Amélioration relative des équilibres macroéconomiques, détérioration des équilibres sociaux - Par Abdeslam Seddiki

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Une loi de finances, comme toute mesure de politique publique, doit se construire en mettant sur la table la problématique dans sa complexité en posant en même temps la question économique et la question sociale et environnementale. Retenir uniquement le cadre macroéconomique relève d’une vision néo-libérale économiquement stérile et socialement dangereuse.

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2022, pas que du bonheur - Par Abdeslam Seddiki

Après la publication par le HCP du budget exploratoire pour l’année 2024, c’était au ministre délégué chargé du budget de se présenter devant les deux commissions parlementaires des fiances pour présenter le cadre économique relatif à la préparation du projet de loi de finances pour l’année prochaine. 

De ces deux sorties qui viennent à quelques jours d’intervalle, se dégage la conclusion suivante : la situation macroéconomique de notre pays telle qu’elle ressort des principaux agrégats n’est pas si mauvaise qu’on le pense.

Ce redressement demeure toutefois fragile dans un contexte, marqué par de nombreuses incertitudes et risques tels que : l’accentuation des perturbations du secteur financier, l’augmentation du coût du crédit suite à l’adoption de politiques monétaires restrictives, le ralentissement de la croissance de l’économie mondiale, le maintien de l’inflation à des taux relativement élevés, la poursuite de guerre en Ukraine…

L’économie marocaine n’est pas à l’abri de ces perturbations. Elle en subit de plein fouet les conséquences, notamment au niveau de la contraction de la demande externe, qui viendraient s’ajouter aux contraintes internes comme les conditions climatiques défavorables, une demande interne atone, et un déficit de confiance des agents économiques en particulier des ménages dont le moral est toujours au plus bas.

C’est par rapport à ces données contraignantes qu’il conviendrait de lire les données avancées aussi bien par le HCP que par le ministère des Finances. Ainsi, l’économie marocaine devrait connaître un taux de croissance relativement modeste de 3,4 % dû principalement aux activités primaires (agriculture) et tertiaires (tourisme). Les activités industrielles, à l’exception de l’automobile et dans une moindre mesure des industries agroalimentaires, connaissent des difficultés dues essentiellement à un ralentissement de la demande externe adressée au Maroc et à la persistance des tensions inflationnistes qui renchérissent les coûts de production et obèrent le pouvoir d’achat des consommateurs. 

Par ailleurs, bien que l’inflation dégage une tendance à la baisse, elle demeure située à des niveaux relativement élevés particulièrement pour les produits alimentaires de base. On s’attend, en effet, à boucler l’année avec un taux d’inflation de 5,6 %, soit un point de moins par rapport aux prévisions de Bank Al Maghreb annoncées le 30 juin dernier. 

Au niveau des échanges extérieurs, on notera une augmentation légère du déficit commercial (2 MM DH) nonobstant une légère amélioration du taux de couverture des importations par les exportations passant de 60,9% en 2022 à 61,3% en 2023. Toutefois, les transferts des RME et les recettes-voyages qui enregistrent des niveaux record, contribuent ensemble à couvrir 73,6% du déficit commercial. De ce fait, le déficit du compte courant se situerait à 2,5% en diminution de 1 point par rapport à 2022. Le HCP table sur un déficit beaucoup moins important au terme de l’année 2O23 : il ne devrait pas dépasser 0,8%. Par contre, les flux des investissements directs étranges se sont contractés de près de 12% contre une augmentation conséquente des investissements Marocains à l’étranger. Dans l’ensemble, les réserves de changes du pays permettent de couvrir près de 6 mois d’importations. Ce qui est conforté par la bonne tenue de notre monnaie nationale par rapport aux devises étrangères de référence.   

Par ailleurs, la question de l’endettement demeure sujet à inquiétude. Le ratio de la dette extérieure du trésor devrait grimper à 18,6% du PIB en 2023 au lieu de 15,9% entre 2019 et 2022. La dette globale du trésor devrait, en conséquence se situer à près de 72% du PIB en légère augmentation par rapport à 2022 (71,6% du PIB). Cependant, le poids de la dette intérieure du trésor devrait s’atténuer pour passer de 54,3% à 53,4% du PIB en 2023. Compte tenu du poids de la dette extérieure garantie qui devrait atteindre 13,8% du PIB, le ratio de la dette publique globale devrait afficher un allègement à 85,8% du PIB contre 86,1% du PIB en 2022.

En revanche, l’exécution de la loi de finances à fin juin 2023 affiche des signes positifs par rapport à la même période de l’année précédente. Au niveau des recettes fiscales, à l’exception de la TVA à l’importation, les autres composantes se sont bien comportées, même si les chiffres se prêtent à une double lecture. Pour ce qui est de la réalisation des dépenses, elle s’est déroulée normalement puisque le taux de réalisation des dépenses courantes dépasse de peu 50%. Fait encourageant, le déficit courant est largement positif. Quant au déficit budgétaire, il devrait se situer à 4,5% en légère amélioration par rapport à 2022.

Dans l’ensemble, le gouvernement affiche une satisfaction par rapport à ces résultats qu’il considère de bon augure pour l’avenir. Le chef du gouvernement n’a pas manqué de saisir l’occasion, dans l’une de ses sorties publiques, pour demander aux citoyens que dans quelques mois ou quelques années, ils vont pouvoir récolter les fruits de l’action gouvernementale. Pour l’heure, les citoyens, notamment ceux qui appartiennent aux couches populaires et aux couches moyennes doivent compter avec leurs difficultés quotidiennes. Car, les indicateurs sociaux ne connaissent pas la même dynamique que les agrégats économiques. 

D’ailleurs, il est vain de s’attendre à un changement notable et perceptible dans ce sens en l’absence d’une réelle inflexion des politiques publiques et tant que le social est analysé à la marge. Certes, les équilibres macroéconomiques sont importants, mais ils ne doivent pas se réaliser au détriment des équilibres sociaux qui constituent un paramètre pour mesurer le niveau de vie de la population.

Certes, il faut tout faire pour encourager l’investissement et l’entreprise, personne ne trouvera à redire, mais il faut mesurer l’impact social de ces investissements et leur retombée sur la population en termes de création d’emplois décents, de réduction des inégalités sociales et territoriales, de cohésion sociale et de renforcement du sentiment de l’appartenance à la patrie. Force est de constater que sur l’ensemble de ces questions, non seulement on ne voit pas de progrès notable, mais la situation se détériore. Seules les victoires sportives réalisées au cours des derniers mois, dont il convient de se féliciter, ont pu créer un élan d’enthousiasme et soulagé un tant soit peu les douleurs et les peines de ceux qui n’ont pas grand-chose à se mettre sous la dent.

En définitive, une loi de finances, comme toute mesure de politique publique, doit se construire en mettant sur la table la problématique dans sa complexité en posant en même temps la question économique et la question sociale et environnementale. Retenir uniquement le cadre macroéconomique relève d’une vision néo-libérale économiquement stérile et socialement dangereuse. 

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