De ''la banalité du mal'' à la banalisation du mal… Par Samir Belahsen

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Le génocide ? Des crimes banalisés, un « isme » ethnique ou religieux, une diabolisation des victimes, une banalisation du crime, une caution morale tout à fait immorale. Sur cette photos deux enfants palestiniens sur une civière à l'hôpital Al-Aqsa après le bombardement israélien de Deir el-Balah, dans le centre de la bande de Gaza, le 15 novembre 2023, dans. (Photo Bashar TALEB / AFP)

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La « banalité du mal » est un concept développé par Hannah Arendt en 1963, dans son ouvrage Eichmann à Jérusalem : Rapport sur la banalité du mal. 

Lors du procès d’Adolf Eichmann, qu’on prenait pour une bête furieuse et qui devrait laisser une forte impression, Hannah découvre un petit fonctionnaire médiocre, « insignifiant », ce qui lui fait dire que le mal ne réside pas dans l’extraordinaire mais dans les petites choses, une quotidienneté à commettre les crimes les plus graves.

D'importantes polémiques ont suivi la publication de cet ouvrage, Hannah Arendt a dû s’expliquer. 

Pour elle, Adolf Eichmann a abandonné son « pouvoir de penser » pour n'obéir qu'aux ordres, il a renié cette « qualité humaine caractéristique » qui consiste à distinguer le bien du mal, et, en n'ayant « aucun motif, aucune conviction personnelle », aucune « intention morale », il est devenu incapable de former des jugements moraux. 

Banaliser des crimes macabres au quotidien, ça fabrique un génocide.

 Les génocides ont poussé beaucoup de philosophes et psychologues à réfléchir sur le mal. Dans la littérature, de nombreux écrivains ont abordé ce thème. Le plus souvent, il s’agit de témoignage des horreurs vécus. 

La nature de cette production post -génocides : « Écrire par devoir de mémoire » pose la question de la démarcation entre le  témoignage pur et  l’engagement militant. 

Il faut ajouter que dans une situation de post-génocide, dès qu’un auteur met de la nuance, de la tonalité ou du doute, il serait accusé de trahison ou de négationnisme. 

Quelques exemples :

1-"Les Voix oubliées" de Milton Hatoum : Ce roman se déroule au Brésil et traite du génocide des Amérindiens d'Amazonie par les colons européens. Il explore les conséquences exterminatrices de la colonisation sur les populations autochtones. Déjà, les Conquistadors traitaient les autochtones de barbares et de sauvages. Il évoque la relégation du passé aux oubliettes.

2-"La Nuit" d'Elie Wiesel : Ce livre raconte l'expérience personnelle de l'auteur, un survivant de l'Holocauste, et dépeint sa lutte pour la survie dans les camps de concentration nazis.

   3-"Les Bienveillantes" de Jonathan Littell : l’histoire se déroule pendant la Seconde Guerre mondiale et est racontée du point de vue d'un officier SS, Max Aue. Il explore les atrocités commises par les nazis et aborde la question de la culpabilité.

4. "Shake Hands with the Devil: The Failure of Humanity in Rwanda" de Roméo Dallaire: Ce livre est un récit personnel de l'expérience de Dallaire en tant que commandant des forces de maintien de la paix de l'ONU lors du génocide rwandais. Il expose les défaillances du système international face à cette tragédie.

5. "Le Livre des martyrs rwandais" de François-Xavier Nziyonsenga :  Ce survivant du génocide rwandais (1994) donne un aperçu des atrocités commises pendant cette tragédie, évoquant les souffrances et les pertes subies par les victimes avec la complicité de la France reconnue bien plus tard.

(Une commission française d’historiens mise en place par le chef d’Etat français Emmanuel Macron, a conclu en 2021 à des responsabilités lourdes du pouvoir français.)

Là aussi on retrouve le lexique des génocides : barbares, sauvages, animaux…

6. "Dans la mer étaient des crocodiles" de Fabio Geda : Ce merveilleux roman raconte l'histoire vraie de Enaiatollah Akbari, un jeune Afghan qui fuit son pays en guerre pour échapper au génocide et à la persécution des Hazaras. Il sait qu’il est condamné car il est né hazara. Cette minorité Afghane est persécutée aussi bien par Pachtounes que par les Talibans. Il relate son parcours migratoire de cinq ans à travers différents pays.

Ces livres offrent des perspectives variées sur les génocides qui ont eu lieu dans différentes régions du monde en donnant une voix aux victimes et en examinant les conséquences sociales, politiques et émotionnelles de ces génocides. On peut remarquer que le processus de pourrissement est souvent semblable. Un cocktail d’intérêts, des crimes banalisés, un « isme » ethnique ou religieux, une diabolisation des victimes, une banalisation du crime, une caution morale tout à fait immorale…Et, plus on est fou plus on tue…

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