dig?; (iii) puis il y a - en une compl?mentarit? avec le deuxi?me aspect - cette pluralit? id?ologique et politique ainsi que cette diversit? de profils (des politiques, des militants de droits de l?homme, des intellectuels, des journalistes, d?anciens responsables, etc.) qui caract?risent la liste des signataires, lui conf?rant ainsi un aspect de l?expression de la soci?t? civile (les signataires ont sign? ? titre personnel) qui couvre en m?me temps tout le spectre id?ologique et toute la carte politique, comme l?a bien soulign? le texte du manifeste; (iv) et enfin, en partant explicitement du discours royal de la f?te du tr?ne (30 juillet 2014) et en pr?cisant notamment que ce discours ?a offert les conditions propices pour un d?bat r?el, constructif et profond sur la richesse, sa production et sa distribution ainsi que sur l??quit? et les in?galit?s sociales? (j?ai traduit de l?arabe), l?appel-manifeste rev?t l?aspect d?une action citoyenne de la soci?t? civile qui s?inscrit dans un cadre constitutionnel, ?tant donn? que la constitution consacre le r?le de la soci?t? civile dans le domaine des affaires publiques, et que le discours royal lui-m?me, en recommandant au C.E.S.E de r?aliser une ?tudes sur le patrimoine en richesses selon les nouveaux crit?res (richesse mat?rielles et intangible) a ?galement recommand? que ledit rapport d??tude ainsi que les recommandations qui en ?maneraient soient divulgu?s, tout en invitant [le gouvernement, le parlement et toutes les institutions concern?es et les forces vives ? se pencher sur l?examen desdites recommandations pour leur mise en application] et ce [afin que le rapport final de ladite ?tude ne reste pas lettres mortes ou simple mati?re ? consommation m?diatique].

Aussi r?confortants que soient tous ces aspects ?num?r?s en mati?re de mode d?approche politique collective des affaires de la vie sociale dans la Cit? d?ici-bas, ils ne permettent pas pour autant de les comparer au mode de force tranquille dans lequel la soci?t? du Royaume Unie vient de vivre la campagne et le r?sultat d?un suffrage universel de port?e historique pour elle puisqu?il y s?agit de l?unit? territoriale m?me du royaume, une affaire o? les dimensions identitaires ne sont certes pas absentes, mais o? les termes concrets de la campagne du suffrage n??taient que de type socio?conomique et de politique de r?gionalisation. Mais, lesdits aspects r?confortants n?en refl?tent pas moins la distance historique majeure qui les s?pare de la mani?re d?vastatrice et meurtri?re par laquelle on tranche les conflits de la Cit? de Dieu dans d?autres lieux proches et lointains.

Pour ce qui est du fond

Quant au fond, l?appel-manifeste souffre d?une confusion de concepts et de ce qui en r?sulte naturellement comme saut illogique incons?quent entre pr?misses et conclusion. Les deux concepts dont la confusion a permis de faire un saut incons?quent entre deux pr?misses de diagnostic socio?conomique, commun?ment admises d?une part (a- la r?alit? d?un progr?s macro?conomique r?alis?, b- une mauvaise r?partition des richesses mena?ant la coh?sion sociale) et une conclusion politique d?autre part, sont:

(i) le concept de "lib?ralisme ?conomique" avec tous ses aspects et degr?s, et qui rel?ve du domaine des th?ories des m?canismes ?conomiques, et

(ii) le concept de "d?mocratie" sous toutes ses formes et manifestations (parlementaire, pr?sidentielle, semi-pr?sidentielle, etc.) et qui rel?ve des th?ories ?thiques sur les sources et fondements de la l?gitimit? du pouvoir politique.

