Du possible et de l’impossible

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  • L'ASPLF qui est n?e le 5 ao?t 1937, ? la Sorbonne r?unit tous les deux ans un Congr?s. Cette ann?e le XXXV Congr?s se tient ? Rabat, apr?s Carthage en 2008, Venise en 2010 et Bruxelles en 2012 ? l?invitation de l?association marocaine ??Rives M?diterran?ennes??. Pouvez-vous pr?senter cette association??

N. Affaya : Effectivement, cette ann?e L?Association des Soci?t?s de Philosophie de Langue Fran?aise, a choisi l?Association ??Rives M?diterran?ennes?? pour l?organisation de son XXXV congr?s. Notre Association a toute une histoire. Durant les ann?es soixante, un ensemble de penseurs, de philosophes et de professeurs de la Facult? des Lettres et des Sciences Humaines de Rabat dont le doyen fut Mohammed Aziz Lahbabi, se sont mis d?accord sur le principe de cr?er un cadre associatif o? la philosophie, dans sa dimension universelle et interculturelle, pouvait ?tre un horizon de rencontres, d??change, de d?bats et de transmission de la pens?e. Des Marocains, comme Lahbabi, et des Fran?ais, comme Jean Ferrari (Pr?sident d?honneur actuel de L?ASPLF) et bien d?autres se sont engag?s ? animer ??Rives M?diterran?ennes??. Mais les circonstances et les parcours des uns et des autres ont condamn? ce cadre ? l?arr?t, jusqu?? ce que le professeur Abdejlil Lahjomri a eu l?id?e de faire revivre cette Association en 2008. C?est ainsi qu?un noyau dur d?intellectuels marocains s?est constitu? autour de Mr Lahjomri, compos? de Driss Guerraoui, Mohammed Kenbib, Bachir Tamer et moi-m?me.

L??quipe de ??Rives M?diterran?ennes?? est anim?e par un triple engagement, intellectuel, identitaire et pragmatique, car la dimension m?diterran?enne du Maroc fut parfois mise en suspens, malgr? d?insistantes d?clarations de principe sur l?appartenance du Maroc ? cette zone de fronti?res qui englobe une mosa?que de registres, d?int?r?ts et de rep?res.

Il ?tait clair, pour nous, que les deux rives de la M?diterran?e, malgr? tous les atouts de compl?mentarit?, se heurtent ? des obstacles qui emp?chent les passerelles de s??tablir et les ponts de se construire. Le conflit isra?lo-arabe, qui dure ? cause du fait colonial isra?lien, l?in?galit? entre le Nord et le Sud, les revendications crisp?es au nom d?une ethnie, d?une langue ou d?une religion, les nouvelles tendances protectionnistes sont autant de facteurs qui brouillent le travail des acteurs qui croient au destin commun des M?diterran?ens en mettant en ?uvre des programmes concrets de partenariat, de projets compl?mentaires afin de favoriser les conditions de promotion des acteurs de la modernisation, de la cr?ation, de la solidarit? et de l?interculturalit?.

La question de la M?diterran?it?, pour nous, est surd?termin?e par une triple dimension, locale, r?gionale et mondiale. Conscients de l?importance de chacune de ces dimensions nous pensons qu?il est toujours opportun de les interroger ? partir d?une approche qui se d?marque des pesanteurs spatiales et du poids des historicit?s en int?grant une lecture pertinente de la notion de fronti?res entre la modernit? et la tradition, l?Etat moderne et l?autocratie, la diversit? et l?adversit?, la civilisation et la barbarie.

Nous croyons que l'Association Rives M?diterran?ennes a pour mission la promotion d'initiatives interculturelles qui favorisent l'interconnaissance. C?est dans cet esprit qu?elle accueille ce XXXV congr?s de L?ASPLF.

  • Le th?me choisi par la soci?t? organisatrice, c?est ??Le possible et l?impossible??. Pourquoi un tel choix??

