En Ethiopie, des copistes perpétuent la tradition des manuscrits religieux sur parchemin

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Yeshiemebet Sisay, 29 ans, membre de l'initiative Hamere Berhan et responsable des relations publiques, regarde un livre d'écritures en langue Ge'ez écrit sur un parchemin en peau de chèvre à Addis-Abeba, en Éthiopie, le 17 mai 2023. À l'institut Hamere Berhan d'Addis-Abeba, des prêtres et des fidèles laïcs travaillent à la main pour reproduire des manuscrits religieux et des œuvres d'art sacrées parfois vieux de plusieurs siècles. (Photo par Amanuel Sileshi / AFP)

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D'un geste sûr, avec un stylet de bambou encré, Zelalem Mola recopie sur un parchemin un livre religieux. Ce travail long et fastidieux, explique ce prêtre orthodoxe éthiopien, préserve une tradition et des écrits anciens, tout en le rapprochant de Dieu.

A l'institut Hamere Berhan à Addis Abeba, religieux et croyants laïcs s'appliquent à retranscrire à l'identique et à la main, sur des peaux de chèvre, ouvrages liturgiques et peintures sacrées anciennes. Parchemins, stylets et encres sont préparés sur place.

"Nous avons commencé il y a quatre ans", explique Yeshiemebet Sisay, 29 ans, chargée de communication de cette association: "Ce qui nous a motivés, c'est que les manuscrits anciens sur parchemin disparaissent de notre tradition".

Ces ouvrages, dont certains ont plusieurs siècles, sont conservés essentiellement dans les monastères, où les chants liturgiques et prières sont exclusivement dirigés à partir de ces manuscrits sur parchemin et "non d'ouvrages sur papier", poursuit-elle.

Dans la cour de l'institut, dans le quartier de Piasa, centre historique de la capitale éthiopienne, des peaux de chèvres tendues sur des cadres de métal sèchent sous un soleil qui perce difficilement un ciel laiteux.

"Les peaux de chèvre ont été immergées dans l'eau pendant trois à quatre jours", explique Tinsaye Chere Ayele, 20 ans. "Puis on a retiré la couche de graisse à l'intérieur et nettoyé" la peau, poursuit le jeune homme qui s'active, armé d'un racloir artisanal, à cette tâche ingrate avec des deux autres jeunes, apparemment peu gênés par l'odeur écœurante.

"Travail difficile"

Une fois propres et sèches, les peaux sont débarrassées de leurs poils puis découpées à la taille voulue : pages d'un livre ou support d'une peinture.

Selon Yeshiemebet Sisay, la plupart des manuscrits - certains de taille imposante - sont commandés par des particuliers qui les offrent à des églises ou des monastères.

Certains clients commandent pour eux-mêmes de petits recueils de prières ou des peintures, "reproductions d'œuvres éthiopiennes anciennes", explique-t-elle.

Fabriquer "les petits livres peut prendre un ou deux mois si le travail est collectif, les grands livres peuvent prendre un à deux ans. Si c'est une tâche individuelle, cela peut prendre encore plus de temps", souligne-t-elle, montrant des livres aux couvertures de cuir travaillé, aux textes ornés d'enluminures de couleurs vives et accompagnés d'images religieuses.

Assis dans une pièce, les pages de parchemin simplement posées sur ses genoux, sans table ni pupitre, le prêtre Zelalem Mola recopie patiemment un livre intitulé "Zena Selassie" ("Histoire de la Trinité").

Cela "va prendre beaucoup de temps. C'est un travail difficile, à commencer par la préparation du parchemin et des encres. Celui-là pourrait prendre jusqu'à six mois pour être terminé", estime-t-il.

"Nous fabriquons un stylet à partir de bambou, en aiguisant la pointe avec une lame de rasoir", montre-t-il: "On utilise un stylet différent pour chaque couleur", rouge ou noir, "des stylets à pointe fine et des stylets à pointe large selon l'épaisseur souhaitée des caractères" et "nous fabriquons les encres à partir de différentes plantes".

"Esprit de Dieu" 

Comme la plupart des autres ouvrages religieux, "Zena Selassie" est écrit en guèze.

Cette langue morte est restée la langue liturgique de l'Eglise orthodoxe en Ethiopie et son système d'écriture alphasyllabique - où les caractères représentent des syllabes - reste employé pour écrire l'amharique, langue nationale éthiopienne, et le tigrinya, parlé au Tigré (nord de l'Ethiopie) et en Erythrée.

"Nous copions du papier vers le parchemin pour préserver" les écrits, car "le livre en papier peut être facilement endommagé, alors que celui-ci durera longtemps si nous le protégeons de l'eau et du feu", poursuit le prêtre. Les caractères sont aussi plus grands, "ce qui peut aider les moines dans les monastères".

Ce travail "nécessite patience et concentration", souligne-t-il: "C'est difficile pour quelqu'un de calligraphier un livre jusqu'au bout, simplement d'être assis toute la journée".

"Mais grâce à notre dévotion, une lumière brille en nous" et "cela demande tant d'efforts que cela nous valorise aux yeux de Dieu".

Cette dimension spirituelle guide aussi Lidetu Tasew, 26 ans, responsable de l'éducation et la formation à l'institut, où il enseigne peinture et enluminures, auxquelles s'exercent avec application des étudiants concentrés.

Pour lui, élevé dans une église et baigné de traditions, "passer du temps ici à peindre des saints, c'est comme parler aux saints et à Dieu". "On nous a enseigné que là où l'on peint des saints est présent l'esprit de Dieu". (AFP

 

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