Chronique « Cinéma, mon amour de Driss Chouika: ''LE SOLEIL DU PRINTEMPS '', LE VÉRITABLE ''CASABLANCA'' DES ANNÉES 60

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Adapté d’un roman de Abdelkrim Ghallab, ce film qui avait offert le deuxième grand rôle au comédien international marocain Hamidou, a été réellement le premier film d’un courant de cinéma socio-culturel résolument engagé dans une modernité pionnière

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Cinéma, mon amour !'' de Driss Chouika - LE CINÉMA UNDERGROUND : QUAND  L'AMÉRIQUE FAISAIT SON CINÉMA EXPÉRIMENTAL

« “Soleil de printemps“, considéré à l’époque par les cinéphiles et les critiques comme le premier film d’auteur du cinéma marocain, tout en décrivant le Casablanca des années 60 et 70 dans une organisation urbanistique post-coloniale, dénonce l’étouffement qu’elle opère sur les habitants d’une manière générale avec une façon de vivre à l’occidentale, incompatible avec la culture et l’identité marocaines ». Latif Lahlou.

Dans la pure lignée du cinéma néoréaliste italien, première expérience marocaine d’un film d’auteur à la “nouvelle vague“, “Soleil de printemps“ (1969), est le premier long métrage de Latif Lahlou, l’un des pionniers du cinéma marocain, lauréat de l’IDHEC, ayant été responsable au Centre Cinématographique Marocain, puis Directeur de la Programmation à la Radiodiffusion-Télévision Marocaine (TVM), avant de fonder l’une des plus importantes entreprises privées de production cinématographique du pays (CINETELEMA).

Ecrit en collaboration avec Abdelkrim Ghallab, ce film qui avait offert le deuxième grand rôle au comédien international marocain Hamidou, après son interprétation mythique de François Toledo dans le film “La vie, l’amour, la mort“ de Claude Lelouch (1968), a été réellement le premier film d’un courant de cinéma socio-culturel résolument engagé dans une modernité pionnière. Cela s'inscrit parfaitement dans le renouveau et la renaissance que connaissait la nouvelle culture nationale suite à l’indépendance du pays et aux nouveaux jeunes diplômés marocains dans les études cinématographiques, notamment à Paris (l’IDHEC) et Varsovie (Lodz), dont Latif Lahlou, M-A. Tazi, Mostafa et Abdelkrim Derkaoui, Abdelkader Lagtaa...

Ayant vu ce film à plusieurs occasions, dont la dernière a été la séance d’hommage à Latif Lahlou organisée par le Ciné-Club Agora le 25/01/2018 au Centre Culturel Boukmakh à Tanger, avec la participation au débat de L’humoriste Houcine Benyaz et de la poétesse Ouidad Benmoussa, je le considère comme le digne représentant du cinéma du réel marocain, et en l'occurrence le véritable “Casablanca“ des années 60, tourné réellement, au style documentaire à la manière de Joris Ivens, dans les décors naturels du vrai Casablanca de la fin des années 60, avec ses constructions, rues et avenues mythiques de l’époque.

Récemment restauré par la Cinémathèque Nationale, après avoir fait partie d’un coffret de VHS de cinq films bien représentatifs de la cinématographie nationale à l’occasion du centenaire du cinéma marocain célébré par le CCM et les professionnels en 1995, “Soleil de printemps“ demeure l’un des meilleurs films marocains, qu’on peut voir et revoir avec une réelle délectation cinéphile.

L’histoire du film est toute simple : “Soleil de printemps“ est la critique acerbe de l’atmosphère étouffante de la vie d’un petit fonctionnaire de Casablanca. Il raconte les déboires et les malheurs de ce fonctionnaire d’origine paysanne qui n’arrive pas à s’identifier ni à s’intégrer à la vie de la grande ville de Casablanca.

Effectivement, réalisé dans la pure tradition stylistique et thématique des nouveaux cinémas (néoréalisme italien, nouvelle vague francaise, cinéma novo brésilien...), avec une force supplémentaire qui l’a bien enrichi et rehaussé sa valeur documentaire : faire des espaces urbains de Casablanca l’un des personnages principaux du film. Et, d’une manière générale, les décors naturels, même dans les flash-backs faisant référence à l’enfance et l’adolescence de Al Hadi dans sa campagne natale et quand il y retourne adulte pour régler le problème des terres héritées, le réalisateur les a filmés d’une manière artistique sublime, évitant intelligemment toute exploitation folklorique ou misérabiliste.

UN CINÉMA DE LA CONTESTATION PACIFISTE

Dans ce film Latif Lahlou a bien respecté sa parole : « Pour moi, le film est, avant tout, une idée mise en exergue par un très bon scénario bien ficelé, basé sur une trame et une écriture cinématographique bien conçues ». Ecrit en collaboration avec Abdelkrim Ghallab, le scénario est effectivement bien ficelé et la thématique est judicieusement agencée autour des difficultés écrasantes qui empêchent l’intégration d’un jeune d’origine paysanne, aussi cultivé soit-il, à la nouvelle vie citadine d’une grande métropole en plein développement.

Dans un style de réalisation à la fois sobre et dynamique, la construction dramatique du film est rendue plus fluide et attachante grâce à un jeu bien naturel de comédiens bien dirigés, avec à leur tête un Hamidou qui a composé avec brio son deuxième plus grand rôle dans un long métrage après celui de François Toledo dans le film “La vie, l’amour, la mort“ de Claude Lelouch, dont il avait fini par devenir l’un des acteurs fétiches. Avec des dialogues concis et précis, évitant tout bavardage inutile, dans un dialecte citadin marocain pur, un jeu de regards et une gestuelle bien dosée et mesurée, ce film est un modèle rare dans la cinématographie nationale à ses débuts.

En plus, avec ce film, Latif Lahlou, le doyen des cinéastes marocains, est resté fidèle à sa vision et son choix cinématographiques bien particuliers, basés sur les principes fondamentaux d’un cinéma social civique et responsable, s’inscrivant dans ce qu’il appelle une “contestation pacifiste“ : « Je pense qu’il est nécessaire de s’inscrire dans la contestation pacifique, positive et créatrice. Quand je dis contestation pacifique il s’agit de relever les dysfonctionnements qui bloquent nos avancées vers le progrès avec la finesse du langage cinématographique que nos cinéastes savent utiliser avec intelligence ».

D’ailleurs, lors de l’hommage qui lui a été rendu lors de l’ouverture du 23ème Festival National du Film, avant la projection de la version restaurée de son film, il a tenu à lancer un appel vibrant à la nouvelle génération des cinéastes marocains : « Je souhaite personnellement que la jeune génération de nos cinéastes réfléchisse bien sur le monde qu’elle veut exprimer et les messages qu’elle veut envoyer aux spectateurs. Pour moi, il est essentiel, aujourd’hui et demain, de casser les tabous du néocolonialisme culturel et s’éloigner du mimétisme de l’occident et de l’atavisme de la tradition rétrograde ».

FILMOGRAPHIE DE LATIF LAHLOU (LM)

« Soleil de printemps » (1969) ; « La compromission » (1986) ; « Les jardins de Samira » (2007) ; « La grande villa » (2010) ; « L’anniversaire » (2014)

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