N. A : Chaque congr?s de L?ASPLF traite une probl?matique philosophique. Dans le XXXIII? congr?s, ? Venise en 2010, les participants avaient d?battu du th?me?: ??L?action?: penser la vie,???agir?? la pens?e??. Le dernier congr?s de Louvain en Belgique en 2012 ce fut le th?me de ??la citoyennet頻. Les d?l?gu?s des soci?t?s se sont mis d?accord sur la question du?? possible et de l?impossible?? en concertation avec notre Association et son pr?sident. Pourquoi le choix de ce th?me?? Je pense que quelques ?l?ments de r?ponse sont donn?s dans le propos du professeur Jean Ferrari dans le catalogue du congr?s, lorsqu?il constate que ??l?impossible d?hier devient le possible d?aujourd?hui, remettant en question les limites de l?exp?rience et l?autorit? d?une raison jusque-l? souveraine ?Si tout est possible, si rien n?est impossible, comment choisir son chemin? Si tout impossible est ?cart?, comment s?orienter dans la pens?e ? N?est-ce pas l?illusion d?un pouvoir absolu, en tout domaine, qui conduit ? la folie ? Quant aux lieux, les contextes culturels, religieux, politiques, d?terminent des usages et des significations fondamentalement diff?rentes qui rendent difficile la d?finition d?un rapport entre les deux notions qui embrasserait l?universel... Peut-on ?chapper ? ce truisme : le possible, c?est ce qui n?est pas impossible, l?impossible, c?est ce qui n?est pas possible ? La recherche sugg?r?e par le th?me devrait plut?t s?orienter dans deux directions principales dont l?une viserait l?usage des deux notions dans le domaine de la connaissance et l?autre dans celui de l?action. D?un point de vue logique, le possible et l?impossible sont des cat?gories de la modalit?. Quels sont leurs rapports avec les deux autres cat?gories de la modalit? - -que sont le contingent et le n?cessaire ? Comment penser le rapport du possible au probable, ? l?improbable, de l?impossible avec l?absurde ou le chaos ? Sur quels principes faire reposer ces deux jugements: cela est possible, cela est impossible ?

?D?j? par rapport au pass? : s?il est impossible de nier l?existence d?un fait av?r?, un fait douteux demeure possible. Quant ? l?avenir, si l?affirmation de l?impossible le ferme d?une mani?re quasi-d?finitive, il ouvre le champ des possibles presqu?? l?infini. Des disciplines s?attachent ? le baliser comme la prospective ou la strat?gie. S?y appliquent le calcul des probabilit?s, l?analyse fiction dans la litt?rature et le cin?ma, attestent de cette volont? d?anticiper par le jeu des possibles sur un avenir incertain??.

On sait que les dictionnaires de philosophie tentent de pr?ciser ce qu?est le possible mais on ne trouve presque aucune entr?e sur ce qui est impossible. Si le possible s?inscrit dans ce qui est ??r?alisable??, ou dans ce qui ??peut?? devenir r?el, l?impossible se con?oit comme la n?gation de???l?ordre des choses??. Sauf que le ??possible?? lui-m?me peut ?tre con?u comme quelque chose qui n?existe pas encore. Et c?est aux modes d?agir qui donnent corps ? tous les ?lans de l?humain quand il s?engage dans les perspectives du changement.

De toutes les mani?res, le congr?s est organis? pour proposer des pistes de r?flexion, et des ?l?ments d??clairage ? propos d?une th?matique qui peut sembler ??abstraite?? alors qu?elle interpelle l?existence ? tout moment de l?histoire, de la science, de la politique et la culture.

  • Dans l?argumentaire de pr?sentation du Congr?s des questions de fond sont pos?es?:???si tout est possible, si rien n?est impossible, comment choisir le chemin?? Si tout impossible est ?cart? comment s?orienter dans la pens?e?? N?est-ce pas l?illusion d?un pouvoir absolu, en tout domaine qui conduit ? la folie???? Avez-vous un d?but de r?ponse??

