Je rêve d’un fils, il veut une fille, le combat des femmes et hommes infertiles

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Casablanca – Terrassée par une ménopause précoce à la fleur de l’âge, Aziza va transformer sa grande désillusion en une force de propulsion pour aider les autres à réaliser un rêve devenu impossible pour elle: Donner vie à un enfant.

C’était un vœu qu’elle a caressé durant des années de traitement et d’espérance, entre 2004 et 2012, jusqu’au jour où le médecin lui a explicitement demandé de se rendre à l’évidence.

Aziza est condamnée à ne jamais entendre le cri d’un nouveau-né, alors qu’elle a passé une éternité à la poursuite d’un bonheur inaccessible. Il n’y a pas plus pénible pour une femme que de savoir qu’elle ne pourra jamais satisfaire le désir instinctif de la maternité.

Prenant son mal en patience, elle va trouver l’énergie nécessaire pour s’engager dans une lutte de longue haleine et épuisante moralement afin d’inscrire la question de la stérilité et de l’infertilité au menu du débat sociétal.

Tirant les enseignements de son drame personnel en termes des difficultés d’accès aux soins et de leur coût onéreux, elle va se lancer dans la création de l’Association marocaine des aspirants à la maternité et à la paternité (AMAMP).

"Seules les femmes ayant vécu cette expérience peuvent comprendre la douleur d’être privé de la maternité", a souligné à la MAP Aziza Ghoulam, présidente de cette Association,qui se rappelle encore de la vive émotion qui l’a envahie au premier jour.

"J’étais profondément affectée par le verdict du médecin. Des pensées confuses m’ont traversé l’esprit. Comment vais-je informer ma famille ? Comment mon époux va-t-il accueillir la nouvelle ? Comment vais-je me comporter avec lui et avec mon entourage ?", a-t-elle raconté.

Mme Ghoulam parle même ''d’une torture psychologie pire que les affres endurés tout au long du traitement, en particulier la charge financière à cause de l’absence de la couverture médicale et le prix élevé des soins, en plus de l’usure tant physique que mentale''.

Les couples en quête de procréation médicalement assistée sont découragés par le coût exorbitant de la fécondation in vitro (FIV), dont chaque tentative peut aller de 30 à 45 mille dirhams non remboursables par la mutuelle et l’assurance.

C’est dans les salles d’attente des cabinets que vont se tisser des liens entre des femmes souffrant du même problème. Ces espaces se sont transformés en une agora pour échanger les expériences et raconter son chagrin, dans une sorte de thérapie de groupe.

Aziza et ses camarades de lutte vont se constituer en communauté sur les réseaux sociaux, où elles peuvent garder le contact, partager les bonnes et mauvaises nouvelles, suivre le cas particulier de chacune d’entre elles et se conseiller mutuellement.

A partir de là, va murir l’idée de création d’une association rassemblant celles et ceux aspirant à la maternité et à la paternité. Mettant à profit ses connaissances professionnelles en tant que journaliste et sa maîtrise des dossiers de la santé, Mme Ghoulam réussira à donner corps à ce projet fédérateur.

''On voulait briser le mur de silence et les tabous de la société, qui nous empêchaient de crier haut et fort la cause de notre malheur'', a-t-elle lancé, rappelant comment elle avait ''honte'' de révéler ses problèmes de fertilité.

L’Association, qui a vu le jour en 2012, ''nous a donné la force pour affronter la société et panser la plaie, parce qu’il fallait mener une action de sensibilisation, fournir le soutien psychologique et accompagner des personnes qui souffrent en silence'', a encore relaté Mme Ghoulam.

Un chemin encore long 

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L’AMAMP organise des séances d’écoute et des rencontres avec des spécialistes, comme elle mène un plaidoyer auprès des institutions concernées pour faire bénéficier les candidats à la procréation médicalement assistée de la couverture médicale, en plus de la multiplication des centres spécialisés dans cette technique, puisqu’ils ne sont que deux à l’échelle nationale, à Rabat et Marrakech.

