L’argent et la presse - Par Seddik Maâninou

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On assiste à l’émergence de nouvelles idées évoquant «le passage du soutien direct à la presse au renforcement de l’investissement dans le secteur et à la création de grandes entreprises médiatiques».

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A la parution de mon article «Décisions douloureuses» sur Quid.ma, je l’ai partagé avec nombre de personnes concernées par la question médiatique en vue d’obtenir leurs réactions sur les souffrances de la presse papier, tant il me paraissait important d’engager un débat ou du moins une discussion sur la question.

Pluralisme ?

Rapidement j’ai reçu des réactions divergentes, dont la plus récurrente est une critique de mon propos sur l’impérieuse nécessité de revoir le principe de la publication par les partis politiques de journaux papiers. Certains ont tenu à me rappeler le rôle que ces journaux ont joué, autant à l’époque coloniale pour l’indépendance du Royaume et par la suite dans le combat pour la démocratie et la liberté d’expression.

D’autres ont soutenu que le multipartisme est «un gage de démocratie» dont l’un des piliers sont précisément les publications des partis politiques. Ce qui revenait à comprendre de mon article un désir ‘’d’enterrement de la pluralité’’ laissant la voie grande ouverte au grand capital pour le contrôle du processus politique national.

Lire aussi : Décisions douloureuses – Par Seddik Maâninou

Un troisième groupe n’a pas dissimulé sa perplexité face à ce problème, suggérant la possibilité d’arrêter les journaux d’expression française et de créer des alliances partisanes selon les sensibilités politiques homogènes en vue d’éditer une publication hebdomadaire forte avec pour mission d’analyser l’actualité, de commenter les évènements et de faire valoir le programme des courants qu’elles représentent. Selon les tenants de cette thèse, le nombre des quotidiens s’en trouvera réduit en conséquence et fera entamer au Maroc une nouvelle expérience de pluralisme.

Un des doyens de la presse nationale m’a apporté son soutien à l’idée de nouvelles assises de la presse et des médias destinée à « l’exploration profonde et audacieuse et à l’analyse objective des raisons de cette régression effrayante», avec la participation des professionnels, des experts et des militants connaisseurs des arcanes et de l’histoire de la presse nationale. «Nous nous devons, a-t-il précisé, de fixer au préalable les objectifs et ne pas occulter le fait que la régression de la presse a commencé avec le début du soutien de l’Etat». Ce qui laisse supposer que ce n’est pas le manque d’argent qui est à l’origine de la crise, mais plutôt sa disponibilité.

Pour l’essentiel, l’article aura provoqué un débat susceptible de se muer en un dialogue national entre politiciens, journalistes et décideurs, en vue d’élaborer ensemble de nouvelles approches permettant de préserver le principe de la pluralité aussi bien que de promouvoir l’efficience et la crédibilité.

Deux messages

 Parallèlement à ces réactions, j’ai reçu deux messages. Le premier soutient en substance que la régression des ventes des quotidiens et des hebdomadaires s’explique par le manque de lecteurs, la faiblesse des moyens et le désintérêt pour la chose publique. Ce qui revient dans son propos à considérer que les Marocains sont peu enclins à la lecture des journaux comme des livres, notant que les ouvrages les plus renommés n’arrivent à publier que quelques centaines d’exemplaires, dont une infime partie trouve preneurs. Il en déduit qu’on est en présence d’une crise de lectorat.

Le second message est l’aveu d’un écrivain en début de carrière qui a assuré n’avoir pu publier ses premiers ouvrages qu’après d’énormes efforts. Après avoir surmonté les problèmes d’impression et de distribution, des obstacles qu’on ne peut enjamber sans une détermination d’acier et une ténacité à toute épreuve, la plupart des exemplaires lui ont été restituées, invendus. Ce qui ne pouvait que nourrir sa déception et ses frustrations.

Quelques minutes

Ces deux dernières réactions peuvent paraître sans rapport avec l’objet de l’article, mais ils en éclairent les contours, en élargissant le spectre du débat aux questions de l’impression et de la distribution qui concernent autant les livres que la presse. Les deux messages sans consultations préalables convergent sur un problème plus large, celui de la lecture. C’est déprimant à constater, mais le Marocain ne lit que quelques minutes par an contre plusieurs heures pour ses semblables sous d’autres cieux.

Conglomérats forts

Actuellement, l’on assiste à l’émergence de nouvelles idées assez avancées évoquant «le passage du soutien direct à la presse au renforcement de l’investissement dans le secteur et à la création de grandes entreprises médiatiques». Ces nouveaux regroupements seraient appelées à jouer des rôles considérables au plan national et à porter la voix du Maroc à l’international. Le gouvernement cherche ainsi à créer des conglomérats de presse qui, financièrement solides, seraient en mesure d’attirer les annonceurs et de s’imposer au-delà des frontières. L’on peut prévoir ainsi de fusionner quatre ou cinq, ou plus, supports d’information, sur le plan des finances, d’organisation d’évènementiels, et/ou de gestion de la publicité, tout en préservant à chacun sa ligne éditoriale.

C’est du moins la trame de ce qui se prépare dans les coulisses du gouvernement et dont le ministre de la communication s’est fait l’écho devant les représentants de la Nation, un sujet auquel je reviendrai une fois la vision plus nette et les idées mieux mûries avec l’espoir que le gouvernement ne passe pas à la concrétisation de ses projets sans un dialogue élargi et sérieux avec les professionnels du secteur.

Propositions timides

Je ne puis prétendre cerner tout le spectre de la production d’un journal papier ou d’une œuvre littéraire, même si je peux me prévaloir d’expériences notables dans ce domaine. En effet, j’ai publié en 1965 mon premier journal baptisé «Al-maâraka» (Le combat), qui était l’organe de l’Union marocaine de la jeunesse démocratique. J’ai publié, jusqu’ici, dix ouvrages relatant mes mémoires en six tomes sous le titre «Les Jours d’antan». J’ai aussi publié un livre sur «L’histoire du mouvement national marocain», en plus de deux ouvrages récemment sur des évènements que le Maroc a connus au cours du 17ème siècle.

En dépit de cette détermination à raviver la mémoire nationale, malgré le succès de mes mémoires qui ont été réédités, un évènement rarissime, j’ai le sentiment qu’il existe bien une crise de lecteurs et de lectorat. D’où, à mon sens, l’impératif d’ouvrir le dialogue, d’approfondir le débat et de se mettre à l’écoute des professionnel, des universitaires, des imprimeurs, des écrivains et des distributeurs.

L’inéluctable changement

Je dois rappeler, pour conclure, que des quotidiens papiers ont pratiquement disparu sans que personne n’y prête attention. Ceci étant, des quotidiens avec une longue histoire dans le mouvement national peuvent être transformés en hebdomadaires, et que d’autres quotidiens peuvent être regroupés. Il en va de la survie de la presse de s’ouvrir sur les grandes entreprises pour s’assurer les financements nécessaires à une production pérenne et de qualité. Car, aucun journal ne pourrait survivre longtemps s’il s’agrippe au même modèle d’antan et au même schéma de production, de rédaction et de distribution. Quant à la désaffection des Marocains de la lecture, c’est une autre histoire à laquelle je reviendrai un jour. L’acquis pour l’instant est que l’article précédent, «Décisions douloureuses», a atteint son objectif en suscitant un début de débat.