Détruit de son vivant, on profane sa sépulture

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Est-il quelque part écrit que Yambo Ouologuemn, porté aux nues, voué aux gémonies, ne connaitra pas le repos

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‘’Mohamed M’Bougar Sarr, prix Goncourt 2021 dans l’émission « La Grande Librairie » où on l’interrogeait sur l’accusation de plagiat dont fut l’objet Yambo Ouologuem eut cette parole concluante : « il fut un plagiaire plus doué que ceux qu’il aurait plagié ». Le lecteur de l’époque découvrait, comme le dit Eugène Ebodé, « une pépite d’or littéraire ».’’ C’est en ces termes que commençait le Secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume la troisième et avant dernière chronique dans Quid.ma sur Yambo Ouologuem (Cf. les liens avec les chroniques). C’est, par la dédicace de son ouvrage à Yambo Ouologuem, le Goncourt 2021 qui a mis Abdejlil Lahjomri sur la piste de cet écrivain malien porté aux nues, puis voué aux gémonies. Dans la même chronique A. Lahjomri précise que cet auteur, accusé outrageusement de plagiat « n’emprunta rien. » Mais toute à sa myopie incurable, la critique occidentale contraignit « Yambo Ouologuem à l’exil. » Plus loin il ajoute que « Le portrait d’Elimane [principal personnage de La plus secrète mémoire des hommes de M’Bougar Sarr] dans le village de son enfance - qui rappellerait Yambo Ouologuem dans son exil - à la fin du Goncourt se présente ainsi : « C’était une tête bien pleine. Son savoir, sa connaissance du monde, son expérience, du visible et de l’invisible, ses dons l’ont élevé au rang d’autorité spirituelle […] Le matin, il faisait des consultations mystiques dans sa chambre, sa réputation, après quelques miracles dans le village (principalement de guérisons) s’était vite établie, puis répandue […] Personne ne connaissait son nom musulman, Elimane. Il a toujours été Madag, pas Elimane ».

Cette image réhabilitant un talent africain, auquel l’Académie du Royaume du Maroc, a dédié sa session consacrée à la création de la Chaire des Littératures et des Arts africains (16 et 17 mai 2021), n’a pas été du goût de tout le monde et certains après avoir détruit sa vie, cherchent à profaner sa sépulture. Et c’est l’AFP qui s’en est chargée, nous décrivant un père, intégriste et extrémiste, qui embarquait ‘son fils sur sa moto pour mener des descentes dans les débits de boissons [...] Il cassait les bouteilles en disant aux gens qu'ils étaient de mauvais musulmans […]". Voici ce texte de l’AFP où Ouologuem "Yambo" « fait régulièrement irruption sur le terrain de foot à côté de chez lui pour interrompre les parties de ce sport de blancs. »

Sur les traces de Ouologuem, auteur disgracié et personnage de roman

Yambo Ouologuem repose au bout d'un terrain à l'abandon, oublié de tous sauf des siens jusqu'à ce qu'un prix littéraire ne rappelle le destin entre France et Mali de celui qui fut un grand nom de la littérature.

Pour se recueillir sur la tombe de l'homme dont la disgrâce a inspiré au Sénégalais Mohamed Mbougar Sarr "la Plus secrète mémoire des hommes", prix Goncourt 2021, il faut se rendre à Sévaré, dans cette région du Mali meurtrie par la violence.

Il y a vécu jusqu'à sa mort en 2017 et son plus jeune fils, Ambibé, prépare le thé devant la maison familiale en parpaings.

Ambibé mène le visiteur au fond de la parcelle. A voir les mauvaises herbes à travers lesquelles on se fraye un chemin, la sépulture n'a pas reçu d'amirateur depuis longtemps.

Le nom de Ouologuem ne disait plus grand-chose à personne au Mali ou en France, sinon à quelques connaisseurs, jusqu'à la consécration de "la Plus secrète mémoire".

Bien avant Mbougar Sarr, il avait été en 1968 le premier Africain à remporter une autre prestigieuse distinction française, le Renaudot. C'était dans sa première vie en France, de la gloire à la chute, avant la seconde, ascétique et pieuse, après le retour au Mali.

