Faites l’amour, pas la guerre – Par Mohamed Chraibi

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Dans la Grèce antique brandissent la grève du sexe pour empêcher les hommes de faire la guerre

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Ce que le 7 octobre a changé – Par Mohamed Chraïbi

La réaction de la direction de rédaction du journal à la première version de cette chronique m’incite à préciser le fil conducteur de mon texte, qui peut sembler avoir été rompu entre les deux parties de mon texte relatives à deux articles parues dans Haaretz à une dizaine de jours d'intervalle. Ce fil est la prise de pouvoir par les femmes en exploitant le point faible des hommes depuis que "Dieu créa la femme" Dans le premier article les filles détournent les soldats de Tsahal de la guerre en s’offrant à eux et les femmes,  dans la Grèce antique brandissent la grève du sexe dans le même but. Dans le premier cas le sexe est la gratification du guerrier et dans le second, l'abstinence forcée est la punition du guerrier qui rejette la paix. Même image mais inversée comme dans un miroir. Dans les deux cas, les femmes s'emparent du pouvoir suprême : celui de décider   de la guerre et de la paix. Dans la seconde partie de mon texte, j’apporte le fait que la guerre de libération de la Palestine appelée à être longue et difficile renforcera la place des femmes dans l’armée d'Israël. C'est à dire leur transférera plus de pouvoir, voire LE pouvoir. La citation du Decameron à fin de cette chronique vise à souligner la continuité de la question du pouvoir féminin à travers les âges et les sociétés. 

Haaretz a publié aujourd'hui (25/3/24) un article sur un aspect inédit de la guerre à Gaza dont je crois utile de partager quelques extraits avec les lecteurs de Quid. Celui-ci porte le titre : « Nous ne sommes pas seulement là pour b..ser le Hamas »  et en sous titre/résumé  : « Pourquoi les soldats israéliens publient-ils des photos d’eux-mêmes dans des maisons de Gaza ou avec des détenus palestiniens sur leurs profils de rencontres ?  Au-delà de « l'effet uniforme » qui a fait des pompiers américains des héros après le 11 septembre, certains experts affirment que le militarisme violent observé sur les applications de rencontres conduit à des tendances inquiétantes dans la société israélienne – en ligne et hors ligne ».

Et dans dans le corps du texte on lit : « Les utilisateurs israéliens d’applications de rencontres âgés de 22 à 40 ans que nous avons interviewés affirment que les uniformes et les armes de l’armée sont un accessoire très prisé sur les profils de rencontres, et de nombreuses biographies font directement référence à la guerre en cours.  "J'ai l'impression que les filles se jettent sur moi depuis que j'ai commencé mon service de réserve", déclare Shai, un réserviste de 25 ans.. J'ai l'impression qu'une photo dans mon uniforme, c'est comme être à côté d'une Ferrari……J'ai fini par mentir à mes commandants en me faisant porter malade et j'ai loué un appartement avec une fille et nous serions restés plus longtemps ….De son côté, la fille nous a déclaré : "C'était dur, émotionnellement, d'avoir des relations sexuelles pendant la guerre… mais le fait d'avoir rencontré un réserviste me rassure, c'est une sorte d'honneur d'être la fille avec qui il a couché avant de retourner à Gaza.

Il y aurait là lieu à palabres entre psychanalystes et autres experts de la libido humaine dont je ne suis pas. Pour ma part, je me réjouis de cette information en me disant qu'en batifolant dans des Airbnb de Tel Aviv, les vaillants soldats de Tsahal épargnent peut être quelques vies a Gaza. Et je souhaite que cette pratique, pour coupable qu'elle puisse paraître à certains de mes compatriotes, occupe le plus grand nombre de combattants israéliens frustrés de ne pouvoir satisfaire leurs fantasmes libidineux sur le champ de bataille.

Pour revenir à des considérations plus sérieuses, je dirai que, sortie de son contexte socio-politique,  l'information rapportée par Haaretz n'est que l’histoire, somme toute, banale de troufions en goguette.  Mais qu'elle prend une toute autre dimension quand on la remet dans ce contexte; celui de deux sociétés engagées  dans une guerre éternelle qui ne prendra fin qu'avec la destruction de l'une ou de l'autre,  sinon par le feu et par le sang, par l'exil dont les deux ont une longue expérience. D'un côté, la société licencieuse israélienne que révèle l'article de Haaretz et de l'autre la société fortement conservatrice palestinienne où les relations extra conjugales restent prohibées, les mariages souvent arrangés et la virginité des filles un prérequis comme le raconte Nathan Thrall  dans son livre « un jour dans la vie de Abed Salama » auquel j'ai fait ici une brève allusion il y a quelques semaines (voir : la technologie…et moi). Ce qui ajoute, s'il en était besoin, à l’idéalisme de la solution de l’état binational (Israéliens et Palestiniens vivant en harmonie au sein d'un même Etat) comme alternative à la solution des deux états.  

