L’art africain entame son émancipation de l’étiquette ethnographique – Par Badr Sellak

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Les œuvres d’art contemporain africain étaient toujours labellisées comme objets ethnographiques ou arts traditionnels, faisant partie du patrimoine plus que de l’art plastique. Une étiquette dont elles commencent à se défaire

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À en croire la thématique récurrente de sa 14ème édition, la biennale de Dakar, ou Dak’Art, tenue entre le 19 mai et le 23 juin, se projette dans une nouvelle vision ; cherchant à réunir les différents artistes africains, à créer une nouvelle représentation artistique du continent, et à réinventer sa place dans le marché de l’art.

Intitulée au titre juste i Ndaffa (un terme en langue sérère qui signifie Forger), cette édition tente de redéfinir la place de l'art contemporain africain dans la scène artistique mondiale, et de transformer la création africaine en un faisceau d'innovations. Comme l'indique un communiqué de la biennale, "ce thème général renvoie à l’acte fondateur de la création africaine, lequel nourrit la diversité des créativités contemporaines africaines, tout en projetant de nouvelles manières de raconter et d’appréhender l’Afrique. Il dénote la dynamique et l’action de créer, de recréer et de malaxer".

L’une des plus grandes expositions de la biennale, une Carte Blanche, est dédiée à l’œuvre de Soly Cissé, peintre et sculpteur Sénégalais, dont l’œuvre est une fusion syncrétique de l'expressionnisme et les idiosyncrasies de Basquiat, sous une texture vive, ressemblant à des reliefs. Soly Cissé est désormais une figure emblématique de la scène africaine. Natif de Dakar, il fait figure d’un prodige, et l’un des rares artistes émergents de l’Afrique à avoir une présence plus en vue de la scène artistique internationale. 

SOLY CISSE – La Galerie 38

Artiste aux talents protéiformes et aux références picturales d’univers éloignés, Soly Cissé s’illustre principalement dans la production de peintures acryliques.

Cette récente distinction est preuve d’une reconnaissance d’un artiste phare de l’art africain. En phase avec les objectifs de la dernière édition du Dak’art, l’art africain fait désormais l’honneur de plusieurs manifestations artistiques régionales à rayonnement mondial. Afirika Artfest, tenu du 19 mai au 21 Juin, met à l’affiche des artistes africains moins connus, à vocation digitale. En parallèle, la dernière édition de la foire 1-54, organisée à Marrakech, tente de fournir un véritable carrefour de la scène africaine.

Cette scène, dont les œuvres commencent à peine de s’en sortir de l’étiquette d’objets ethnographiques, voit désormais la genèse de son apogée. L’élan artistique de cette dernière période éprouve un intérêt croissant pour les œuvres africaines d’art contemporain auprès des collectionneurs, tant les galeries que les curateurs. L’art contemporain africain est certainement plus convoité dans le marché de l’art. Cet essor révèle une sorte de découverte d’un paradigme artistique, plongé dans l’isolation depuis longtemps. Au début des années 1980, les œuvres d’art contemporain africain étaient toujours labellisées comme objets ethnographiques ou arts traditionnels, faisant partie du patrimoine plus que de l’art plastique. Le récent engouement pour l’art contemporain africain vient à transformer la position du continent sur la scène artistique internationale ; en quête d’une nouvelle identité.

De nos jours, on assiste à l’émergence d’une nouvelle génération d’artistes africains, à l’exemple de Kwesi Botchway, Adennele Sonariwo et Tonia Nneji. Ces artistes, représentés pour la plupart par des galeries africaines, sont au premier plan d’une transformation de l’art africain, en phase avec son récent regain de souffle. Comme décrit dans un article de The Art Newspaper, ces artistes « résistent aux attentes selon lesquelles ils doivent être politiques ou didactiques, et se concentrent plutôt sur la portraiture et les scènes de la vie africaine ».

Si l’art contemporain africain parvient désormais à faire son marché, il reste par contre plusieurs lacunes structurelles qui freinent sa croissance. À l’instar de Sotheby’s, Christie’s et Artcurial, plusieurs maisons de ventes aux enchères, musées et grandes galeries internationales ont récemment créé leurs propres départements et collections dédiés aux œuvres artistiques du continent, ou comme dans le langage artistique, les artistes extra-occidentaux. Ces grandes institutions sont désormais les mieux placées vis-à-vis de l’émergente scène africaine, favorisant une représentation plus active des artistes africains par des grandes galeries internationales.

In Conversation With Kwesi Botchway | The Ghanaian artist spoke to us about  his hit solo show in Accra and his submission to Drawn Together | Unit  London

On assiste à l’émergence d’une nouvelle génération d’artistes africains, à l’exemple de Kwesi Botchway (Photo), Adennele Sonariwo ou encore Tonia Nneji.

Même si le continent africain présente désormais un marché artistique en plein croissance et 

à fort potentiel, cet essor est susceptible d’ouvrir la voie pour d’autres lacunes relatives aux niches du marché de l’art. Une représentation plus active des artistes africains par les galeries internationales, est susceptible de générer un intérêt plus important envers cette scène, mais risque aussi de limiter son rayonnement local et régional. Commentant sur la dernière édition d’Art Paris, foire internationale qui s’intéresse désormais aux créations africaines, la chercheuse Flavie Dannonay affirme dans une interview accordée à RFI : « il y avait beaucoup d'artistes originaires du continent africain, mais très peu de galeries basées en Afrique. C'était surtout des galeries françaises ou américaines qui présentaient des artistes africains ».

En dépit d’une puissante présence des galeries internationales, plusieurs jeunes galeries africaines parviennent désormais à pousser leurs pions en dehors du continent, notamment à Paris ; la capitale de l’art contemporain africain. D’autres entre eux, comme la galerie ivoirienne Cécile Fakhoury, la nigérienne Retro Africa ou Addis Fine Art, ont favorisé une présence dans d’autres métropoles qui gagnent une position de plaque tournante. 

Si la présence accrue des galeries internationales est preuve d’un manque de structures locales, l’accès au marché de l’art, que plusieurs artistes africains se sont vus accordés, lui donne un élan particulier. Dans cette intention, la dernière édition de la biennale de Dakar ambitionne une révision des codes distincts et des sensibilités de la scène africaine, qui ne parvient que récemment à s’établir comme véritable source de talents et de grandes œuvres. Elle s’inscrit dans le cadre d’une série de manifestations artistiques, visant à revigorer la scène africaine, à créer un écosystème favorable à sa croissance, et à accompagner ce flux incessant d'artistes et de création qui peut créer un véritable moteur de développement pour ce secteur.

 

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