Le cas Hicham El Mhajri - Par Bilal TALIDI

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Le Chef du gouvernement Aziz Alhannouch, le député Hicham El Mhjari et le ministre délégué au Budget, Fouzi Lekaâ

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Investissement, rente et concurrence - Par Bilal TALIDI

Le comportement du député du Parti Authenticité et Modernité (PAM) Hicham El Mhajri et les réactions qu’il suscitées à la Chambre des représentants ne mériteraient pas qu’on s’y attarde outre mesure. Toutefois, le personnage, en sa qualité de responsable dans un parti allié de la coalition gouvernementale, a failli à l’obligation de la solidarité qu’induit cette appartenance et a fait en conséquence l’objet de sanctions. 

L’objectif de cette mesure disciplinaire est de créer un semblant de cohésion au moins dans l’esprit de ceux qui ont suivi la séance en question, et de leur faire comprendre que les partis de la majorité ne peuvent exercer le rôle de l’opposition dans un langage parfois un cran au-dessus de celui de l’opposition officielle.

L’identité d’un parti

Cette opposition, plus qu’aux déclarations du député, s’est intéressée davantage à la réaction du ministre délégué chargé du Budget Fouzi Lekjaâ et à la pertinence de l’accusation de servir des cercles occultes portée à l’encontre de M. El Mhajri. Elle a considéré que les propos du ministre délégué sont antinomiques avec l’esprit démocratique. Ils reviendraient, selon elle, à vouloir confisquer le droit à la parole et à exercer une coercition intellectuelle sur l’essence même, la liberté, de la représentation de la Nation.

Néanmoins, pour comprendre le cas de Hicham El Mhajri, le problème devrait être appréhendé différemment. Qu’il s’agisse de cohérence politique ou du droit des députés à exprimer librement les intérêts de leurs électeurs et pas forcément ceux de leurs partis, le cas El Mhajri renseigne sur l’identité même de son parti. Plus qu’une incartade individuelle, ce trait de caractère ne révèle-t-il pas, en creux, la nature idéologique et sociologique du PAM ?

Un bref retour sur l’histoire des partis politiques marocains ayant servi au gouvernement ferait ressortir une tendance à user de la discipline ou de l’indiscipline aux règles et décisions de la coalition au pouvoie, à travers une opposition frontale, l’hésitation ou la critique d’un projet, pour précisément faire pression sur le gouvernement et sur sa composante majoritaire. L’objectif étant d’obtenir des privilèges ou de renforcer ses positions lors des négociations. Une fois le problème réglé, la solidarité gouvernementale reprenait ses droits comme si de rien n’était.

L’approche psychologique

La chronique politique retient des épisodes de ruptures de la solidarité gouvernementale comme un des moyens de torpiller l’Exécutif, d’en affaiblir les alliances ou de justifier sa recomposition en poussant à un remaniement modifiant les rapports de forces politiques. Ce fut le cas pour le cabinet Abderrahmane El Youssoufi et ce fut le cas encore pour les gouvernements Abdellah Benkirane et Saad Dine El Otmani.

Ces phénomènes courants dans les pays se produisent toutefois dans un cadre institutionnel, le plus souvent sur décision de la direction d’un parti politique. Ce qui n’est manifestement pas le cas avec la sortie de Hicham El Mhajri qui n’a été vraisemblablement ni sur orientation ni en concertation préalable avec la direction du PAM, quand bien même une position aussi tranchée à l’égard du Chef du gouvernement implique des conséquences politiques lourdes pour un parti gouvernemental.

Des observateurs ont tenté d’expliquer ce comportement en auscultant la psychologie de son auteur et ses postures sociales antérieures comme s’il s’agissait d’un cas strictement individuel qui ne tient qu’à la personne de M. El Mhajri. Or, cette démarche psychologisante n’est pas d’un grand secours pour expliquer ce phénomène en scrutant les humeurs de l’homme ou les gains qu’il réalise avec ce genre d’attitudes populistes. 

Son parcours autant que son positionnement social ne laissent pas supposer qu’il nourrit des rêves gauchistes utopiques ou qu’il prétend défendre les intérêts des classes démunies. Il connait mieux que quiconque que ses positions acerbes lui coûteront la perte d’un poste de poids (présidence de la commission de l’Intérieur) avec les innombrables privilèges matériels que cela implique.

En rupture de ban, une habitude

Dès lors, l’on est tenté d’évacuer du débat la dimension personnelle et d’appréhender le phénomène sous le prisme partisan, en l’occurrence la nomenclature idéologique du PAM, son ossature sociologique et ses ambitions de classe.

