Cinéma, mon amour ! de Driss Chouika : ''THE TIME THAT REMAINS'', UN BURLESQUE SUBVERSIF ET PROFONDÉMENT MÉLANCOLIQUE

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Le film regorge de moments forts et saisissants : l’enfant Elia qui se fait durement réprimander par son instituteur pour avoir fait mention de l’impérialisme américain, la chorale des enfants arabes de l’école auxquels on apprend des chansons hébraïques et qu’on fait même gagner un prix (!), l’extrait de “Spartacus“ de Stanley Kubrick axé sur le désir de révolte des opprimés, le père d’Elia qui se retrouve à l'hôpital avec le soldat qu’il a sauvé de la mort mais séparés par un rideau (!)

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Cinéma, mon amour !'' de Driss Chouika - LE CINÉMA UNDERGROUND : QUAND  L'AMÉRIQUE FAISAIT SON CINÉMA EXPÉRIMENTAL

« Ce film est inspiré de mon père lorsqu’il était un combattant résistant en 1948, et des lettres de ma mère aux membres de sa famille qui furent forcés de quitter le pays. Mêlant mes souvenirs intimes d’eux et avec eux, le film dresse le portrait de la vie quotidienne de ces Palestiniens qui sont restés vivre sur leurs terres natales et ont été étiquetés “Arabes-Israéliens“, vivant comme une minorité dans leur propre pays ». Elia Suleiman.

Présenté en compétition officielle au Festival de Cannes 2009, “Le temps qu’il reste“ de Elia Suleiman, l’“Arabe-Israélien“ qui refuse cette étiquette qu’on lui impose et se considère pleinement Palestinien sur la terre qui l’a vu naître et grandir en tant que tel, est une chronique burlesque et subversive, en partie autobiographique, construite en quatre périodes marquantes de l’histoire d’une famille, en l’occurrence celle du réalisateur lui-même, qui se confond avec l’histoire de la Palestine de 1948 au temps présent, autrement de la défaite des armées arabes et la création de l’Etat d’Israël à la fin des années 2000, en passant par les étapes charnières des années 70 et 80.

Schématiquement, l’histoire du film peut être résumée ainsi : 

C’est une sorte de carnet de route d'une famille palestinienne vivant à Nazareth de 1948 à 2009, couvrant quatre périodes :

1 - La guerre de Palestine de 1948. Le grand-père d'Elia Suleiman, maire de Nazareth, acculé à signer la capitulation de la ville, imposée par l’armée israélienne, la Haganah, dans des termes bien durs. Le père d'Elia, Fouad, est un résistant palestinien, arrêté, torturé et laissé pour mort par les troupes israéliennes.

2 – On est en 1970 (images de la mort de Jamal Abdenasser), et on suit Elia, enfant d’une dizaine d'années, dans son voisinage et dans sa famille, dont son père à la santé précaire.

3 – On est au début des années 1980, Elia est adolescent, toujours dans son voisinage et dans sa famille, dont sa tante qui perd la mémoire et son père à la veille de sa mort.

4 – Le réalisateur nous transporte à la fin des années 2000, où il joue son propre rôle. Il veille sur sa mère vivant ses derniers jours.

La première partie a été construite à partir des carnets personnels du père du réalisateur, les trois dernières étant essentiellement autobiographiques.

ENTRE BURLESQUE, IRONIE ET DÉRISION

D’emblée, le réalisateur annonce les couleurs de son choix stylistique et esthétique par une séquence burlesque et ironique, dans laquelle le chauffeur de taxi qui le conduit de l’aéroport est totalement déboussolé par un terrible orage qui lui bouche complètement le champ de vision, le contraignant de s'arrêter au bord de la route. A l'arrière du taxi, sur un fond flou, Elia Suleiman reste muet, semblant douter de pouvoir rentrer "chez lui". Image hautement symbolique et qui marque fortement l’ensemble de la symbolique du film.

Le film, fidèle au style burlesque, à la Buster Keaton, et à l’ironie et la dérision à la Nanni Moretti, évoque bien la tragédie palestinienne à travers une chronique intime mais profondément ancrée dans le vécu quotidien des Palestiniens vivant sous l’oppression de l’occupation israélienne. Même montrée sous une forme burlesque et comique, l’occupation très violente est omniprésente par une surveillance permanente de patrouilles militaires israéliennes. La violence de l’occupation est bien manifeste et on la sent tapie au fond des cœurs rongés par une tristesse et une mélancolie profondes. La force du style du réalisateur est qu’il a réussi la performance rare d’exprimer sa vision sous forme d’une série de sortes de sketches d’un burlesque subversif, mais bien réaliste et profond dans sa drôlerie. C’est bien un humour bien particulier et original.

Les quatre épisodes du film, agencées et orchestrées d’une manière fort intelligente, regorgent de moments de cinéma aux expressions et significations bien fortes et saisissantes : la capitulation symbolique du maire de Nazareth le 16 juillet 1948, le choc provoqué par l’annonce de la mort de Jamal Abdennasser, l’enfant Elia qui se fait durement réprimander par son instituteur pour avoir fait mention de l’impérialisme américain, la chorale des enfants arabes de l’école auxquels on apprend des chansons hébraïques et qu’on fait même gagner un prix (!), l’extrait de “Spartacus“ de Stanley Kubrick axé sur le désir de révolte des opprimés, le père d’Elia qui se retrouve à l'hôpital avec le soldat qu’il a sauvé de la mort mais séparés par un rideau (!), Elia adulte qui rêve sauter à la perche, comme un olympien, le “mur de sécurité“ séparant Israël des “territoires occupés“, la présence répétitive du voisin un peu fou dans des situations bien cocasses, la patrouille de soldats qui n’osent pas intervenir pour interdire une soirée musicale pendant le couvre-feu, finissant par se mettre à danser dans leur véhicule au rythme d’une musique techno arabe, ce palestinien allant et venant devant chez lui en parlant à son téléphone portable et que le long canon d’un char poursuit...

Ce style burlesque et ironique est accompagné d’un goût bien prononcé pour des dialogues d’une concision extrême, combinés avec de longs silences bien expressifs, à tel point que Elia Suleiman semble convaincu que le silence est à la fois une arme et un moment privilégié de partage d’idées et de sens.

En plus, la démarche et les choix esthétique et thématique du réalisateur sont rehaussés par le choix d’une bande musicale bien originale, qui n’est pas spécialement composée, mais faite d’un ensemble particulier de chansons arabes, allant des plus classiques au plus novateurs et modernes.

Enfin, le réalisateur montre explicitement que les Palestiniens sont des gens bien civilisés, cultivés et d’une grande finesse d’esprit et de cœur, à l’opposé de l’idée véhiculée aujourd’hui par Netanyahu, parlant avec arrogance d’“animaux“ à éradiquer de la surface de la terre !

FILMOGRAPHIE DE ELIA SULEIMAN

L M : « Chronique d’une disparition » (1996) ; « Intervention divine » (2002) ; « Le temps qu’il reste » (2009) ; « It Must Be Heaven » (2019).

C M : « Hommage par assassinat » (1992) ; « Le reve arabe » (1998) ; « Cyber Palestine » (2000) ; « Irtbak » dans le film à sketches « Chacun son cinéma » (2007) ; « Diary of a beginner » dans le film à skeches « Sept jours à La Havane » (2011).

DRISS CHOUIKA

 

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