Le premier Turc dans l'espace emporte la fierté du pays et les ambitions de son président

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Une photo non localisée prise le 27 juin 2023 montre l'astronaute turc Alper Gezeravci (à gauche) et l'astronaute en chef d'Axiom Space et ancien astronaute de la NASA Michael Lopez-Alegría au travail au Centre spatial Kennedy pendant la préparation de la troisième mission de l'infrastructure spatiale privée américaine "Axiom Space" prévue pour le 17 janvier 2024. (Photo HATIM KAGHAT / AXIOM SPACE / AFP)

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"Sois fière, Turquie!". L'envol du premier astronaute turc vers la station spatiale internationale (ISS), motif de fierté pour le pays, est aussi le reflet d'une ambition de son président.

Alper Gezeravci, un pilote de chasse de 43 ans, dont 21 dans l'armée de l'air, doit décoller dans la nuit de jeudi à vendredi pour l'ISS depuis la base de Cap Canaveral, en Floride (sud-est des Etats-Unis), pour une mission de 14 jours.

Son départ, initialement prévu jeudi, a été reporté de 24 heures "vendredi à 00H49 heure de Turquie (21H49 GMT) pour procéder à des vérifications techniques", a annoncé mercredi soir le ministre turc de l'Industrie, Mehmet Fatih Kacir qui se trouve en Floride, à la tête d'une importante délégation officielle.

Le colonel Gezeravci rejoindra la station internationale en compagnie d'un Suédois, d'un Italien et d'un Espagnol à bord d'une navette privée de la société Axiom, qui assurera ainsi sa troisième mission en partenariat avec la Nasa (agence spatiale américaine).

"Nous voyons cette mission comme le symbole d'une Turquie de plus en plus puissante et affirmée", a estimé mardi soir le président turc Recep Tayyip Erdogan. "Que ce voyage de notre frère Alper soit bénéfique à toute notre nation et à notre jeunesse" a ajouté le chef de l'état en lui souhaitant "bonne chance".

Il avait lui-même introduit la mission de M. Gezeravci entre les deux tours de l'élection présidentielle, en mai 2023, et a rappelé à plusieurs reprises l'importance de ce vol pour le pays.

"Nous sommes en passe d'atteindre notre but d'envoyer un de nos concitoyens dans l'espace. Sois fière, Turquie!" lançait-il la semaine dernière, en précisant que l'astronaute conduirait 13 expériences préparées par les universités du pays.

Ces premiers pas dans l'espace tombent à pic pour le président, soucieux d'imposer son pays sur la scène internationale mais dont les offres de médiation n'ont pas rencontré le succès qu'il escomptait, ni dans le conflit entre la Russie et l'Ukraine ni, cet automne, entre Israël et le Hamas.

Pour Marc Pierini, diplomate et chercheur associé à l'Institut Carnegie Europe, qui salue "un véritable succès" avec cette première mission d'un astronaute turc, "elle n'a aucun rapport avec la capacité de la Turquie à être un acteur qui influencerait l'agenda politique mondial".

- "Evénement historique" -

"Les fluctuations de sa politique étrangère ne laissent pas à Ankara l'espoir de jouer un rôle moteur sur la scène internationale", prédit-il, citant les atermoiements de la Turquie sur l'Otan - elle n'a toujours pas approuvé l'adhésion de la Suède -, ses ambiguïtés sur le conflit ukrainien - dans lequel elle cherche à ménager les deux parties -, et son appui au Hamas islamiste palestinien, qu'elle a qualifié de "mouvement libérateur" face à Israël, "Etat terroriste".

Néanmoins la Turquie mène un programme spatial sérieux à travers ses satellites et son agence spatiale, créée en 2018.

"Cet événement historique va permettre de valider des objectifs technologiques et de galvaniser la fierté nationale du peuple turc", se félicite Halit Mirahmetoglu, directeur du Centre de l'espace et l'aviation Gühem, basé à Bursa (ouest de la Turquie).

"Mais aussi de lancer une nouvelle ère d'innovation scientifique et de collaboration internationale" espère-t-il.

L'envoi du premier Turc sur l'ISS était le premier des 10 objectifs de la stratégie spatiale turque présentée en 2021, rappelle le responsable qui est en route pour la Floride.

Alors qu'Ankara s'illustre depuis plusieurs années avec ses drones de combat, à la fois performants et bon marché, M. Mirahmetoglu insiste sur "l'interconnexion des industries de l'aviation, de l'espace, de la défense et des logiciels".

La Turquie veut dès lors compter parmi les grandes nations spatiales: elle sait déjà "conceptualiser, construire et gérer les opérations de ses satellites géostationnaires et en orbite basse" et compte bien aller plus loin, assure-t-il, vers un "écosystème spatial" complet.

"Le domaine de l'exploration spatiale, longtemps réservé à un club de nations développées, s'ouvre à présent à des pays émergents. C'est au tour de la Turquie de rejoindre le club des grands", conclut-il avec flamme, escomptant des "possibilités de découvertes et d'avancements technologiques et scientifiques".

Quant au héros du jour, Alper Gezeravci, il mesure tout le poids symbolique de sa mission, se disant prêt à "emporter les rêves du peuple turc dans les profondeurs de l'espace".

"Ce voyage n'est pas une finalité pour nous, juste le moyen de parvenir aux objectifs de nos études spatiales", a-t-il déclaré à l'agence officielle Anadolu.

Selon la Nasa, l'ISS a accueilli plus de 275 astronautes à son bord, en général pour une durée de plusieurs mois. (AFP)

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