''L’infertilité touche de plus en plus des personnes de moins de 30 ans, ce qui rend impératif d’accélérer la cadence de la dotation de l’Agence nationale de l’assurance-maladie des instruments juridiques pour la couverture de ce type de traitements'', a-t-elle insisté.

Quand bien même ''le chemin reste encore long'', a-t-elle admis, l’Association a obtenu des résultats positifs. D’abord, elle a réussi à convaincre du bien-fondé de ses objectifs et de la légitimité de ses revendications, particulièrement suite à la promulgation de la loi sur l’assistance médicale, ''un acquis considérable'' qui encadre les opérations de FIV

L’Association est, aussi, en train de travailler, de concert avec le ministère de la Santé, sur le plan national de la procréation médicale assistée, la généralisation des centres de fécondations à l’ensemble des CHU et la mobilisation des médecins spécialisés.

Abstraction faite des aspects juridique et financier, Aziza Ghoulam est surtout préoccupée par ''le poids de la société et des ingérences familiales entre les époux, qui se trouvent souvent acculés au repli sur soi et à la limitation de leur vie sociale''.

L’immixtion dans la relation de couple ''cause généralement des drames, qui peuvent aller jusqu’à la dislocation du ménage'', a-t-elle déploré. 

Donc, il faut s’armer de beaucoup de courage et de patience pour faire face à toutes ces pressions. C’est justement le cas de Hafida, qui va tirer un trait sur la maternité au bout d’une petite semaine de mariage.

Ayant préféré fonder un foyer dès l’âge de 18 ans, contrairement à l’avis de son père, qui lui conseillait de terminer ses études, Hafida va voir son rêve s’écrouler comme un château de papier. ''Comme toute jeune fille, je rêvais de me marier et d’avoir des enfants, qui me réveille en pleine nuit et que j’accompagne pour son premier jour d’école''.

En allant consulter un gynécologue pour des douleurs ressenties à chaque rapport, les jeunes mariés seront choqués par le résultat des analyses. A cause d’une fièvre contractée à l’enfance et qui a été mal soignée, l’époux est devenu stérile.

Au lieu de céder à l’abattement, Hafida prendra un grand soin de son foyer et trouvera dans le métier d’infirmière le moyen d’apporter un peu de réconfort aux autres. '' Je passe mes journées à soigner les blessures des autres pour oublier ma douleur qui se réveille de temps à autre, même si j’ai appris à accepter la volonté de Dieu'', a-t-elle narré.

Les souffrances de Hafida et des autres femmes dans sa situation se trouvent accentuées par la conception que se fait la société marocaine de l’institution du mariage, réduite à l’idée de la procréation et de la descendance, analyse le spécialiste de la psychologie sociale, le Dr. Mouhcine Benzaour.

Et dans une société patriarcale et traditionaliste, a-t-il poursuivi, c’est à la femme de supporter ''la terrible pression'' résultant de l’absence de grossesse, puisqu’elle ''est mécaniquement mise en cause, d’autant que l’homme rejette même l’idée de consulter un médecin''.

''Il n’existe pas une tâche plus ardue que de changer des mentalités façonnées d’une certaine manière et élevées sur des convictions, qui deviennent des règles de conduite sociale'', a-t-il fait remarquer.

Selon des estimations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) datant de 2015, l’infertilité touche 15 à 17% de couples au Maroc, tandis que 1 à 7% souffrent de stérilité.

L’Association marocaine des aspirants à la maternité et à la paternité considère que 70% de cas refusent de révéler avoir suivi une fécondation in vitro, notant que 12% de couples ont des problèmes pour avoir des enfants, soit 800 mille personnes.

D’après une enquête réalisée dans 40 villes, la stérilité frappe 40% d’hommes sur ce total, contre 30% de femmes, alors que le reste concerne des pathologies non encore identifiées et qui doivent, selon l’Association, être au centre des préoccupations des responsables de la santé publique.

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