Le type de gestion des richesses, en termes de cr?ation (?pargne, fiduciaire, investissement, production, r?investissement) et de r?partition et redistribution (consommation, pouvoir d?achat, fiscalit?, pr?l?vements, compensation, ?quilibres r?gionaux et/ou solidarit? sociale) rel?ve des choix socio?conomiques d?un r?gime donn? qui peut ?tre, sur le plan politique, soit un r?gime d?mocratique (parlementaire, pr?sidentiel ou semi-pr?sidentiel), soit un r?gime totalitaire sous toutes ses formes (autocratie, th?ocratie, dictature partisane et/ou militaire). Il s?agit dans tous les cas du choix fait ?au niveau des diff?rentes ?coles en ce qui concerne le r?le reconnu et/ou d?vou? ? l?Etat au sein des m?canismes de l?appareil ?conomique, tant pour ce qui est de la cr?ation des richesses que de leur r?partition dans la soci?t?. L??ventail est tr?s large dans ce sens ? l?int?rieur m?me du concert des ?tats d?mocratiques, allant du lib?ralisme ?conomique classique (Australie, Suisse, Canada) jusqu?? l??conomie sociale solidaire des d?mocraties sociales de l?Europe du Nord (Finlande, Su?de, Norv?ge). Il n?y a donc aucun rapport d?implication entre le degr? de d?mocratie atteint par un ?tat en tant que r?gime o? la l?gitimit? d?exercice du pouvoir ?mane du peuple ? travers diff?rents types de consultation et de repr?sentation d?une part, et un certain type et degr? donn?s de lib?ralisme ?conomique ou d??conomie de solidarit? sociale d?autre part.

Or, l?appel-manifeste portant sur la gestion des richesses au Maroc d?marre par le diagnostic suivant (je traduis de l?arabe, seule version dont je dispose):

?Nous partons du constat qui a ?t? fait que malgr? certains acquis ind?niables dans de nombreux secteurs, la situation o? se trouve notre pays demeure pour autant inqui?tante (?). Le d?veloppement ?conomique reste faible et pr?caire et souffre d?un ?norme blocage ? cause de nombreux facteurs dont notamment la faiblesse de la comp?titivit? des secteurs productifs. (?). Les richesses produites souffrent d?une grande mauvaise r?partition. (?). Les prestations et services sociaux ne sont pas d?velopp?s avec un rythme ? m?me de r?pondre aux besoins des citoyens [sukkaan, selon le texte]. Ces services enregistrent m?me une grande r?gression, comme c?est le cas pour les services m?dicaux de base?.

Ceci revient ? dire que le diagnostic de l?appel-manifeste du 15 septembre, qui fait mine de rentr?e politique en quelque sorte, est en plein accord avec celui dress? par le discours du tr?ne il y avait un mois et demi pendant les vacances. Ce dernier discours (voir Ici) dit en fait notamment ceci?:

?Nous sommes donc tous en droit de nous demander: est-ce que les r?alisations et les manifestations de progr?s que nous observons ont eu l?impact direct escompt? sur les conditions de vie des Marocains?? Est-ce que le citoyen marocain, quelle que soit sa situation mat?rielle ou sociale, et o? qu?il se trouve, dans le village et dans la ville, sent une am?lioration concr?te dans son v?cu quotidien, gr?ce ? ces chantiers et ? ces r?formes??

Mais ? partir dudit diagnostic de l?appel-manifeste, qui fait ?cho ? celui dress? auparavant par le discours du tr?ne au sujet des dimensions sociales de l??conomie marocaine dans le stade actuel et dans le cadre des grands choix, orientations, m?thodes et textes de loi qui en r?gissent jusqu?ici les rouages, la logique de cet appel ne s?est pas centr?e sur la mise en avant de propositions concr?tes majeures pour recadrer de tels grands choix, orientations, m?thodes et textes de loi qui seraient ? m?me de pallier aux d?s?quilibres constat?s. Une mise en avant en termes socio?conomiques explicites bien s?r; ? savoir des propositions entre autres sur les conditions juridiques et administratives n?cessaires dont d?pend la comp?titivit?; des propositions sur le rapport ? ?tablir entre l??conomie du march? et de privatisation, l??conomie de rente sous toutes ses formes et l??conomie de coh?sion et de solidarit? sociale et r?gionale; des propositions sur les syst?mes de fiscalit?, des pr?l?vements, et de compensation et prise en charge par l??tat et/ou les collectivit? (enseignement, sant?, infrastructure, etc.); r?gionalisation et incitatifs fiscaux et d?infrastructures pour la promotion du monde rural et des r?gions pauvres et la stabilisation de leurs populations qui continue toujours d?abandonner la terre, d?alimenter le ch?mage citadin et les bidonvilles, alors que la main d??uvre agricole commence ? faire de plus en plus d?faut, etc.

