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Gabon : Une ''transition'' aux contours encore flous ; plus clair, le bal des hypocrites des chancelleries étrangères
Le président français Emmanuel Macron à avec le président renversé Ali Bango le 1er mars 2023 à Libreville, étape d’une tournée africaine où il essayait de rattraper les dégâts de sa diplomatie et freiner la montée d’un irrésistible ressentiment antifrançais
Gabonais et communauté internationale scrutent les apparitions des putschistes à la télévision, avides d'en savoir plus sur la "transition" du général Brice Oligui Nguema, au lendemain de son coup d'Etat qui a mis fin à 55 ans de "dynastie Bongo".
Tout en regrettant ce putsch, le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell a donné jeudi le ton qui prévaut au sein de l’Union Européenne, en estimant qu'il avait été précédé par "un coup d'Etat institutionnel car les élections (avaient) été volées". Et de marteler que les situations au Gabon et dans d'autres états africains comme le Niger n'étaient pas "équivalentes". Ainsi va le monde.
Dans les quartiers populaires de Libreville, de petites foules applaudissaient chaque véhicule de militaires ou policiers qui passait et hurlaient "Le Gabon est libéré !" ou "A bas les Bongo !".
La principale plateforme de l'opposition au Gabon a demandé jeudi aux militaires qui ont renversé le président Ali Bongo Ondimba d'achever le comptage des bulletins de vote pour reconnaître la "victoire" de son candidat.
La plateforme Alternance 2023 a également "invité les forces de défense et de sécurité à la discussion afin d'évaluer, dans un cadre patriotique et responsable, la situation et de trouver, entre Gabonais, la meilleure solution" pour "permettre au pays de sortir grandi de cette situation".
Mais la veille, mercredi, les militaires ont "annulé" les élections et dissout toutes les institutions. Et jeudi, le porte-parole du nouvel homme fort a annoncé que celui-ci, le général Brice Oligui Nguema, prêtera serment lundi en tant que "Président de la transition", sans préciser la durée de cette transition.
Garde prétorienne
Le 17 août 1960, ce petit pays d'Afrique centrale proclamait son indépendance de la France. Mercredi 30 août 2023, des officiers de la Garde républicaine (GR), garde prétorienne de la famille Bongo depuis des décennies, proclamaient "la fin du régime", moins d'une heure après l'annonce de la réélection d'Ali Bongo Ondimba à la présidentielle de samedi.
Ce dernier, placé en résidence surveillé par les militaires, avait été élu en 2009 à la mort de son père Omar Bongo Ondimba, qui dirigeait le pays depuis plus de 41 ans très riche de son pétrole et pilier de la "Françafrique" de Jacques Foccart - qui régentait pour de Gaulle les intérêts français tout aussi grands qu’indus dans cette région -, à Emmanuel Macron qui vient d’effectuer le 1er mars 2023 une visite à Libreville, étape d’une tournée africaine où il essayait de rattraper les dégâts de sa diplomatie et freiner la montée d’un irrésistible ressentiment antifrançais.
Le nouveau pouvoir du général Oligui, chef de la GR, a maintenu le couvre-feu décrété par le gouvernement déchu le jour du scrutin samedi. Mais jeudi matin, la vie avait repris son cours tout à fait normal à Libreville, rapportent des journalistes de l'AFP.
Seul signe de quelque chose d'inhabituel: d’interminables files d'attente devant les boulangeries pour se procurer ce pain que les Gabonais consomment massivement à chaque repas.
Et dans le quartier huppé de Sablière, les deux voies d'accès à la résidence des Bongo sont barrées par deux imposants véhicules blindés de la GR et parcourues par ses "bérets verts" lourdement armés, le visage souvent couvert par un masque noir.
Après avoir été porté en triomphe par des centaines de ses hommes mercredi, le général Oligui, pourtant un homme du sérail déjà très proche de feu Omar Bongo, a été proclamé, par "l'ensemble des chefs" de corps de l'armée, "président de transition". Mais sans que soit indiqué pour combien de temps ni à la tête de quelles institutions.
Les Gabonais comme le personnel des chancelleries étrangères jeudi avaient donc toujours les yeux rivés sur les deux chaînes de télévision - Gabon 24 et Gabon 1ère - les seuls canaux de communication du nouveau pouvoir.
Ces chaînes qui vantaient auparavant à chaque JT les actions d'Ali Bongo et son gouvernement en ignorant, voire en vilipendant, l'opposition, diffusent désormais en boucle les apparitions des putschistes et des reportages sur la foule en liesse qui les acclame.
Chacun veut savoir si et quand le nouvel homme fort du Gabon --fidèle aide de camp d'Omar Bongo jusqu’à son dernier souffle en 2009, promu dix ans plus tard à la tête de la GR chargée de protéger son fils-- rendra le pouvoir aux civils.
A l'annonce de leur putsch, les militaires avaient fustigé des élections truquées mais surtout "une gouvernance irresponsable et imprévisible". Le Gabon est gangrené depuis des décennies par une corruption endémique, surtout au sommet de l'Etat.
Ali Bongo, principal héritier de la fortune de son père, propriétaire de nombreuses résidences de luxe notamment en Grande-Bretagne et en France, a été jusqu'alors épargné, en tant que chef d'Etat, par la procédure judiciaire dite des "biens mal acquis" en France, une curieuse procédure dont les finalités sont tout aussi condamnables qu’inavouables. La France qui pendant de longues années a profité de cette manne, complice jusqu’au bout des ongles, sans jamais s’interroger sur les origines de ces richesses, s’est subitement réveillée sainte-nitouche pour déposséder ses alliés et serviteurs d’hier sans jamais se prononcer sur le sort de ces biens, alors que tout dicte qu’elle doit les rendre aux Etats victimes.
Trahison" et "manipulation" -
Pour l'heure, les putschistes semblent faire grâce de ces accusations toutes française. Ils qualifient Ali Bongo de "Gabonais normal," "mis à la retraite". Mais ils ont arrêté son fils Noureddin Bongo Valentin et six autres membres dits de la "jeune garde" au sein de la présidence, que l'opposition et les militaires accusent d'être les "vrais dirigeants" du pays, manipulant un Ali Bongo "affaibli" par les séquelles d'un grave AVC en 2018.
Ils sont accusés par les putschistes notamment de "haute trahison", "détournements massifs de deniers publics" et "falsification de la signature" du chef de l'Etat.
La plateforme de l'opposition Alternance 2023, qui avait annoncé la victoire de son champion Albert Ondo Ossa samedi, est restée extrêmement silencieuse depuis le coup d'Etat, mais a promis une conférence de presse jeudi après-midi.
Aucun de ses responsables n'a demandé publiquement aux militaires de reconnaître la victoire de M. Ondo Ossa et lui confier les rênes du pays. "Personne ne sait ce qui se cache derrière un coup d'Etat (...) mais le pays a besoin d'être relancé économiquement", suggère anonymement l'un d'eux à l'AFP. "Le coup d'Etat c'est bien, mais place aux solutions", renchérit un autre. (Quid avec AFP)
"Ce qui me rassurerait c'est qu'on remette le pouvoir à Ondo Ossa qui a gagné le vote car les militaires ne peuvent pas diriger un pays, il faut que la transition se fasse rapidement", veut espérer Jasmine Assala Biyogo, 35 ans, propriétaire d'un petit bar du centre de Libreville. "On est contents et on a quelques craintes, c'est les deux sentiments", abonde Josée Anguiley, 36 ans, entre deux gorgées de bière.