Les 10% !!

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Au niveau des 10 % les plus pauvres, chaque personne consacre à l’alimentation 6 DH par jour, à l’habillement 0,30 DH, à l’habitation et énergie 3,24 DH, aux soins médicaux 0,7 DH…  Abdeslam Saddiki, membre du Bureau politique du PPS et ancien ministre du travail dresse 100% larmes et, conclut-il, il y va de l’intérêt de ceux qui en ont trop, de lâcher du lest au profit de ceux qui sont dans le besoin

Malnutrition d’un côté, obésité d’un autre tel est l’un des contrastes qui se dégage du dernier rapport de la FAO sur « l’état de la sécurité alimentaire et de nutrition dans le monde ». Concernant le Maroc, les chiffres annoncés sont on ne peut plus inquiétants même si ils ne sont pas surprenants : 1,4 million de personnes souffrent de malnutrition ; 3,5 millions de femmes en âge de procréer présentent des signes d’anémie ; le nombre d’adultes obèses est passé quant à lui de 4,8 millions en 2012 à 5,9 millions en 2016. Cette obésité est due à plusieurs facteurs dont notamment une mauvaise alimentation ou ce qu’on appelle couramment la malbouffe.

Comment peut-on expliquer ce constat amer ? Pourquoi le pays, notre pays,  n’est-il pas parvenu à éradiquer la pauvreté dont la malnutrition (ou la sous-alimentation) est la manifestation la plus visible ? On peut multiplier les interrogations à souhait, mais la réponse nous semble couler de source et  elle est claire comme l’eau de roche : c’est notre système économique et notre modèle de croissance qui sont générateurs de tels phénomènes. Les économies à revenu faible ou intermédiaire ne sont pas en mesure d’absorber trop d’inégalités en matière de distribution de revenus. C’est pour cela que nous ne cessons de plaider pour un nouveau partage du « gâteau national » dans le sens de plus de justice sociale. Et contrairement aux idées reçues, un partage plus équitable de ce gâteau créerait  les conditions favorables à son agrandissement.

Quand on analyse le « budget » du décile de la population le plus pauvre, que le HCP qualifie de « 10% les moins  aisés », on est franchement scandalisé de voir autant d’injustice, autant de privation et autant de frustration. Ainsi la dépense moyenne par personne au niveau des 10 % les plus pauvres est la suivante par catégorie de biens et services consommés : chaque personne consacre la moitié de son budget à l’alimentation, soit  2155 DH par an et 6 DHpar jour ; pour s’habiller, cette personne dépense 107 DH par an, soit 0,30 DH par jour ; le poste habitation et énergie absorbe 1156 DH par an ; les équipements ménagers 117 DH, l’hygiène et soins médicaux 252 DH, le transport 126DH, le communication 56 DH, l‘enseignement 114 DH (30 centimes par jour). Reste le loisir (sic) pour lequel  on consacre une somme annuelle de 17 DH en vous laissant le soin de faire le calcul de la dépense quotidienne !!

Ces chiffres, portant sur l’année 2014,  se passent de tout commentaire !! Ils sont parlants et doivent interpeller toutes les bonnes consciences. Globalement pour ce décile de la population qui représente plus de 3 millions de Marocains, la dépense  annuelle moyenne par personne remonte à 2155 DH, soit 11,7 DH par jour ce qui condamne ces personnes à vivre dans la pauvreté absolue  et dans des conditions infrahumaines! Mais ce qui est révoltant, c’est quand une telle situation est institutionnalisée par les pouvoirs publics à travers une politique salariale foncièrement rétrograde   comme c’est le cas du SMAG (salaire minimum agricole garanti) dont la valeur est fixée à près de 70 DH par jour, sachant, bien entendu, que les salariés agricoles sont dans leur majorité des saisonniers et occasionnels. N’est-il pas grand temps de revoir cette politique volontaire de paupérisation pour aligner le SMAG sur le SMIG conformément aux accords  du 26 avril 2011 ?

Il y va de l’intérêt de ceux qui en ont trop, de lâcher du lest au profit de ceux qui sont dans le besoin.  Une société où il y a plus de justice sociale est en mesure de réaliser une croissance forte et d’assurer un équilibre durable. Cela relève, faut-il le rappeler,  des principes fondateurs du libéralisme dans sa dimension philosophique. Analysant le cas des 1% des Américains qui s’accaparent plus de 40% du patrimoine et le quart du revenu national US, le Prix  Nobel d’Economie Joseph Stiglitz conclut en ces termes : « le 1% a les meilleures maisons, la meilleure éducation, les meilleurs médecins, les meilleurs styles de vie, mais il y a une chose que son argent ne semble pas  lui avoir acheté : l’intelligence de comprendre que son sort est lié à la façon dont vivent les 99%. Au fil de l’histoire, c’est une vérité que les 1% ont toujours fini par apprendre. Trop tard. » (cf. La Grande Fracture p.124). On peut généraliser cette leçon à tous les pays, dont le nôtre, sans aucun risque d’être contredit.

(Al Bayane , mercredi  19 septembre 2018)

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