N. A?: Le congr?s ne pr?tend pas, n?cessairement, pr?senter des r?ponses ou ??un d?but de r?ponse?? comme vous dites. Le traitement du?? possible et de l?impossible??, comme tous les th?mes d?battus dans les congr?s pr?c?dents, est, en principe, guid? par un ensemble de pr?occupations majeures des philosophes qui consistent dans le fait de tenir compte, dans leur r?flexion, des ouvertures nouvelles que proposent, ? chaque instant, les sciences exactes et humaines aussi bien que les nouvelles technologies aux champs de la pratique de la philosophie. Il y a toujours un grand besoin de provoquer des rencontres entre philosophes pour interroger les mutations et les bouleversements qui s?op?rent dans le monde, croiser leurs modes de questionnement et leurs visions des nouveaux ph?nom?nes, bien ?videmment dans le respect des apports des diff?rentes disciplines et dans le souci de d?velopper le dialogue dans l?amiti?. Aussi, le philosophe se voit interpell? par les ?v?nements qui marquent son temps. Il ne peut ?tre insensible aux malheurs des hommes et des femmes ? cause des guerres, des massacres, des violations des droits, des in?galit?s et des injustices. Il ne peut pr?tendre, seul, ?tre ??la conscience de l?humanit頻 mais il peut contribuer, selon ses propres convictions, ? d?velopper et approfondir cette conscience. Un philosophe, qui se respecte, ne peut rester indiff?rent face aux massacres qui sont perp?tr?s au Moyen Orient, que ce soit au nom de la religion ou de la supr?matie militaire d?un Etat qui continue ? occuper, humilier et massacrer un peuple. C?est d?ailleurs la voie de la Raison, l?outil principal du philosophe, qui doit ?tre audible dans des contextes ou les pulsions de la haine, de la mort veulent s?imposer au monde. Sa contribution pourrait, malgr? l?ali?nation m?diatique, ?tre utile pour d?fendre le principe d?une ??humanisation?? possible de l??tre.

  • Quels sont les th?mes et sous th?mes qui seront trait?s lors de ce Congr?s?? (histoire de la philosophie, la logique et la philosophie des sciences, ontologie et m?taphysique ?Pourriez-vous dire un mot sur chaque th?me??

N. A: Dans chaque congr?s l?Association tente, ? partir de la probl?matique retenue, de l?approcher selon les axes, les dimensions possibles et les diff?rentes perspectives sollicit?es pour approfondir les d?bats et croiser les approches. Traiter du ??possible et de l?impossible?? ne peut se faire sans faire appel ? une certaine ??arch?ologie?? de ce th?me au cours de histoire de la philosophie, son statut dans les sciences, la logique, de ce qui est connaissable et inconnaissable, les limites de la connaissance scientifique, les articulations constantes entre la raison et l?exp?rience, la perception du r?el entre le possible et l?impossible, surtout avec les d?bats actuels sur les effets de la???r?volution num?rique?? et les nouvelles formes ??d?ali?nation?? et l?oubli de soi dans ce qui est, parfois consid?r?, arbitrairement, comme virtuel, les capacit?s, ou les capabilit?s selon Amartya Sen, de l?homme dans l?exp?rience du possible, l?interpellation du jeu du possible et de l?impossible par les diff?rentes sciences humaines, les biotechnologies, dans la cr?ation artistique, et dans les diff?rentes aires culturelles, les apports de la philosophie arabe classique et contemporaine ? ce genre de pr?occupations. Mais, aussi, interroger cette th?matique ? la lumi?re des d?fis qu?affrontent les acteurs politiques pour rendre possibles leurs utopies, ou tout simplement leurs ??programmes?? face ? l?h?g?monie des pouvoirs de la finance, les nouveaux r?les de la religion et les formes nouvelles de religiosit?? autant de question et de perspectives qui seront trait?s dans le congr?s, par les diff?rents philosophes qui vont venir des quatre coins du monde.

  • Dans la derni?re revue de philosophie publi?e par la Facult? de Lettres et de Sciences Humaines de Rabat, il est fait ?tat du statut de la philosophie au Maroc. Ce statut ?crit la revue a toujours ?t? probl?matique dans l?histoire culturelle du Maroc. Quel est aujourd?hui ce statut??

N. A?: Effectivement, ??Ecrits philosophiques?? s?inscrit dans un cheminement qui a marqu? l?activit? philosophique au Maroc depuis les ann?es soixante jusqu?? aujourd?hui. On a voulu, l?ancien doyen de la facult? Mr Abderrahim Benhadda et moi-m?me en tant que responsable de la r?daction, p?renniser la recherche dans cette discipline dans nos institutions d?enseignement et d?offrir aux foyers de r?flexion philosophique au Maroc un espace d?expression et de d?bats.