Les femmes au secours d'Israël .

L'article de Haaretz sur la guerre et l’amour me remet en mémoire un autre article du même journal publié le 15 mars dernier sous le titre : « La guerre à Gaza pourrait changer la donne pour les femmes israéliennes au combat » résumé comme suit : «Après le 7 octobre, les rangs de combat de Tsahal se sont éclaircis.  Alors que l'attention est concentrée sur la controverse autour de l'enrôlement des ultra-orthodoxes, l'armée néglige une source de recrues avérée et avide : les femmes »

Il est utile d’ouvrir une parenthèse ici sur les Harédi (sionistes ultra religieux) qui constituent près du quart des  juifs israéliens et sont dispensés du service militaire pour se consacrer à l’étude de la Torah. Ils vivent aux frais de l’état qui finance également leur système d’éducation exclusivement dédié à l’étude des textes religieux. Une loi autorisant la conscription des Harédi  doit être soumise au vote de la Knesset (ou la mouvance Harédi est représentée par 16 députés) prochainement. Son passage risque de faire chuter le gouvernement où siègent 8 ministres et secrétaires d’Etat  apparentés à cette mouvance. De plus, récemment, le grand Rabbin ultra orthodoxe Isaac Yosef a déclaré que sa communauté (les haredi) reprendrait le chemin de l'exil si la loi mettant fin à l'exemption de service militaire était votée. Fin de parenthèse et retour au second article de Haaretz qui dit : «  quelque 40 000 femmes réservistes ont participé à la guerre terrestre à Gaza.  Il s'agit d'un nombre record, soit 18 fois que lors de la guerre du Liban en 2006, (2 210 femmes mobilisées). L’attaque du 7 octobre par le Hamas a donné lieu à une situation sans précédent où les femmes ont été engagées dans des batailles longues et complexes contre les terroristes, après être entrées à Gaza pour la première fois dans le cadre d'une invasion terrestre, dans des rôles de combat, de communications, médicaux, logistiques, technologiques et de ressources humaines, entre autres ».  Haaretz renchérit en soulignant «  la situation désastreuse de l'armée : des centaines de soldats tués et des milliers blessés et non disponibles pour le combat ;  et la nature prolongée des combats dans la bande de Gaza, combinée à la prise de conscience que même après leur fin, Israël pourrait encore être confronté à de longues périodes de combat dans divers secteurs, peut-être même au Liban.  Parallèlement, il est devenu clair que l'idée de défendre les frontières du pays par des moyens technologiques a échoué et que l'armée aura probablement besoin de nombreuses troupes sur le terrain pour cette tâche » et plus loin : « Les solutions envisagées – ​​réduire la durée des programmes d'années sabbatiques avant l'armée ainsi que des périodes de formation, prolonger le service de conscription, relever l'âge d'exemption des réservistes et recruter des volontaires plus âgés pour les réserves – ont suscité beaucoup de colère dans l'opinion publique, car  ces mesures ne feront qu’alourdir le fardeau de ceux qui le supportent déjà. »

Bref, seul le recrutement massif de femmes pourrait aider à faire face à une situation autrement désespérée. L’armée d’Israël issue d’une organisation terroriste (La Haganah) d'où les femmes était exclues s'achemine vers une configuration, unique dans l'histoire humaine si on exclut  les mythiques Amazones de l’antiquité grecque. Et tant que nous sommes dans la fiction, je ne puis m’empêcher de citer (à mon corps défendant, ayant soin de ne point paraître faussement érudit) le passage suivant du Decameron :

« Assurément, les hommes sont les chefs des femmes, et s'ils n'y mettent bon ordre par eux-mêmes nos entreprises ont peu de chances de connaître une fin louable ; mais comment voulez-vous que nous trouvions ces hommes ? Chacune de nous sait bien que la majeure partie des siens sont morts, et que ceux qui sont encore en vie, regroupés çà et là, sans que nous sachions où, en plusieurs compagnies, s'en vont fuyant ce que nous cherchons nous aussi à fuir ; prendre des étrangers ne serait pas convenable. De ce fait, si nous avons souci de notre salut, il nous convient de nous arranger et de prendre nos dispositions pour ne pas voir, alors que nous partons pour notre agrément et notre repos, l'ennui s'ensuivre ou la discorde. »

— Boccace, Le Décaméron, Première journée[4].

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