En effet, il y a quelques années, à la proclamation des résultats des élections de 2016 précisément, le Secrétaire général du PAM s’était fendu de déclarations dans lesquelles il s’en prenait à la Gendarmerie royale. A l’époque, on avait interprété cette sortie comme le signe d’un agacement à l’égard d’une partie des appareils de l’Etat qui rechignait à suivre les caprices de ce parti et des forces qui gravitent dans son orbite en vue de rafler les élections au mépris des résultats du scrutin. La direction du PAM allait accoucher d’autres déclarations en rupture de ban à l’encontre de l’Etat et de ses institutions, en contradiction apparente avec l’identité de ce parti, ses missions et ses alignements. 

Là encore, on avait expliqué cette posture par la propension de la direction du parti à renverser la table, dans un moment d’aigreur devant l’incapacité d’atteindre ses objectifs électoraux en dépit des liens qu’elle avait tissés et des promesses qu’elle aurait reçues.

Sans aller plus loin dans l’histoire, la direction actuelle du PAM n’a pas hésité, dès l’entame de sa participation au gouvernement, à instiller à son discours une dose non négligeable d’opposition. Et continue toujours de produire un discours ambivalent à deux gammes dans son rapport avec l’Exécutif, voire avec les institutions de l’Etat et les instances du champ religieux lui-même, et particulièrement Imarat Al Mouminine. 

Anticipant et empiétant sur une orientation royale à venir, l’actuel secrétaire général du PAM et ministre de la Justice Abellatif Ouahbi a annoncé sa détermination d’élaborer un nouveau Code de la famille « dans les règles de l’art ». Puis, s’étant probablement fait rappeler à l’ordre, il a fait machine arrière en assurant qu’il s’agit là d’une question théologique qui a besoin de l’avis (fetwa) des oulémas. Incorrigible, il est revenu à nouveau narguer avec son discours tangent le champ religieux, en contestant la pénalisation de la consommation d’alcool et la taxation de ses consommateurs, alors même que cette question éminemment religieuse relève de la sphère réservée à la Commanderie des Croyants (Imarate Mouminine). Puis, récidive avec les relations sexuelles extraconjugales qu’il a, d’abord, considérées comme faisant partie des libertés individuelles que l’Etat doit protéger sans y interférer, avant de se ressaisir récemment et d’affirmer qu’il s’agit là d’une question religieuse qui requiert l’avis des oulémas.

Un parti ambidextre 

C’est que ce constant pivotement est inscrit dans l’ADN même du PAM et de sa composition sociologique. Né avec une identité à droite mais articulant un discours de gauche, Il avait pour vocation de contenir un adversaire politique. Cette identité idéologique duale est adossée à une composition sociologique ambidextre : une partie de la gauche repentie ou réalisant en fin de carrière avoir mieux à faire en se rapprochant du pouvoir, et une partie de la droite  affluant d’autres formations estimant que ses intérêts seraient mieux servis au sein d’un parti proche de l’Autorité.

Cette double composition idéologique et sociologique permet d’éclairer non seulement le cas El Mhajri, mais également le caractère ambivalent, quand il n’est pas dissonant du comportement politique du PAM. Visiblement incapable de saisir les mutations du champ politique, le parti de M. Ouahbi soutient mordicus comme toujours valable la mission moderniste de sa genèse, initialement conçue pour faire face à un adversaire politique à un moment donné. 

Dans la confusion des idées qui le caractérise, il se trompe de cible en s’en prenant à l’Etat et aux institutions religieuses (le cas Ouahbi). En même temps, il ressent le besoin de renouer avec sa rhétorique de gauche chaque fois que les vents lui sont défavorables. Le PAM semble, à travers son positionnement dans le registre de la lutte des classes, vouloir exercer une sorte de pression sur l’Etat (le cas avec l’ancien Secrétaire général du parti), sur les institutions de l’Etat (le fait Ouahbi), ou sur le Chef du gouvernement comme le faisait le même Ouahbi au début et le fait actuellement encore le député du PAM Hicham El Mhajri.

C’est dire qu’en définitive, le problème dépasse et de loin le simple individu et son profil psychologique et social. Il se rapporte davantage à la structure du parti et à ses choix, à la nature des enjeux qui sont les siens et à la profonde ambivalence qui le travaille en sourdine, idéologiquement, sociologiquement et politiquement

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