Son fils Ambibé raconte, intarissable, les dernières années. Ce père remonté contre l'Occident qui allait manifester seul devant le camp de la mission de paix de l'ONU nouvellement déployée. Ce père devenu très observant qui l'embarquait à moto mener des descentes dans les débits de boissons. "Il cassait les bouteilles en disant aux gens qu'ils étaient de mauvais musulmans, puis on repartait". Ambibé en rit, fier d'un père "droit dans ses idées".

Sur une petite chaise dans sa cour, El Hadj Amadou Yebedié, l'imam de la mosquée du coin, se rappelle que Ouologuem "voulait tout connaître de l'islam". "Il lisait énormément. Surtout, il fuyait tout ce qui avait trait aux blancs".

Opprobre intellectuel 

Ouologuem est rentré de France "traumatisé" par le scandale et les accusations de plagiat, dit sa famille.

Né en 1940 au Soudan français (actuel Mali) alors sous domination coloniale, ce fils brillant d'un inspecteur d'académie était parti étudier à Paris à 20 ans.

Enseignant en lycée, il a 28 ans, en 1968, huit ans après l'indépendance, quand il publie au Seuil "le Devoir de violence". Cette critique acerbe de la violence en Afrique de l'ouest sous les empires pré-coloniaux s'adjuge le Renaudot. Les critiques l'acclament.

Mais l'histoire tourne au vinaigre.

En pleine glorification post-coloniale de l'Afrique par les intellectuels du continent, les maîtres de la négritude foudroient le roman. Le Sénégalais Léopold Sédar Senghor accuse Ouologuem de "nier ses ancêtres" pour "plaire aux blancs".

En retour, Ouologuem dénonce la "comédie du nègre braillard et intouchable".

Les années suivantes, le livre est pris dans la tourmente, taxé d'usurpation aux dépens de contemporains comme Graham Greene. Ouologuem se défend en se réclamant d'un concept intégrant emprunts ou hommages. Mais on lui retire le Renaudot et ses livres disparaissent des rayons.

Il continue à écrire mais sombre dans le silence. Il finit par rentrer à la fin des années 1970.

Il entame une nouvelle vie à rebours de l'ancienne et embrasse l'islam.

Costume cintré et cigarette laissent place au boubou traditionnel. Il ne veut plus entendre parler de littérature et interdit à ses proches de lire.

"Titre majeur" 

"Yambo" fait régulièrement irruption sur le terrain de foot à côté de chez lui pour interrompre les parties de ce sport de blancs.

"C'était un vieux fou", tranchent des anciens du quartier, réticents à en dire plus sur une famille à laquelle la rumeur prête beaucoup de terrains et d'entregent dans le voisinage.

Ambibé, qui gère une petite entreprise de fret, n'apprendra qu'à 12 ans quelle vie avait eue son père. "Il ne racontait rien, je ne pouvais pas croire qu'il fumait des cigarettes quand j'ai vu les photos".

Nulle trace de ses livres à Sévaré, où les gamins qui envahissent les rues ensablées quand le soleil tombe préfèrent TikTok aux pages des vieux bouquins. Le prix littéraire malien à son nom a été rebaptisé il y a quelques années.

Seuil, avec lequel Ouologuem s'était brouillé, a sorti en 2018 une édition du cinquantenaire du "Devoir de violence". "On s’accorde aujourd’hui pour reconnaître dans Le Devoir de violence un montage vertigineux de réécritures de textes venus d’horizons culturels multiples (...) pour en former une œuvre littéraire autonome qui se détache brillamment de ses sources", y dit la note de l'éditeur.

L'œuvre "s'inscrit parmi les titres majeurs de la littérature", assure l'éditeur.

Le Goncourt a suscité en France un regain d'intérêt pour Ouologuem, estime la maison d'édition. Mais la réédition du "Devoir de la violence" ne s'est guère vendue qu'à 4.000 exemplaires.

Ouologuem a deux enfants en France d'un premier mariage et trois au Mali. Ils bataillent pour la succession. Il y aurait aussi des manuscrits inédits que "Yambo" aurait écrits à Sévaré à l'insu de tous, laisse entendre son fils.

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