Quant au statut ??probl?matique?? de la philosophie, on doit savoir que cette discipline a ?t? l?objet de controverses dans l?histoire culturelle du Maroc contemporain. Elle a ?t? instrumentalis?e selon des ??agendas?? domin?s par des consid?rations id?ologiques et politiques. En d?pit de ces facteurs de blocage, des personnes se sont investis dans un long processus d?int?gration de la philosophie dans le tissu institutionnel et les diff?rents champs de la pens?e et de la cr?ation marocaine. Des nouaux de r?flexion se sont constitu?s, des efforts de grands penseurs ont laiss? des traces et des textes qui ont transcend? les fronti?res du Maroc et se sont impos?s par la pertinence de l?approche et l?originalit? des ouvertures intellectuelles qu?ils proposent en devenant des r?f?rences incontournables dans les champs th?oriques marocains et arabes ? propos des grandes questions de l?histoire, de l?Etat, de la tradition, de l?id?ologie, de l?identit? et la diff?rence.

Il est certain que la Facult? des Lettres et des Sciences Humaines de Rabat fut le ??laboratoire?? de ce processus philosophique, depuis Mohammed Aziz Lahbabi jusqu?? aujourd?hui, en passant par de grands noms tels Abdallah Laroui, Mohammed Abid Al jabri, Abdelk?bir Khatibi, Mohammed Sabila, Abdesslam Ben Abdelali et bien d?autres noms de la pens?e philosophique que cette facult? a pu engendrer durant les cinq derni?res d?cennies.

Et parce qu?elle privil?gie le questionnement, la raison et la critique, la philosophie g?nait le pouvoir politique depuis les ann?es soixante jusqu?? la fin des ann?es quatre-vingt-dix. Le syst?me politique n?o patrimonial ne supportait pas la r?flexion et encore moins ses dimensions critiques. Actuellement, au contraire, cette discipline est institutionnellement sollicit?e, on compte 8 d?partements de philosophie ? travers le Maroc, et la revue ??Ecrits philosophiques?? s?est lanc?e pour faire l??cho de cette dynamique de pens?e que connait notre pays, malgr? les r?sistances et les blocages qui perturbent la recherche et l?effort.

La tenue de ce congr?s mondial dans notre pays, qui va connaitre la participation de plus de 150 intervenants et participants, confirme la vivacit? de la philosophie dans notre pays.

  • Apr?s El Jabri , Aziz lahbabi , Abdelk?bir khatibi , que devient la philosophie au Maroc??

N. A?: Il faudrait savoir que l?histoire de l?intellectuel marocain moderne, comme celle du philosophe, est tr?s r?cente. Les premiers ?crivains, franchement moderne, ont commenc? ? ?crire et publier ? partir des ann?es cinquante du si?cle dernier. Le Faqih ?tait toujours la figure embl?matique, voire dominante, de la culture marocaine. Abdallah Laroui l?explique, ?loquemment, dans ses ??origines sociales et culturelles du nationalisme marocain??. Lahbabi a publi? ??De l??tre ? la personne?? en 1954. Le premier roman en arabe, selon les critiques litt?raires, c??tait ??le pass? enterr頻 de Abdelk?rim Ghallab en 1963. Les ann?es soixante auraient pu ?tre la d?cennie de la ??renaissance culturelle?? au Maroc. Mais, malheureusement, elle fut ?touff?e ? cause des consid?rations que j?ai ?voqu?es auparavant. Malgr? ce contexte hostile ? la pens?e moderne, des intellectuels, comme ceux que vous avez cit?s, se sont engag?s dans le combat de la culture et ? l?int?rieur des institutions. Ils se sont impos?s par leurs efforts, leurs id?es et aussi par leurs pr?sence qualitative dans les d?bats soci?taux et politiques.

Apr?s Lahbabi, Al jabri et Khatibi, qui constituent des r?f?rences incontournables dans l?histoire de la modernit? culturelle marocaine, il est possible de constater, vraisemblablement, qu?il n?y a plus de grands noms en vie, except? Laroui, mais il y a beaucoup de penseurs et philosophes marocains qui sont beaucoup plus connus ailleurs que dans leur pays. Dans le monde arabe, Mais aussi ailleurs, en France particuli?rement. Cependant, le lancement de la revue???Ecrits philosophiques?? a montr? qu?il existe de nouvelles ??ressources?? dans la recherche philosophique ? travers le Maroc, dans les grands centres aussi bien que dans les villes moyennes et petites.

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