Polémiques opposition/majorité : un luxe onéreux dans le contexte actuel – Par Bilal TALIDI

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La politique, elle a beau être un cirque, elle doit éviter de tomber dans la zoophilie politique

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On aura remarqué ces derniers jours le retour en force du trash-talking dans le discours politique des dirigeants du Rassemblement national des indépendants (RNI) et du Parti de la justice et du développement (PJD), au grand bonheur de certains médias sociaux satiriques qui jubilent à l’idée du retour du lexique animalier sur la scène politique

Alors même que le pays traverse une crise mondialisée qui mérite un autre traitement et d’autres comportements.

La compensation, caisse de résonnance 

La politique, elle a beau être un cirque, elle doit éviter de tomber dans la zoophélie 

Durant plus de trois mois, le discours politique des partenaires s’est articulé autour d’un point central se rapportant à la relation entre la hausse des prix et la réforme de la Caisse de compensation. A qui en incombe la responsabilité ?  Qui est la partie qui a appelé à la réforme de la Caisse de compensation ? Ou qui a profité de la réforme de cette Caisse pour bénéficier de la politique de libéralisation des prix ?

Il ne s’agit pas ici de s’appesantir sur le débat politique émaillant cette affaire et encore moins de présenter l’argument des uns et des autres, mais plutôt d’appréhender la praxis politique à travers les thématiques qui en fondent les lignes de démarcation et comment les élites politiques retombent invariablement dans des débats qui devraient normalement, une fois leur temps révolu, appartenir au passé.

Plaçons d’abord la problématique dans son contexte afin de mieux saisir l’atavisme des élites politiques et leur propension inée à raviver les vieilles querelles et leur incapacité à bâtir l’acte politique dans la continuité, en capitalisant sur l’accumulation.

Il est édifiant de noter comment les élites politiques au sein du RNI comme du PJD, conviennent, actuellement au moins, que personne ne saurait revenir sur la réforme de la Caisse de compensation, que c’est une politique qui a bénéficié à l’Etat, et que la logique commande, lorsque les conditions idoines le permettront, de prendre des mesures audacieuses sur la voie de la libéralisation des finances publiques de l’Etat.

La hausse de discorde

N’est-il pas déplorable que le débat entre ces élites ne se soit pas articulé sur ce qui reste à faire sur la voie de cette réforme et sur la manière de la gérer tout en sondant le contexte politique actuelle pour déterminer s’il se prête à pareille entreprise. 

C’est au tout contraire que l’on assiste. Une nouvelle problématique appelée «hausse des prix» a, en fait, révélé le faible de l’élite politique pour le passéisme face à ce défi, si bien que cette même élite en arrive à reposer dans le débat la politique de la réforme de la Caisse de compensation comme si elle était l’origine du mal.

Le RNI a migré vers le passé pour faire endosser le problème à Benkirane qui a entamé la réforme de la Caisse. Benkirane a pris la machine à remonter le temps pour justifier la réforme, usant de son argumentaire habituel et du vocabulaire qui lui est particulier particulier.

Il va sans dire que le passé a un impact sur la nouvelle donne imposée par les défis internationaux (hausse des prix), mais quel intérêt les élites politiques ont-elles à invoquer le passé ?

L’intérêt est évidemment politique, mais il reste éminemment subjectif, voire égoïste et sans rapport aucun avec l’intérêt national ou encore avec les risques sérieux que présente le phénomène de la hausse des prix.

Le RNI peut certes engranger des gains politiques en endossant au PJD la responsabilité de la hausse des prix. Le PJD peut en contre-attaque marquer des points en s’en prenant aux élites financières du RNI.

Mais en définitive, quel impact aura ce genre de gain politique éventuel sur la question de la hausse des prix ou sur les esprits ? Permettrait-il de convaincre le gouvernement de la nécessité d’entreprendre des mesures concrètes pour pallier ce phénomène ? Servirait-il à faire avancer le débat public en la matière ? On en doute.

Intérêt national et gains politiques circonstanciels

Un débat affranchi de ces tropismes sur ce sujet passe par deux préalables

Le premier concerne la production d’un discours politique transparent sur l’ensemble des opérations qui régissent la filière des hydrocarbures jusqu’à leur arrivée au citoyen avec le prix affiché à la pompe. Il s’agira de parler un langage arithmétique neutre et sans relents politiques, de manière à permettre au citoyen de comprendre les mécanismes qui commande la hausses des prix à la pompe. Cette clarté et cette transparence sont d’une importance capitale. Elles seules sont en mesure de couper court à deux problèmes très sérieux : les accusations portées, à tort ou à raison, aux élites financières d’exploiter les moments de crise pour mettre en péril la stabilité sociale à travers les présumées pratiques de monopole et d’élargissement de la marge de profit, et les soupçons de conflit d’intérêt.

Le second préalable consiste à tenir compte de l’ensemble des éléments qui façonnent le contexte de crise internationale générée par la guerre russe en Ukraine et leurs répercussions. Il consiste aussi à mieux informer l’opinion publique sur le stock stratégique énergétique et alimentaire, ainsi que sur les mesures que le gouvernement compte entreprendre pour empêcher que la hausse des prix n’atteigne des niveaux insupportables.

Jusqu’ici, le débat politique affranchi des pesanteurs du passé n’a pas encore commencé. Le gouvernement semble ne pas maitriser ces bouleversements que personne ne pouvait prévoir d’ailleurs et donne l’impression de considérer, aujourd’hui ces défis comme incombant à l’Etat, cependant que c’est de lui qu’on attend d’anticiper les situations avec des options innovantes capables d’atténuer la crise.

Pour sa part, l’élite politique adverse perçoit cette situation comme l’occasion de prendre sa revanche sur le gouvernement et remettre sur le tapis les circonstances ayant présidé à la réforme de la Caisse de compensation, l’objectif étant d’amener l’opinion publique à croire que la responsabilité de la hausse des prix incombe aux lobbies des hydrocarbures qui feraient fi de l’intérêt national.

Le Maroc a besoin aujourd’hui d’un débat politique serein, en phase avec la réalité actuelle qui, tenant compte des répercussions actuelles et potentielles de la guerre russe en Ukraine, se doit d’élaborer les données dans un langage arithmétique présentant les chiffres de manière transparente, afin d’outiller l’opinion publique d’une démarche rationnelle qui l’immuniserait contre les manipulations d’où qu’elles viennent, et l’empêcherait de céder aux sirènes des discours politiques prompts à abandonner l’intérêt national au profit de gains politiques circonstanciels.

C’est sans doute injuste, mais la balle est d’abord dans le camp du gouvernement du fait qu’il est le plus concerné par la production de données transparentes, la communication avec l’opinion publique et la clarification des mesures d’urgence prévues pour alléger la hausse des prix.

Les élites de l’opposition se doivent, elles, de comprendre que la reconquête de la place au soleil qu’elles considèrent leur n’est pas chose aisée. Elle passe nécessairement par l’élaboration d’un discours politique rationnel, adossé, pour avoir de l’effet, aux données actuelles et non pas à des différends obsolètes.

 

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