Cinéma, mon amour de Driss Chouika - ''TILAI'' ENTRE FATALITÉ ET LIBERTÉ

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Dans un cadre naturel dépouillé, dénudé et épuré à l'extrême, le réalisateur renvoie délibérément le spectateur à l’origine de son humanité. Les décors sont désertiques, rudimentaires, sans ornements ni fioritures. Les lumières et les couleurs reflètent celles des tout premiers débuts de l’humanité

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Cinéma, mon amour !'' de Driss Chouika - LE CINÉMA UNDERGROUND : QUAND  L'AMÉRIQUE FAISAIT SON CINÉMA EXPÉRIMENTAL

« Je n’y avais pas pensé, mais c’est une tragédie grecque ! ». Idrissa Ouedraogo.

Après ses études de cinéma, au Burkina Faso comme Europe, Idrissa Ouedraogo est vite devenu, à coté du vétéran Gaston Kaboré, l’une des figures de proue du cinéma africain à son apogée. Avec son 3ème long métrage, « Tilaï » (1990), Grand Prix au Festival de Cannes de 1990, Prix du meilleur long métrage au 1er Festival du Cinéma Africain de Milan puis Grand Prix du FESPACO (Étalon de Yennenga) en 1991, en plus de plusieurs autres récompenses dans d’autres festivals internationaux, il a été définitivement consacré dans sa position de l’un des nouveaux ambassadeurs du cinéma africain.

Ce film atypique dans l’histoire du cinéma africain, par sa thématique, son esthétique et sa technique, représente bien un élan important dans l’effort de développement de ce cinéma. Illuminé par une lumière magnifique, mettant en valeur des paysages dénudés mais d’une grande beauté, ce film traite de l’éternelle histoire d’amour contrarié ou impossible dans un milieu social tiers-mondiste traditionnel. Mais ce traitement d’une simplicité manifeste est profondément ancré dans la plus pure tradition de l’universalité des sentiments humains, toutes conditions sociales ou historiques confondues.

L’histoire du film est bien simple : Après deux années d'absence, Saga revient dans son village. Sa bien-aimée, Nogma, a été contrainte de devenir la deuxième femme de son père. Ils s'aiment toujours, se rencontrent et font l'amour. Pour le village, c'est un inceste et Saga doit mourir. Kougri, son frère, est désigné par la communauté du village pour le tuer. Il s'y refuse et laisse s'enfuir Saga. Seules sa mère et Nogma connaissent la vérité. Nogma le rejoint. Ils vivent heureux jusqu'au jour où Saga apprend que sa mère est mourante. Il décide de revenir au village quitte à mettre sa vie en danger...

DÉPOUILLEMENT ET DÉNUDEMENT

Dans ce film, Idrissa Ouedraogo semble à la recherche de la vérité de son appartenance humaine à une société traditionnelle qui continue à étouffer toute liberté individuelle au nom du respect de traditions ancestrales éculées et étouffantes. Cette réflexion sur les traditions coutumières tribales est intelligemment traitée dans un esprit universel dans le cadre que permettent la technique et l’esthétique cinématographiques. Ainsi, dans un cadre naturel dépouillé, dénudé et épuré à l'extrême, le réalisateur renvoie délibérément le spectateur à l’origine de son humanité. Les décors sont désertiques, rudimentaires, sans ornements ni fioritures. Les lumières et les couleurs reflètent celles des tout premiers débuts de l’humanité, à tel point de reproduire une ambiance bien proche de “la guerre du feu“. Ce qui contribue à ménager une présence de premier plan à l’expression des sentiments d’amour dans leur plus profonde humanité, en dehors de tout parti pris idéologique, religieux ou socioculturel.

A la sortie du film, beaucoup de critiques ont avancé que l’histoire du film est une transposition de la tragédie grecque de l’inceste dans un milieu tribal africain. « Je n’y avais pas pensé, mais c’est une tragédie grecque ! » dira Idrissa. Personnellement, comme lui, je ne crois pas trop à une telle interprétation. Certes, la tragédie est bien là. Mais, elle n’est ni grecque ni romaine. Elle est simplement humaine. Et pour comprendre la situation et le devenir de l’Homme Africain, il faut la voir dans sa réalité pure, telle qu’elle est. Voilà ce que semble avoir voulu dire le réalisateur. Autrement, on ne peut reprocher aux peuples africains leur état tribal archaïque sans leur laisser le droit d’avoir une liberté d’expression et de construction d’une vie sociale moderne, ouverte, libre et démocratique.

ENTRE FATALITÉ ET LIBERTÉ

Il est bien reconnu que l’original, traité dans certaines conditions respectueuses des règles de l’art, s’ouvre nécessairement sur l’universel. En tout cas, Idrissa ne semble pas interroger des données culturelles universelles pour expliquer une réalité africaine. Il a essayé plutôt d’apporter un nouveau regard, bien novateur, qui interroge les rapports de l’africain à ses traditions. Et il ne s’agit nullement de la traditionnelle opposition du mal et du bien, mais bien d’une critique des anciennes coutumes et des valeurs qui les soutiennent, empêchant l’éclosion de nouvelles valeurs sociales en concordance avec celles du monde moderne, avec toutes ses aspirations à une vie humaine libre et digne.

C’est un cri existentialiste contre tout ce qui est coutumier, immuable, oppressant, dans les traditions tribales, quelles qu’elles soient. C’est une sorte d’appel à l’homme africain, lui insinuant que son seul salut réside dans le dépassement de la fatalité et la prise en charge de son propre destin, de sa liberté. Et si l’histoire semble dénoter une tragédie grecque, cela n’a pas empêché le réalisateur d’en tirer un conte épuré, dépouillé et foncièrement humain. C’est un cri contre le sentiment de fatalité qui ronge la mentalité africaine et tiers-mondiste en général.

En tout cas, c’est un film à voir pour ses grandes qualités thématiques, esthétiques et techniques bien respectueuses des règles de l’art cinématographique. 

FILMOGRAPHIE DE IDRISSA OUEDRAOGO (LM)

« Le choix » (1987) ; « Yaaba » (1989) ; « Tilaï » (1990) ; « Karim and Sala » (1991) ; « Samba Traoré » (1993) ; « Le cri du coeur » (1994) ; « Kini nd Adams » (1997) ; « La colère des dieux » (2003) ; « Kato Kato » (2006).

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