Par contre, l?appel a plut?t op?r? un curieux saut-hiatus des pr?misses du diagnostic socio?conomique dress? plus haut vers une conclusion ? contour politique institutionnel portant sur la nature du r?gime politique et exprim?e en une terminologie constitutionnelle. Ce saut-hiatus dans la logique de l?appel est exprim? de la mani?re suivante (tr. de l?arabe):

?Il est ?vident que les causes de cette situation soient multiples et que les responsabilit?s soient partag?es (?). Mais les orientations profondes, qui continuent toujours, ne peuvent pas ?tre mises sur le dos des seuls responsables charg?s d?appliquer les politiques publiques. Ces orientations d?coulent au fond des grands choix faits (?) dans le cadre du pouvoir absolu de feu le roi Hassan II et qui n?ont pas ?t? reconsid?r?s pour le fond durant les quinze derni?res ann?es du r?gne actuel (?). L?amendement constitutionnel de 2011 a certes rajout? le qualificatif de "Monarchie constitutionnelle" au type de r?gime, mais la Constitution elle-m?me ne contient pas de dispositions ? m?me de traduire ce qualificatif ?en termes de pr?rogatives et de rapports entres les pouvoirs, puisqu?elle a conserv? au roi les pr?rogatives des strat?gies structurantes ? long terme et a confin? le reste des institutions dans le domaine ?troit de la gestion des politiques publiques (?). Cet ?tat de choses est contraire ? la logique de tout r?gime d?mocratique digne de ce qualificatif. ???.

Voil? donc la "logique" globale de l?appel-manifeste, que l?on peut r?sumer en ces trois ?tapes de raisonnement, qui suivent?:

  • Pr?misse majeure?: "Il y a des acquis de d?veloppement ?conomique ind?niables dans de nombreux secteurs?;
  • Pr?misse mineure?: "Les richesses produites souffrent d?une grande mauvaise r?partition??;
  • Conclusion?: "Cela tient des pr?rogatives que la constitution accorde au roi; chose qui est contraire ? la logique de tout r?gime d?mocratique digne de ce qualificatif?.

En plus de ce vice de logique, une question de fait se pose?: est-il vraiment conforme aux faits, ce jugement que l?appel porte sur la Constitution de 2011 en mati?re des pouvoirs et pr?rogatives, et ce ? la lumi?re d?une lecture effective du texte de la loi supr?me? Ou bien ne s?agit-il que d?un simple jugement lapidaire de discours politicien professionnel qui th?orise consciemment ou inconsciemment une cons?cration et une institutionnalisation de cette tradition vielle maintenant d?? peu pr?s deux d?cennies et qui consiste ? s?accrocher mordicus aux postes de responsabilit? l?gislative et ex?cutive comme ? une simple rente politique, tout en exportant ailleurs toute responsabilit? en mati?re de rationalisation de l?espace ?conomique, de combat des aspects de rente et de corruption, en mati?re de bonne gouvernance et de rationalisation et moralisation de l?administration, ainsi qu?en mati?re de r?forme du syst?me judiciaire et d?assainissement de son appareil, etc, pour ne parler que des secteurs et volets en rapport ?troit avec la sant? de l??conomie. Une exportation m?thodique, moyennant un discours shamanique qui fait porter la responsabilit? des "blocages et sabotages" ? inconnu dans le monde d?esprits, cet inconnu appel? aujourd?hui "monstres et crocodiles" en rebaptisation des anciennes entit?s ineffables, euph?miquement dites successivement auparavant?selon les positions: "parti clandestin" (????? ?????), "d?tracteurs de la d?mocratie" (???? ????????????), "poches de r?sistance" (???? ????????), "?radicationistes" (????????????), etc.

Il s?agit, en somme, d?un discours m?thodique pour institutionnaliser la soustraction de tout responsable ? sa responsabilit? aussi bien pour ce qu?il aurait fait que pour ce qu?il n?aurait pas fait mais qu?il aurait d? faire, y compris dans ce deuxi?me cas (surtout sous la constitution de 2011) la responsabilit? du chef du gouvernement engag?e ? travers la contresignature des dahirs royaux (l?article 42) ainsi que sa responsabilit? et la responsabilit? de tout membre ou groupe au sein de son gouvernement de pr?senter sa d?mission lorsqu?il estime qu?il y a de s?rieux blocages quelque part qui l?emp?chent de r?aliser le programme qui constitue la base contractuelle de son mandat. Cette d?mission est aujourd?hui consacr?e par la constitution (art. 47) et ne risque plus d??tre consid?r?e comme une ?d?sob?issance? vis-?-vis de qui que ce soit, qui risque d?entra?ner des ennuis r?els ou obsessionnels, comme l?a bien prouv? la d?mission de toute une composante du gouvernement issu des ?lections de 2011 tenues sur la base du dernier amendement constitutionnel de la m?me ann?e.

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