‘’Transfuge’’ russe du ballet, ''l'Histoire change, le Bolchoï reste''

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L'ancienne prima ballerina du Ballet russe du Bolchoï, Olga Smirnova, regarde pendant qu'elle répète dans un studio de l'Opéra national néerlandais, à Amsterdam, le 13 mai 2022. La prima ballerina Olga Smirnova a quitté le Bolchoï le mois dernier pour rejoindre le Ballet national néerlandais, après avoir déclaré être contre la guerre "avec toutes les fibres de mon âme". (Photo : JOHN THYS / AFP)

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Quid avec AFP

"Pour le Bolchoï, 20 ans c'est rien, mais pour un danseur, c'est toute sa vie": Olga Smirnova, ex-star de la célèbre troupe moscovite qui a quitté la Russie après l'invasion de l'Ukraine, craint un isolement durable de ses artistes.

Le départ de la danseuse de 30 ans, qui a rejoint le Dutch National Ballet à Amsterdam, a fait l'effet d'un petit séisme dans le monde de la danse tant le Bolchoï est synonyme de l'art du ballet et est une vitrine culturelle, voire politique, de la Russie.

Olga Smirnova était l'un des visages de la compagnie et une "prima ballerina" encensée par la critique. Gracile, yeux en amande, cou de cygne, elle est "l'instrument physique parfait de sa forme d'art", comme l'a décrite un quotidien britannique, évoquant une "perfection étourdissante".

"J'ai passé dix années merveilleuses avec le Bolchoï car les meilleurs chorégraphes sont venus y créer des ballets. J'ai senti vraiment que je faisais partie du monde... Tout cela a pris fin avec la guerre", dit-elle à l'AFP lors d'un entretien à l'Opéra national des Pays-Bas.

"Nouveaux mondes" 

Aujourd'hui, "le pays est isolé et le Bolchoï est isolé du monde" [occidental NDLR], ajoute la danseuse, très émue avant l'interview.

Elle n'est pas inquiète pour la compagnie moscovite, "une immense institution qui survit à n'importe quelle crise", après avoir traversé les époques tsariste, soviétique et la fin de la Guerre froide.

"L'Histoire change et le Bolchoï reste", assure-t-elle.

Mais elle craint l'isolement des danseurs russes, rappelant que la carrière d'un danseur classique est courte, "15 à 20 ans si on est en bonne condition physique".

Même au plus fort de la Guerre froide, les tournées de ballet étaient considérées comme un pont entre l'URSS et l'Ouest. Après la gurre de l'Ukraine, l’alliance occidentale qui n’a rien épargné à la Russsie jusqu’à retirer des programmes de l’enseignement de Dostoïevski,  des tournées de compagnies comme le Bolchoï ont été annulées, ses stars ne sont plus invitées à l'étranger et des chorégraphes comme Jean-Christophe Maillot et Alexei Ratmanski ont demandé la suspension de leurs ballets au sein de la compagnie.

Citant l'Allemand John Neumeier, le Français Pierre Lacotte, l'Américain William Forsythe ou le Britannique Christopher Wheeldon, Smirnova estime que sa génération, qui porte superbement le répertoire classique, a eu "une magnifique occasion de découvrir de nouveaux mondes" avec ces chorégraphes.

Elle refuse de qualifier son départ de "défection", mot utilisé à l'époque soviétique lorsque des légendes du ballet comme Rudolf Noureev ou Mikhaïl Barychnikov sont passées à l'Ouest.

"Je pense que j'ai été honnête avec moi-même et suivi ma conscience. (...) J'avais tellement de peine pour ces gens obligés de perdre leur foyer", confie Smirnova.

La ballerine pensait que la guerre s'arrêterait rapidement. Quelques jours plus tard, elle écrit sur le réseau social Telegram: "Je suis contre la guerre de toute mon âme. (...) Je n'ai jamais cru que je pourrais avoir honte de la Russie". Une déclaration qui a valeur de carte de séjour VIP dans les capitales européennes

Elle voyage à Dubaï pour soigner une blessure puis elle fait le grand saut. "Personne n'était au courant, sauf mon mari et le directeur artistique du Dutch National Ballet, Ted Brandsen", précise-t-elle.

Pour ses parents, ce reniement est un choc. Jusqu'à présent, "ils n'acceptent pas vraiment l'idée que j'aie quitté le Bolchoï".

Quant à ses collègues, elle "n'a presque plus de contact" avec eux. "J'ai juste reçu quelques messages. Peut-être qu'ils ne comprennent pas ma décision, peut-être qu'ils se protègent de la vérité et se disent: ‘Je suis juste un danseur, je n'ai rien à voir avec la politique’". Peut-être aussi que pour eux c’est une renégate. Et la presse ? "Ils préfèrent prétendre que je n'existe pas".

"Eviter de trop réfléchir" 

Accueillie (ou cueillie) à grands bras ouverts, aujourd'hui, dit-elle, "je me sens de plus en plus chez moi" à Amsterdam. Elle a emménagé dans un appartement et dansé en avril dans une nouvelle production du ballet "Raymonda". Quand on a sa classe et son reniement, c’est facile de s’intégrer.

"J'ai réintégré la routine de ballet dès le premier jour. (...) J'ai senti que je retrouvais ma vie normale... (La danse) m'a permis d'éviter de trop réfléchir", souligne-t-elle.

La Saint-Pétersbourgeoise ne rêvait pas, comme beaucoup de petites Russes, de devenir ballerine. "Personne dans ma famille ne venait du monde du théâtre ou du ballet", dit-elle. Sa maman ingénieure l'inscrit pourtant à la prestigieuse Académie Vaganova et, à peine diplômée, elle est engagée en 2011 par le Bolchoï et gravit rapidement les échelons.

Avant la guerre, Smirnova était tentée par l'idée d'être danseuse principale au Bolchoï et artiste invitée au Dutch National Ballet, pour découvrir notamment l'œuvre de Hans van Manen, bientôt 90 ans, qui sera célébrée en juin à l'Opéra national des Pays-Bas.

Sur quelle scène rêve-t-elle de danser ? "L'Opéra de Paris ! Je n'ai jamais dansé au Palais Garnier", sourit-elle avec un sens aigu de l’à-propos. 

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