LE JUDAISME MONTAGNARD MAROCAIN ET LE BARBEAU DE L’OUM ER REBIA : UNE HISTOIRE D’AMOUR

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Une mémoire à rapporter à nos enfants, histoire d’entretenir la chronique ancestrale et mettre en garde contre les menaces qui pèsent sur la biodiversité et le développement durable

Yacoub, commerçant de son état, de père en fils depuis des générations, est le dernier juif à quitter,  au début des années 1990, M’rirt. Un petit centre urbain au cœur du Moyen Atlas où vivaient, avant le grand départ pour la terre promise….,  des familles juives Amazigh, comme à Midelt, Debdou, Tinghir, Azilal, Demnate, Taznakht, Zaouiat Ahansal.

Sa famille se trouvant à Meknès, Jacob faisait la navette entre M’rirt et la capitale ismaélienne. Du lundi au vendredi il est à Mrir’t où il tenait un commerce, la fin de la semaine à Meknès, pour le week-end et le Shabbat. A chaque fois que Jacob était de retour à Meknès, il achetait systématiquement une dizaine de kilos du barbeau bleu de l’Oum Er Rbi’â. Une fois des amis, intrigués, lui ont demandé si sa petite famille de quelques personnes, mangeait toute cette quantité de poissons. Sa réponse fut que non, expliquant qu’il stockait une grande partie de ce poisson dans son congélo pour l’offrir, chaque fois que l’occasion se présentait, à ses amis et à ses proches de la diaspora juive à l’étranger qui ont vécu dans cette région du Moyen Atlas et qui ont gardé dans leur palais plats succulents la saveur du barbeau bleu de l’Oum Er Rbi’â comme Proust avait conservé de son enfance le goût de la madeleine.

Il se trouve que de nos jours, ce poisson endémique est en voie d’extinction rapide, à cause notamment de la surpêche traditionnelle qui n’a pas su restituer cette ressource rare grâce à une gestion responsable et durable de ce capital piscicole.

Jeune élève au collège Abou El Kacem Zayani à Khénifra au début des années 1960, il me revient à l’esprit ces souvenirs d’enfance de ces humbles pêcheurs, grands paniers de roseaux sur le dos et mouillés jusqu’à la ceinture, revenant  à la fin de la journée, qu’il pleuve ou fasse beau, avec leurs captures étalées à même le sol sur la place de Ouahrane (notre Jamaa Lfena à Khénifra, une belle place publique malheureusement de nos jours en délabrement choquant). Comme il me revient également à l’esprit cette harmonie dégustative  des tajines du barbeau de l’Oum Er R’bi’â et les fruits de terroir comme les olives, les figues, les grenadines et les raisins ….ou ces goûters aux œufs-plat des grand-mères cuit à l’huile d’olive bio. Avec retrospection, on a l’impression que c’est la fin d’un monde, quand on voit aujourd’hui les populations locales en proie aux changements imposés par les nouvelles conditions économiques, sociales et techniques, et à l’invasion des modèles de consommation importés et leur domination culturelle occidentale….

Hélas pour ce poisson endémique, jadis source d’activités génératrices de revenus et d’emplois pour les montagnards des rives de l’Oum Er Rbi’â, les connaissances scientifiques et techniques associées à cette espèce de poisson d’eau douce n’ont pas été reproduites ni par un système d’enseignement universitaire, ni par un champ de recherche piscicole. Toutefois il y a  bon espoir, avec un grain d’optimisme, pour qu’à la lumière des plans d’action du Haut Commissariat aux Eaux et Forêts, le barbeau bleu de l’Oum Er Rbi’â renaisse de ses cendres, au grand bonheur des communautés locales qui vivotent encore de la pêche traditionnelle continentale et des amateurs, de plus en plus nombreux, de la pêche sportive.

 

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