''Cinéma, mon amour !'' de Driss Chouika – ‘’TRIANGLE OF SADNESS’’, UNE FABLE MODERNE SUR LE MONDE DU LUXE ULTRA-BOURGEOIS

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Le traitement du film laisse apparaître une claire et nette critique de l’exploitation de l’Homme sous toutes ses formes, salariale, sexuelle... Il déshabille les ultras-riches et les montre sous leurs véritables identités comportementales

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Chronique ''Cinéma, mon amour !'' de Driss Chouika - CES MALEDICTIONS QUI  CONTINUENT A SAINGNER A BLANC LE CINEMA NATIONAL !

« Mon but, pendant que je faisais ce film, était d’être vraiment méchant avec tout le monde. Peu importe que vous soyez pauvre ou riche : je vous traiterai de la même manière et je vous mettrai à l’épreuve de la même manière. Je voulais éviter le cliché selon lequel les riches sont des ignorants égoïstes et les pauvres des gens spirituels et généreux. Je voulais simplement montrer que notre comportement change en fonction de nos possessions et de notre hiérarchie financière ». Ruben Östlund.

Déjà Prix Spécial du Jury d’un Certain Regard à Cannes 2014 pour le film “Snow Therapy“, puis Palme d’or à Cannes 2017 pour le film “The Square“, Ruben Ostlund a rejoint le club restreint des double-palmés en décrochant la Palme d’or à Cannes 2022 pour son dernier film “Sans filtre“ (TRIANGLE OF SADNESS), une satire à l’humour décapant sur les milieux du luxe démesuré.

Y a-t-il une “recette spéciale Palme d’or“ ? Certainement pas, dans l’absolu. Mais Ruben Östlund semble avoir trouvé les ingrédients essentiels de cette recette, une sorte de fil conducteur alliant, subtilement et intelligemment, un thème social porteur, une esthétique de réalisation riche, dynamique et précise, un montage bien rythmé et une bande son riche et finement recherchée.

La puissance narrative du film est bien construite et consolidée dans un traitement divisé en trois parties constituant un tout bien agencé, même si la troisième parait un peu excessivement longue : 1 - Un échange qui résume finement la vie du couple, les rapports homme/femme, le fonctionnement des réseaux sociaux ainsi que la culture de l’apparence ; 2 – Le monde des croisières de luxe et ses abus, avec une grande scène représentant le cœur du film ainsi que cette scène burlesque d’une espèce de joute de citations de Marx et Lénine entre le capitaine américain communiste et le grand capitaliste russe ; 3 – Un renversement de situation, suite à l’annonce d’une catastrophe semblable à celle de “Titanic“, va chambouler les rapports et les luttes des classes sociales.

Les cinéphiles marocains, encore accrocs des rares salles obscures qui restent encore ouvertes dans quelques grandes villes du pays, ont eu la chance de voir ce formidable film qui a été à la tête des films présentés par la 29ème édition des Semaines du Film Européen, organisées par l’Union Européenne au Maroc à Casablanca, Marrakech, Rabat et Tanger.

LES BASSESSES DE LA NATURE HUMAINE

La thématique centrale du film est basée sur les bassesses et la médiocrité de la nature humaine qui, occultant toute référence aux qualités réelles de la vie de l’Homme, la réduisant au seul pouvoir de l’argent. La vraie vie est en corrélation directe avec le degré de richesse des gens. Les jouissances les plus extravagantes ne sont permises qu’aux ultras-riches, une caste qui réduit la vie à un ensemble d’apparats et de vanités.

Le film développe son histoire comme suit: Un couple, un mannequin et une influenceuse, se retrouve embarqué sur un navire de croisière de luxe. A bord du yacht ne règne qu'argent, luxe et inégalités jusqu'à ce qu'une tempête pointe le bout de son nez, et avec elle le bouleversement des rapports sociaux entre tous les occupants du navire. Passant de l’ambiance du “Titanic” à celle de “Robinson Crusoé”, avec une élite capitaliste américaine et un capitaine marxiste, tout ce beau monde va devoir finir par cohabiter, quitte à renverser dogmes et hiérarchies.

Ruben Östlund, dans une somptueuse et dynamique réalisation, s’attaque à la mentalité de la haute bourgeoisie. Il dissèque méthodiquement son mode de vie social, avec ses choix, ses codes et ses excès. Cette satire folle et hilarante est d’une rare perfection technique et une surprenante et attachante esthétique de l’image, la construction dramatique du film ayant été inspirée d’échanges du réalisateur avec sa compagne, photographe de mode. Le rythme du film est d’un équilibre parfait entre les différentes parties qui le composent.

UNE CRITIQUE SOCIALE AUDACIEUSE

Ce film n’est pas qu’une prouesse thématique, technique et esthétique. Il est aussi et surtout une acerbe et féroce critique sociale des catégories des ultras-riches. Et il n’est pas uniquement une comédie satirique légère, comme il peut paraître. Le réalisateur pose un regard sans complaisance sur la vie sociale démesurée de la haute société. Il opère un profond questionnement du rapport de l’homme à l’argent, aux codes et pratiques sociales établies, au rôle de la femme dans la société moderne, avec une vive peinture des mœurs et coutumes de la communauté restreinte des grands riches. C’est une critique sociale audacieuse qui nous embarque avec subtilité dans une folle vision sociopolitique d’un microcosme social d’une grande influence dans le monde d’aujourd’hui.

Le réalisateur a bien précisé qu’il a tenu à rester impartial et “éviter le cliché selon lequel les riches sont des ignorants égoïstes et les pauvres des gens spirituels et généreux“. N’empêche que le traitement du film laisse apparaître une claire et nette critique de l’exploitation de l’Homme sous toutes ses formes, salariale, sexuelle... Il déshabille les ultras-riches et les montre sous leurs véritables identités comportementales, sous leur apparence réelle, sans fioritures. C’est une comédie satirique. On peut en rire aux larmes, certes, mais c’est un comique basé sur le ridicule des personnages et des situations, du pathétisme et des contradictions.

FILMOGRAPHIE (LM)

« The Guitar Mongoloid » (2005) ; « Play » (2011) ; « Snow Therapy » (2014) ; « The Square » (2017) ; « Sans filtre » (2022).

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